Inventer ensemble des statuts ? De l’ambition participative à la réalité d’un parti
François Bayrou l’a annoncé : l’élaboration des statuts du MoDem serait oeuvre collective. Mais l’ambition se heurte à trois obstacles. Le manque de consensus sur le sens même du texte à produire - personne ne fait de politique pour des statuts. Le besoin, pour participer de plain-pied, d’une culture juridique pointue. Et la concurrence entre intérêts, au sommet du mouvement - dissuadant celui-ci de faire participer la base au débat. Soit... les obstacles habituels à la participation démocratique.
"Nous prendrons les semaines nécessaires pour écrire ensemble, non pas seulement pour écrire, mais pour penser, pour inventer, les statuts, les règles de fonctionnement de ce mouvement nouveau", déclarait François Bayrou au Zénith le 24 mai, au lancement du Mouvement.
Les statuts, une affaire de spécialistes ?
Pour le citoyen, le militant, les statuts ont-ils une telle importance ? Le plus marquant dans la vie d’un parti, ce sont les déclarations publiques des responsables dans les médias ; et ils ne consultent pas les statuts avant de s’exprimer. Sous cet angle, les statuts seraient un dispositif d’arrière-garde, pour la sécurité juridique de l’existence même du parti, de son financement public en particulier.
C’est pour ces raisons que la création du MoDem, et celle concurrente du Nouveau Centre, ont attiré l’attention des juristes ; en témoigne le billet de Jeanne Dalleau dans le blog Dalloz, dès le 15 mai.
Les statuts seraient affaire de spécialistes, d’expertise, François Bayrou lui-même l’a laissé entendre : "j’ai ... autour de moi des spécialistes de statuts, il y a dans la salle des spécialistes internationaux de statuts, [il] y a même des gens qui sont venus ici parce que ils en avaient marre de vivre dans un univers où il n’y avait que les statuts et les chapelles qui comptaient. Il faut écrire des statuts qui permettent de vivre ensemble" (à Marseille le 11 juillet - décryptage de la vidéo par Nelly Johnson).
Pourtant, quelques dizaines de militants ou de groupes de travail ont spontanément fait des propositions [1]. Une militante ("Etoile66")a mis en débat sur e-soutiens, chapitre par chapitre, un projet de statuts, en particulier sur la définition des membres et des votes, la déontologie, l’organisation locale. Elle a lancé un appel aux bonnes volontés, pour travailler ensemble sur le projet du Mouvement.
Mais comment trouver une synthèse entre les plusieurs dizaines de pages des statuts du CDH belge (dont elle s’était inspirée) ou d’autres partis,... et la certitude de Thierry Crouzet : pour "un parti moderne, il ne faut pas plus d’une dizaine de points, chacun tenant en une ligne. [Et] les points doivent être objectifs. Du type ’Il faut un quorum de 50% pour réviser les statuts.’ Dire ’La liberté nous guide’ n’a aucun intérêt car chacun fera de cette phrase ce qu’il veut."
Alors, mission impossible ou... mission inutile ?
Les statuts de l’UDF : une base largement partagée
La création du MoDem change beaucoup de chose par rapport à l’UDF - à en juger par les départs d’élus. Mais aucun des partants n’a mis en cause la question des statuts. Ce n’est pas le coeur du changement perçu.
Aussi, plusieurs propositions consistent à copier-coller, avec quelques modifications, les statuts de l’UDF.
Cédric Augustin, des Alpes-Maritimes, auparavant responsable local UDF, semble prêt à en reprendre la trame. De même de Serge Gaubier, membre du Conseil départemental UDF de l’Essonne. Si ce n’est que sa proposition "supprime le diktat du pouvoir central parisien sur les investitures" : une commission mixte entre fédération départementale et siège national statuerait en dernier ressort.
Un militant, Pascal Kammerer, le remarque sur le blog ouvert par Serge Gaubier : "Que l’investiture ... relève des fédérations ... me semble une bonne chose... Sauf qu’il n’est question nulle part de la façon dont les fédérations font leur choix." Il faut selon lui "une consultation DEMOCRATIQUE et PUBLIQUE !"
"Qui va choisir les candidats pour les élections municipales ?" C’est justement la "question à deux francs" posée par "jeune modem 31" : "Ça devrait être fixé par les futurs statuts , non ? Qui en sait plus ? ... Moi je ne crois pas à l’utilité d’une désignation par l’entourage de Bayrou comme pour les législatives. ... Je crois que seuls les militants de base, les "petits" ont la sagesse populaire de bien choisir. Ce système de candidats qui font des aller-retour sur Paris pour faire la cour me paraît révolu. Je veux une désignation par les militants des têtes de listes aux municipales, après débats contradictoires. ... Mon engagement ne sert à rien si je [ne] peux même pas faire cela."
