J’y veillerai personnellement !
« Le gouvernement va prendre ce texte qui passe au conseil des ministres dès mercredi. On va remettre les soixante plus gros industriels de l'agro-alimentaire derrière. Et surtout, on va mettre en place, et je vais y veiller personnellement, un accord sur la modération des marges dans tout le secteur. » (Emmanuel Macron, le 24 septembre 2023).
Le Président de la République Emmanuel Macron s'est invité aux journaux télévisés de 20 heures ce dimanche 24 septembre 2023 sur TF1 et France 2. Répondant pendant 35 minutes depuis l'Élysée aux questions de Laurent Delahousse (France 2) et de Anne-Claire Coudray (TF1), le chef de l'État a voulu conclure une semaine internationale très dense (visite d'État du roi Charles III et venue du pape François à Marseille) avant d'entrer dans une "séquence" beaucoup plus hexagonale.
En effet, c'est la "semaine de la rentrée", celle qui vient, celle de la présentation de la loi de finances de 2024, celle aussi de la planification écologique. Et, comme l'a dit un commentateur, en faisant cette interview, il a "enjambé" les élections sénatoriales du même jour (j'y reviendrai), qui a confirmé la majorité sénatoriale actuelle, et qui a confirmé aussi l'absence d'implantation territoriale du parti présidentiel Renaissance (sans surprise puisque c'est la conséquence de l'échec de la majorité présidentielle aux élections municipales de 2020). Le Président semblait d'ailleurs tellement peu intéressé par les élections sénatoriales qu'il s'est trompé en affirmant que le tiers des sénateurs était renouvelé alors qu'il s'agit plutôt de la moitié (170 sur 348 sièges). Le renouvellement tous les trois ans par tiers était à l'époque, lointaine (il y a près de vingt maintenant), où le mandat sénatorial était encore de neuf ans au lieu de six ans maintenant.
S'il fallait résumer l'intervention présidentielle par un seul élément, ce serait la seule réelle information du jour : la France rappelle son ambassadeur du Niger et ses troupes quitteront le pays afin de ne pas être l'otage des putschistes au pouvoir.
L'une des premières questions portait évidemment sur le message du pape François à Marseille (j'y reviendrai aussi), qui n'est pas nouveau et qui s'en prend aux politiques européennes. Emmanuel Macron a répondu un peu légèrement par, toujours, son "en même temps".
D'une part, donner raison à son interlocuteur : « Le pape a raison d'appeler à ce sursaut contre l'indifférence, parce qu'à chaque fois qu'on parle du sujet d'immigration, on parle de femmes et d'hommes, il ne faut jamais l'oublier. ». Mais d'autre part, rappeler que l'Europe et la France ont pris leur part : « L'Europe est le continent qui fait le plus. (…) Nous, Français, nous faisons notre part. (…) Mais on doit être aussi rigoureux, parce qu'on a un modèle social qui est généreux et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. ». Et ainsi de reprendre la fameuse phrase de Michel Rocard (sans y faire référence).
Et plus particulièrement, il a insisté pour dire que la réponse ne pouvait être qu'européenne : « Qu'es-ce qui se passe, d'abord, à Lampedusa (…) ? C'est la réalité du phénomène migratoire ; il est européen. Et donc, le cœur de la réponse n'existe pas en franco-français. (…) Nous, nous devons jouer notre rôle en Européens, et aider les Italiens. On ne peut pas laisser les Italiens seuls. Et donc, la réponse, elle est ensemble, elle est européenne. ».
Parmi les mesures proposées, Emmanuel Macron a suggéré celle-ci : « On accepte d'avoir des experts britanniques à Calais pour nous aider à démanteler ces réseaux de passeurs, et on a de très bons résultats. Bah, on va proposer la même chose aux États de transit dans la rive sud de la Méditerranée. (…) Il y a quelques années, nous avons su le faire en formant des garde-côtes libyens, en les équipant mieux. Et donc, je veux proposer à la Présidente du Conseil italien, et convaincre les autres Européens et la Commission, de mettre plus de moyens dans ces pays de transit, de leur proposer des partenariats pour éviter les départs, parce que c'est là que les gens prennent tous les risques en Méditerranée (…), c'est ce que dénonçait le pape. ».
Sur le pouvoir d'achat, Emmanuel Macron a rappelé que depuis qu'il est à l'Élysée, il y a eu la création de 2 millions d'emplois et que le SMIC a augmenté de 11% depuis le début de 2022.
Pour la conférence sociale sur le pouvoir d'achat, l'une des propositions d'Emmanuel Macron n'a pas beaucoup de sens socialement : « On va travailler avec toutes les branches qui ont encore un salaire minimum en dessous du SMIC légal. ». Cette phrase laisse entendre que des salariés en France seraient rémunérés légalement en dessous du SMIC : mais ce n'est pas vrai du tout, à moins du travail au noir (donc illégal). C'est un oxymore de dire que des gens sont payés légalement en dessous du salaire minimal légal ! En fait, certaines conventions collectives, dans certaines branches, ont posé un salaire minimal en dessous du SMIC actuel parce qu'elles n'ont pas été mises à jour par rapport aux augmentations récentes du SMIC, mais, conformément à la loi, aucuns salariés de ces branches ne sont évidemment payés en dessous du SMIC puisque la loi l'interdit. Donc, c'est juste un jeu d'écriture qui n'a rien à voir avec la réalité concrète des bas salaires. On remarque à l'occasion que les deux journalistes interviewers n'ont pas beaucoup de connaissance en la matière.
