Il ne faut pas croire en la démocratie, il faut juste l’inventer
La démocratie n’est-elle pas un mythe, une sorte de concept dont la prononciation semble doter celui qui parle de pouvoirs invocatoires magiques ? La démocratie n’est-elle pas un concept vide, ne désignant qu’une méthode parmi d’autres permettant de doter les nations d’un gouvernement ? Quelques dinosaures rousseauistes croient encore au gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Mais la volonté générale reste introuvable et finalement, la démocratie n’existe pas pour la bonne raison qu’il n’y a pas de peuple, sauf dans l’esprit des historiens du 19ème siècle. Les pays modernes sont fait d’une société, de gens, d’un Etat, d’un gouvernement, de structures administratives, de services publics et d’industries diverses. Vous pouvez toujours chercher le peuple que vous ne le trouverez point en tant qu’entité consubstantielle à un pays car le peuple est toujours divisé et se manifeste parfois lors de mécontentements populaires. Et c’est là tout l’intérêt de la démocratie que de permettre à un peuple qui n’existe pas de se débarrasser d’un dirigeant devenu impopulaire.
Récemment, on a pu se baser sur un test comparatif. Observons comment les dirigeants des pays arabes devenus impopulaires ont été virés du pouvoir. Ce ne fut pas facile. Beaucoup d’agitation, de confusion, de morts et même tout un dispositif militaire externe lorsqu’il eut fallu, selon un décret de la charia démocratique interprétée par BHL, virer le colonel Kadhafi qui de plus était frappé d’une fatwa américaine. Et puis virer un dirigeant dans une dictature ne résout pas forcément le problème car bien souvent, il s’en trouve un pour le remplacer et ce n’est pas certain que l’ordre règne. On le voit en ce moment en Egypte. Par contre, dans les pays démocratiques, virer un dirigeant s’avère d’une facilité déroutante. Prenons les élections présidentielles françaises. Même si des mots vilains ont été échangés, il n’y a pas eu mort d’homme. Des débats interminables dans les médias et même un effet comique lorsque la chaise de Nicolas Sarkozy se déroba un soir au petit journal. Finalement, l’affaire a été réglée simplement, sans que cela ne coûte très cher et pas un seul mort. Enfin, si, puisque quelques mois après la défaite de Sarkozy on a pu constater deux morts à l’UMP par effet collatéral. Aux USA, les élections coûtent plus cher, mais là-bas, ils font les choses en grand. Deux milliards de dollars paraît-il mais rien de scandaleux. Cet argent n’a pas été utilisé pour faire parler les armes. Juste pour organiser des spectacles qui ont amusé les partisans des deux camps, avec quelques bonnes bouffes à la clé, de quoi boire, manger et danser. Conclusion, le test est sans appel. Une démocratie est préférable à une dictature. Même si la démocratie ne s’accompagne pas toujours du progrès, elle participe grandement à la paix civile.
La démocratie est un concept véhiculant pas mal de croyances, de fausses espérances, d’illusions, bref, une sorte de mythe rationnel permettant aux dirigeants et aux citoyens de se rassurer, un peu comme s’ils avaient signé auprès d’une compagnie d’assurance. Pourtant, d’autres concepts sont bien plus pertinents, déterminants et décisifs. D’abord l’Etat de droit, un concept qui garantit à chaque individu la possibilité formelle de ne pas subir l’arbitraire d’une décision. Ensuite, si progrès il y a, on doit le mettre sur le compte des recherches, de la technique, des inventions technologiques mais aussi esthétiques, avec l’imagination des artistes. On a en effet tendance à oublier que la démocratie repose sur des individus dont les volontés sont déterminées, allant parfois dans des sens contradictoires, pour des raisons d’idéologie et plus souvent en fonction d’intérêts privés. La démocratie améliore-t-elle le bien public ? Peut-être mais avant, il faudrait se soucier de ce qu’est le bien public, ainsi que définir si possible l’intérêt général. On s’apercevrait alors du caractère extrêmement conjecturel de cette notion d’intérêt général, coincée entre un nivellement des différences conduisant vers une sorte de dictature du bien pour tous et entre un libéralisme extrême sans solution de continuité où l’intérêt général n’est que la juxtaposition des intérêts particuliers.
Finalement, la démocratie ne garantit pas le progrès mais elle le permet à condition que les gouvernants et les citoyens se soucient de l’intérêt public et que l’intelligence puisse déterminer le bien public et mettre en œuvre les mécanismes politiques, techniques et sociaux pour le faire advenir.
Un rapide coup d’œil sur nos sociétés contemporaines montre que c’est plutôt l’inverse qui se produit, avec des mécanismes inutiles et bien peu de souci de l’intérêt public alors que ce sont plutôt les intérêts personnels et privés qui orientent une partie de l’action politique. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il se produit beaucoup de productions inutiles, de corruptions, de financement de projets sans grand intérêt au égard aux sommes dépensées. On connaît quelques classiques, les grands stades, l’aéroport de Nantes, les lignes à grande vitesse comme Bordeaux Bayonne, des milliards d’euros dépensés pour faire gagner même pas une heure à d’happy few voyageurs en quête de soleil basque. Pour l’instant cette ligne n’est pas encore décidée, alors que d’autres voix se font entendre contre une autre ligne pas vraiment indispensable, celle reliant Lyon à Turin. Et si les citoyens réfléchissaient, ils finiraient pas gueuler contre cette phobie du réchauffement qui engloutira des milliards d’euros dans des projets inutiles car il est vain de vouloir contrôler la température de la planète comme si c’était une serre thermostatée. Que de gaspillages, notamment dans les commandes publiques d’art conceptuel. Que de mauvaises gestions, des hôpitaux publics à l’université. Que de mauvaises stratégies, en recherche comme en santé publique. Que d’injustices, des retraites au marché du travail.
La démocratie ne consiste pas à se contenter de déposer un bulletin dans l’urne mais à s’exprimer, se faire entendre, donner son avis, afin de limiter les moyens placés sur des investissements publics inutiles et faire naître des projets, petits ou grands. A Talence, un collectif de citoyen s’est réuni de nombreuses fois pour que la gare de la Médoquine puisse rouvrir en articulation avec un réseau de bus. On trouvera des exemples dans toutes les villes. Faut-il rappeler aux politiques que Bordeaux s’est doté d’un tramways grâce à l’action d’un comité citoyen qui, dossiers à l’appui, a permis de contrer le projet de métro de Chaban qui aurait commencé par un trou dans le sol pour finir par un énorme trou dans le budget car on ne sait pas comment un chantier improbable évolue, la preuve étant donné par l’EPR de Flamanville.
Pour qu’une démocratie apporte le progrès, il faut que chaque citoyen se soucie du bien public et songe à s’améliorer, s’instruire, se comporter avec vergogne et mesure. Finalement, rien de neuf depuis Aristote. Le bien de la cité passe par le bien en l’homme et réciproquement. Après, il faut surtout saisir le cours personnel de chaque existence, dont la dignité est peut-être supérieure à celle de la cité ou l’Etat. La démocratie crée les conditions du bonheur et l’individu réalise son bonheur. Voilà pourquoi il ne faut pas croire en la démocratie mais l’inventer et s’inventer soi-même aussi. La démocratie vit quand les gens se parlent. La preuve en étant donné par l’absurde. Dans une dictature, les gens se taisent, ou du moins on les fait taire.
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