Entre ce cri du coeur quant à la valeur d’un engagement militant, et l’ignorance des statuts ("qui en sait plus ?"), toute la pente abrupte et glissante de la démocratie participative.
"La démocratie participative, il faut que ça corresponde vraiment à une réalité. Nous l’avions déjà fait avec le comité Berthier en 2004," rappelle, en plénière à Seignosse le 15 septembre, l’ancien député Gilles Artigues. François Bayrou lui avait confié l’animation de ce travail collectif, avec les fédérations départementales, sur l’organisation de l’UDF. Les propositions "Berthier", il s’agirait de les appliquer au Mouvement naissant.
Autant de directions que d’intérêts
Seignosse ne semble cependant pas avoir été le lieu d’une synthèse des propositions sur l’organisation du Mouvement et ses statuts - malgré le remarquable atelier sur "un Mouvement... démocrate".
La synthèse officielle des contributions (publiée sur le blog de Cyrille Moreau) a le mérite de la brièveté, pas celui de la synthèse. D’un côté, elle laisse ouverts 4 grands modèles d’organisation ; de l’autre, elle formule des règles très précises - "20 % de candidats de moins de 35 ans", "postes de président, vice-président, trésorier et secrétaire départementaux tenus à parité entre élu et non élu" - sur des points où le débat reste vif : celui des investitures et celui de l’accès aux responsabilités internes.
Les participants ont quitté Seignosse avec une proposition de Chartes parfaitement claire, orale et écrite, celle de François Bayrou, et avec un grand flou sur l’organisation et les investitures. Par exemple "Alf" : "J’aurai mon investiture en avril 2008 et ma femme ne me croira pas quand je lui dirai que j’ai participé à un séminaire. ... Les cadres de la structure sont toujours aussi présents et aussi inaccessibles. Et les militants toujours aussi enthousiastes. J’ai pris un bain de foule, nagé dans le bonheur. J’ai vérifié : il n’y aura pas suffisamment de canots de sauvetage."
Entre Corinne Lepage qui veut bien renoncer à son idée d’un MoDem confédération, mais pas à l’écologie politique ni au "respect de tous", Didier Bariani, Thierry Cornillet et Thierry Benoît qui implorent un "délai" permettant à l’UDF de rester ce qu’elle fut, Jean-Yves de Chaisemartin qui démissionne de la présidence des Jeunes UDF en appelant à construire les Jeunes démocrates, François Bayrou qui se dit sceptique sur l’intérêt d’une structure Jeunes... il pourrait y avoir trop de conflits au sommet, pour que la base ait voix au débat.
Si pourtant des militants voulaient intervenir efficaement, comment, concrètement, le pourraient-ils ?
Condition de la participation : donner les clés aux militants
Même Thierry Crouzet le dit : des statuts doivent être précis, concrets - alors que les contributions spontanées des militants portent majoritairement sur les principes, sur la qualité attendue de l’organisation. Ainsi Gilles Lapierre : "partage des informations, coopération et soutien mutuel entre les membres...". Comment les statuts susciteront-ils cette qualité collective ? Là reste la difficulté.
Il est improbable que 10 points suffisent, mais il est certain qu’une discussion ouverte à 50000 personnes ne peut sérieusement traiter que 10 points maximum, ou moins.
La participation demande donc un premier travail d’expertise et de pédagogie :
expliquer les enjeux du débat, le sens des principales propositions,
donner, dans ce qui existe, des analogies qui fassent sens pour chacun, à l’aide desquelles se former des opinions sur le Mouvement futur,
éclairer les quelques alternatives-clé, sur quelques articles des futurs statuts, qui emporteront la signification de l’ensemble.
Le "Cercle Méthodes", un groupe de militants et sympathisants, a ainsi publié des fiches à visée pédagogique sur le droit des partis et leur organisation. Une de ses membres, Marie-Isabelle Pichon, a listé sur son blog les points essentiels de statuts de partis :
"Règles d’adhésion/radiation
Règles de désignation des : membres des organes nationaux, présidents de fédération, section,
Règles de désignation des candidats aux élections,
Organisation des congrès, conventions nationales, etc.
Existence de mouvements associés
Existence d’un organe de contrôle".
Le débat point par point permettrait de définir, sur chacun, deux ou trois options possibles. Et de les soumettre au vote des militants.
Puis il reviendrait aux experts d’habiller ces quelques points-clés avec une rédaction complète, qui apporterait la sécurité juridique requise.
Un processus faisable ? C’est en tout cas celui que j’essaierai, en modèle réduit, lors d’un atelier départemental le 6 octobre. L’organisateur a titré l’atelier "l’imagination au pouvoir". On verra si c’était de bon augure.
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