Internet : de la fibre... pas des lois !
A l’heure où la crise économique fait rage, le choix du Président de la République de précipiter le vote des députés sur la loi Création et Internet relève est pour le moins suspect.
A l’image de la RIAA aux Etats-Unis, les représentants des industries dites culturelles cherchent à gagner du temps auprès du législateur plutôt que de réellement mettre en place un autre modèle économique. Si la mise en place de radars automatiques a produit de réels résultats en terme de sécurité routière, est-ce bien raisonnable que de vouloir le transposer à un domaine tel qu’Internet ?
La loi DADVSI, Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information, avait amené la France à transposer la directive 2001/29/CE fin 2005. Sous la pression des lobbies des industries phonographiques et audiovisuelles, elle avait amené le législateur français à renforcer les DRM dans le but de protéger les œuvres. Depuis, toutes les majors ou presque ont abandonné les DRM. Les débats autour de cette loi de pacotille et de circonstance se sont faits à l’Assemblée Nationale alors que des représentants des lobbies des représentants des industries cinématographiques, audiovisuelles et phonographiques étaient présents dans l’enceinte de l’Assemblée. Du jamais vu dans l’histoire de la République française !!!
L’enjeu
![Pirater, cest mal ! Pirater, cest mal !](local/cache-vignettes/L224xH224/pirates_0000cf82-89563.jpg)
Pirater, c’est mal !
La loi Hadopi - dite Création et Internet - a pour objet d’instituer la riposte graduée pour dissuader les internautes d’échanger les œuvres soumises au droit d’auteur sous forme numérique. Autrement dit, le gouvernement français très inspiré par son ancien et toujours ministre de l’intérieur, cherche à instituer la mise en œuvre de radars automatiques.
Face à la massification des pratiques de téléchargement illégal qui touchent désormais les fans de Rina Ketty, l’enjeu du pouvoir est avant tout le maintien des sur-profits dégagés par les industries dites culturelles. Au cours de ces 10-20 dernières années, les majors ont toujours privilégié la standardisation et le formatage (synonymes de la niaiserie). Par leurs pratiques, elles ont surtout contribué à assécher l’offre musicale et cinématographique. Le nombre d’artistes “interdits” de produire n’a fait que s’amplifier au cours des 10-20 dernières années. La massification du téléchargement illégal n’est, à bien des égards, que le corollaire du choix mortifère de la standardisation de la production.
L’ancien - et toujours - ministre plénipotentiaire de nos affaires intérieures a justifié son empressement à voir la loi Création et Internet votée en mars de la manière suivante : “Je n’ai pas été élu pour laisser voler au supermarché !“. Pour ceux qui n’auraient pas compris l’amitié solide qui le lie à ses amis du Fouquet’s, il entend présider au destin du conseil de la création artistique. Est-ce bien là le rôle d’un chef de l’Etat ? En tant que représentant de l’intérêt général, ne serions-nous pas en droit d’attendre des orientations claires en matière de financement de la création artistique ?
Les chiffres
La question est de savoir s’il y a corrélation entre la chute des ventes de DVD et des CD en valeur avec la massification des pratiques d’échange. L’IFPI, la Fédération Internationale du Disque, estime à 40 milliards le nombre de morceaux de musique échangés sur les réseaux P2P en 2008. Pourquoi pas 50 ? Pourquoi pas 100 ? Alors que nous disposions de cassettes, nous échangions déjà dans les cours de nos écoles. Etonnant de la part d’industriels de promouvoir le libre échange à tout bout de champ… sauf quand ça les dérange !
Dans un contexte de crise économique exacerbée, les chiffres dont nous disposons, poussés par l’industrie culturelle, ne veulent pas dire grand chose. Au Royaume Uni, le manque à gagner estimé par le BPI, British Phonographic Industry, serait de 180 millions de livres sterling en 2008… en valeur. Et en volume ? En France, le SEVN impute au téléchargement illégal la chute de 1.38 milliards d’euros du marché du DVD en valeur. Là-encore, on aimerait avoir les chiffres en volume.
Dans le même temps, l’IFPI constate une hausse de +20% pour les ventes de musique par Internet et par mobile. Malgré le succès d’iTunes, l’industrie ne semble toujours pas avoir compris la nécessité de réviser profondément son modèle économique. Pour les DVD en France, la réponse ne passe-t-elle pas par la réduction du délai de 6 mois qui sépare la sortie en salle de la mise en vente du film sous format DVD ?
Les errements de l’Europe
Dans la foulée de la présidence française et de l’empressement à répondre favorablement aux exigences des industries dites culturelles, le député socialiste européen Manuel Medina Ortega avait cru bien faire en mettant en avant une proposition visant à généraliser la riposte graduée partout en Europe. Or cette proposition est en totale contradiction avec l’amendement 138 proposé par Guy Bono, Daniel Cohn-Bendit et Zazana Roithová voté par 88% des députés européens. De fait, cet amendement complique singulièrement la mise en place de la riposte graduée partout en Europe et en France notamment.
“en vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire en application notamment de l’article 11 de la charte des droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement”
Des dispositifs techniques inutiles et liberticides
La précipitation qui entoure le passage en force de la loi Création et Internet pourrait nous amuser. En quelques jours, alors que les discussions en commission faisaient rage, nous avons eu droit à des propositions quant aux dispositifs techniques d’une ingéniosité assez rare.
