Il y a quelque chose de pourri dans la République Française
La rentrée devait être morose, chacun en avait conscience : entre l’épanouissement de la crise économique et financière et le comportement de certains hommes politiques, rien ne laissait présager une aurore automnale apaisée. Clearstream, bruits de fraude au PS, ingérence gabonaise au sein du gouvernement français : la réalité dépassa les pessimismes les plus sombres. La République Française n’a rien à envier au royaume du Danemark shakespearien.
Tout d’abord, Clearstream. Ne comptez pas sur moi pour rentrer dans la polémique et retracer le cours des événements avant que le procès ne débute : la presse et la blogosphère regorgent de ce genre de synthèses prophétiques. Oui, prophétique, car bien malin qui peut séparer le bon grain de l’ivraie dans cette affaire, et ce en dépit de l’estime politique qu’il est possible de porter, selon les tempéraments, à Nicolas Sarkozy, à Dominique de Villepin, voire même - soyons fous - à chacun d’entre eux. "Gergorin a dit que..." affirment certains. "Oui, mais Yves Bertrand a dit le contraire..." répliquent d’autres. "Ah mais, avance un troisième, cela serait compter sans les déclarations d’Imad Lahoud...". Prise sous les feux croisés d’affirmations contradictoires, la vérité, invisible à l’oeil nu, agonise lentement.
Puis vient "l’affaire" Bockel. Le 7 septembre dernier sur RTL, le conseiller élyséen aux affaires africaines, Robert Bourgi, revient sur la mise à l’écart de Jean-Marie Bockel du secrétaire d’Etat à la Coopération en juin 2007, à la demande de feu le président Omar Bongo - et l’on en apprend un peu plus sur le fonctionnement réel de la République française, cette noble institution politique qui ne rend des comptes qu’au peuple souverain, et se veut en ceci le phare incandescent de l’humanité civilisée :
"Il y avait eu un précédent avec Jean-Pierre Cot, au début des années 80. A l’époque, le doyen des chefs d’Etat africains, c’était le Président Houphouët Boigny. Accompagnés du Président Bongo et d’autres chefs d’Etat ont demandé - pardonnez-moi cette expression ! - la tête de Jean-Pierre Cot, ils l’ont obtenue. Jean-Marie Bockel a souhaité revenir à la source de la volonté de monsieur Jean-Pierre Cot. Le Président Bongo, le Président Sassoué et d’autres chefs d’Etat avaient envoyé leurs ambassadeurs à l’Elysée. [...] Un soir, je reçois un appel du Président Bongo [...]. Il me dit : ça ne peut pas continuer. Il faut que tu dises à Nicolas que moi et les autres nous ne voulons plus de ce ministre. Je suis allé voir le Président de la République à l’Elysée en présence de monsieur Guéant et je lui ai passé le message ferme et voilé de menaces du Président Bongo. Et il m’a dit : écoute, dis à Omar (comme il l’appelle) et aux autres chefs d’Etat que monsieur Bockel partira bientôt et sera remplacé par un de mes amis, un ami de monsieur Guéant."
Qu’un chef d’Etat africain se permette de réclamer la tête d’un ministre de la République Française est scandaleux ; que le Président en poste de cette même République la lui accorde l’est encore plus. Mais le comble du scandale réside dans le silence citoyen qui suit ces révélations. Imaginons en effet que ce soit la Chine, la Russie, les Etats-Unis, ou même l’Allemagne qui aient émis ce genre d’injonction : l’émoi serait général, la mobilisation universelle, et l’on ne serait pas loin de croire à une annexion imminente du territoire français. Mais un ministre démis par Omar Bongo, cela ne semble qu’une feuille morte de plus dans un vent d’automne. France, surtout rendors-toi : le bateau coule normalement.
Ah, un homme politique a toutefois fait connaître courageusement son dégoût face à de telles méthodes : il s’agit de Laurent Fabius, lui aussi invité sur RTL par Jean-Michel Aphatie ce 9 septembre 2009. Les propos de Robert Bourgi, a-t-il lancé, sont d’une "vulgarité glauque". Certes. Un peu d’ailleurs comme les révélations des journalistes Karim Rissouli et Antonin André, lorsqu’ils dévoilent dans leur livre Hold-up, arnaques et trahison les méthodes de vote au sein-même du PS, deuxième parti de gouvernement et seul vrai parti d’opposition de notre (toujours) noble République Française, Vème du nom :
"A mesure que les chiffres tombent, ils sont rentrés dans un logiciel qui calcule automatiquement l’écart entre Royal et Aubry et fait varier les résultats "virtuels" du Nord afin qu’ils assurent la victoire à Martine Aubry. Claude Bartolone, plusieurs semaines après, reconnaîtra d’ailleurs avoir bloqué les résultats du Nord "dans le but de s’assurer que, même si la Guadeloupe et la Martinique votaient à 100% pour Royal, l’avance de Martine ne permettait pas qu’on la rattrape". En clair : les résultats du Nord sont gelés pour pouvoir être "ajustés" jusqu’au dernier moment afin d’assurer une avance suffisante à Martine Aubry."
Chose étrange, Laurent Fabius, Premier ministre sous François Mitterrand - le même qui démit Jean-Pierre Cot dans des conditions identiques à celles de Jean-Marie Bockel - apparaît lui aussi dans ce déballage nauséabond - j’allais dire vulgaire et glauque :
"Une heure durant, la première secrétaire et François Rebsamen se hurlent dessus. Fébrile, à la fois insupportée d’entendre les allégations de fraude et consciente de la vérité, Martine Aubry finit par se trahir. "Je n’ai pas triché ! Fabius, d’accord ! Mais pas moi..." La première secrétaire fait allusion à son score écrasant obtenu dans la Seine-Maritime, fief de l’ancien Premier ministre."
Notons toutefois qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour autant : fort à propos, Laurent Fabius interrogé sur le sujet par Jean-Michel Aphatie a pu démentir mollement toute fraude électorale :
"Oui, je crois que Martine Aubry a gagné, les choses sont derrière nous. [...] Il n’y a pas d’éléments probants."
Ouf. Tout cela n’était donc, bien entendu, qu’un tissu de mensonges. Ce genre de tissu dans lequel tant de couturiers politiques taillent désormais leur costume électoral. La République française est une fashion victim.
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