Il serait demandé aux moteurs de recherche de procéder à un sur-référencement des sites mettant en avant une offre culturelle payante. Gageons que les modifications de l’algorithme utilisé par Google n’aient pas anticipé les demandes du gouvernement français. ;+) Comment croire un seul instant que Google - un de ceux qui tirent le plus de profit de l’échange de fichiers numériques - soit prêt à se tirer une balle dans le pied dans un contexte économique de plus en plus tendu ?
Ne reculant devant rien, quelques députés en pleine inspiration sont allés jusqu’à proposer l’établissement d’un système de filtrage par liste blanche au niveau des accès Wi-Fi. Question : sur quels critères les sites seraient-ils intégrés aux listes blanches ? Le génie des députés UMP n’a décidément rien à envier avec celui des autorités chinoises qui pourront s’inspirer de l’exemple français. Comme disait Michel Audiard, “Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.”
Des problèmes juridiques
La riposte graduée voulue par les majors correspond très largement, pour elles, à une nécessité économique. Embourbées dans des procédures judiciaires qui concernent 25000 internautes, la RIAA, Recording Industry Association of America, en appelle désormais à la collaboration des Fournisseurs d’Accès Internet. AT&T et ComCast ont d’ores et déjà répondu présents alors que de très nombreuses questions se posent sur le plan juridique.
En France, SFR, Bouygues et Orange en ont fait de même et se disent prêts à “collaborer” dans le filtrage du P2P. Seul, Free qui a fait ses choux gras en faisant la promotion de la vitesse à télécharger ne l’entend pas tout à fait de cette oreille. La loi les a déjà obligés à conserver les logs de connexion associant adresse ip et numéro de téléphone durant un an. La loi Création et Internet entend responsabiliser les FAI sans qu’on ne sache vraiment ce que recouvre cette notion.
Plusieurs questions se posent évidemment. Très utilisés dans le monde du logiciel libre, les FAI permettront-ils aux internautes français de continuer à utiliser BitTorrent ? Les sites de téléchargement tels que RapidShare seront-ils intégrés dans les dispositifs de filtrage ?
Qu’est-ce qui autorise, au juste, sur le plan juridique, un FAI à limiter l’accès d’un internaute, à lui couper sa connexion alors que l’amendement Bono rappelle le primat de l’autorité judiciaire sur l’autorité de police ? Quelles seront en outre les possibilités de recours d’un internaute présumé coupable alors que la loi en discussion n’en prévoit aucun ? A l’instar des automobilistes en manque de points, ils pourront toujours saisir la cour de Justice européenne afin de retrouver tous leurs points. La mésaventure survenue à un internaute américain accusé à tort devrait ouvrir les yeux au législateur français. On pourrait encore évoquer le cas de machines infectées par des rootkits qui permettent à des hackers d’utiliser la bande passante de leurs victimes dans le parfait anonymat, sans que l’internaute puisse établir la moindre preuve de son innocence.
Les faux frais de la loi Hadopi
La loi Création et Internet, à l’image de ce qui se passe avec la RIAA aux Etats-Unis qui vient de licencier une centaine de collaborateurs, a pour but principal de transférer la prise en charge du risque juridique des ayant-droits des œuvres téléchargées vers le contribuable.
Le problème est que la La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) devra être en capacité d’adresser 10000 mails et 3000 recommandés par jour. Là où la loi Création et Internet prévoit un budget de 6.5 millions d’euros, il en faudrait 12 millions au bas mot. Comment sera financé le volant supplémentaire ? Au final, ne risque-t-on pas l’explosion des procédures judiciaires ?
Le risque de l’Internet censitaire
Parmi les solutions proposées à la mise en place de l’Hadopi, il y a évidemment la licence globale. Mais, en la matière, le pire est à craindre. Des rumeurs récentes ont circulé selon lesquelles certains FAI seraient en train de réfléchir à la mise en place d’un accès de base s’appuyant sur une liste blanche. Dans ce cadre, faudrait-il s’affranchir du paiement de la licence globale pour accéder à tous les sites ?
Aujourd’hui, pour un abonnement d’une dizaine d’euros par mois, vous pouvez télécharger en quelques minutes le film de votre choix à partir d’un forum de News. D’ores et déjà, certains prestataires proposent un accès VPN (Virtual Private Network) vous garantissant l’anonymat. La mise en place de la loi Création et Internet porte en elle les germes réels d’un Internet censitaire.
Pour autant, les premiers bénéficiaires du développement de l’échange des œuvres sont les FAI et les éditeurs de moteurs de recherche. Leur profitabilité - ou profitation - fait que c’est à eux, avant tout, de prendre en charge le financement des œuvres des ayant-droits.
De la fibre… pas des lois
Alors que le gouvernement français se fait dicter la loi Création et Internet par des lobbies peu éclairés, d’autres pays font d’autres choix. Je pense notamment à la Corée du Sud où la vitesse des accès Internet devrait passer de 100 Mbits à 1 Gbits d’ici 2012. Transposé à l’Europe et à la France, un plan fibre pourrait générer un nombre considérable d’emplois et fournir la croissance qui nous manque tant, tout en favorisant la production d’œuvres numériques.
Le gouvernement français fait d’autres choix et Christine Albanel déclarait très sérieusement que la loi Création et Internet permettrait un gain de bande passante. Je préfère en sourire même si, à vrai dire, le coeur n’y est pas.
Crédit photos : Tell Tech, ClassiqueNews.com, GNT, Tritz du monde 3
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