À propos des prix à la consommation, Emmanuel Macron a redit son idée de réduire les marges des plus gros industriels de l'agro-alimentaire qui, selon lui (et selon aussi Michel-Édouard Leclerc), n'auraient pas joué le jeu, augmentant beaucoup plus que les matières premières pour faire exploser leurs marges. En revanche, il a réaffirmé son refus de blocage des prix car les prix ne sont plus administrés, pas plus qu'il souhaite que les salaires suivent les prix à la consommation, ce qui amorcerait une boucle inflationniste. Pour le prix des carburants, il refuse toute baisse de la fiscalité, considérant qu'elle finance les 33 milliards d'euros de la transition écologique. Il veut rester dans le cadre d'une aide à la consommation pour ceux qui en ont le plus besoin et pas pour tout le monde, ce que ferait une baisse de la fiscalité : « La raison de l'augmentation, ce ne sont pas les taxes, c'est la géopolitique internationale. ». Une situation qu'il a confirmée durable. Emmanuel Macron a également refermé la polémique sur la vente à perte du carburant en demandant une vente à prix coûtant.
J'évoquais les élections sénatoriales, et il y a ce besoin pour la majorité présidentielle de coopérer avec la majorité sénatoriale (en d'autres termes, avec LR et l'UDI). Mais après cette prestation télévisée, Emmanuel Macron ne va pas beaucoup de se faire d'amis parmi les élus locaux. Au moins à deux reprises, il les a fustigés.
La première fois pour dire qu'une partie des taxes sur les carburants revenait aux régions : « Quand j'entends des présidents de région dire qu'il faut baisser les taxes sur le carburant, faites-moi une proposition pour baisser votre budget, mais je n'ai pas le sentiment qu'ils me fassent une proposition là-dessus. ».
Cette première fois est plutôt justifiée en pointant du doigt la démagogie de ses adversaires [il était surtout question de Xavier Bertrand], mais pour la seconde fois, Emmanuel Macron a utilisé lui-même la démagogie et de manière très grossière, à propos de la taxe foncière : « Quand vous avez votre taxe foncière qui augmente, ce n'est pas le gouvernement. Ce n'est pas le gouvernement. C'est votre commune qui le décide. Et c'est un scandale quand j'entends des élus qui osent dire que c'est la faute du gouvernement. Ces six dernières années, on a baissé les impôts de plus de 60 milliards d'euros pour nos compatriotes. On a supprimé la taxe d'habitation et la redevance télé pour nos compatriotes. C'est plusieurs centaines d'euros de gain de pouvoir d'achat. Et je le dis car on a beaucoup de maires qui ont décidé de ne pas augmenter la taxe foncière. Et c'est dur parfois pour leurs finances. À côté de ça, nous n'avons pas baissé les dotations des collectivités territoriales. Et donc, quand je vois des communes comme Tourcoing, comme Angers, comme d'autres, qui n'ont pas augmenté d'un centime leur taxe foncière, et Paris l'a augmentée de plus de 60%, c'est la responsabilité des élus, pas du gouvernement. » [Tourcoing et Angers sont des villes dont des ministres étaient les maires, Gérald Darmanin et Christophe Béchu ; quant à Paris, la maire Anne Hidalgo était une concurrente à l'élection présidentielle, plutôt pitoyable].
Cette tirade a eu de quoi mettre en colère quasiment tous les élus locaux qui doivent faire face depuis deux ans à l'inflation et en particulier, au prix de l'énergie qui n'a cessé de monter sans compensation par l'État. La suppression de la taxe d'habitation s'est faite sur le dos des collectivités territoriales car la dotation compensatoire n'évolue pas. La dotation globale de fonctionnement est en baisse continue depuis le quinquennat de François Hollande. Et surtout, les augmentations des dépenses décidées par l'État sont supportées par les collectivités territoriales sans compensation, ainsi de l'augmentation du point d'indice de 4% en 2022 et 1,5% en 2023. Cette augmentation est justifiée avec l'inflation, mais cette mesure pour la fonction territoriale n'est pas payée par l'État, mais par les collectivités territoriales, ce qui nécessite des augmentations de recettes puisqu'il y a une obligation, au contraire de l'État, d'avoir un budget à l'équilibre. Et aujourd'hui, l'État ayant supprimé le levier de la taxe d'habitation, le seul levier notable pour financer ces budgets de fonctionnement en pleine augmentation sans la volonté des élus (à cause du point d'indice et de l'énergie), c'est d'augmenter la taxe foncière, faute d'aide compensatoire de l'État.
De plus, Emmanuel Macron a pris un exemple très caricatural en évoquant la gestion désastreuse de la ville de Paris (quasiment en faillite par des dépenses folles) et son augmentation de 60% de la taxe foncière, alors que beaucoup de communes à la gestion très rigoureuse ont dû, elles aussi, et indépendamment de la mégalomanie éventuelle de ses édiles, augmenter leur taxe foncière, pour continuer à assurer le service public.
Je doute donc qu'au lendemain de cette interview, ainsi que du renouvellement sénatorial, les sénateurs, représentants justement de tous ces élus locaux, soient bienveillants à l'égard du Président de la République lorsqu'ils vont avoir à se pencher sur le texte sur l'immigration et sur le projet de loi de finances. À moins que l'Élysée n'ait tablé sur un échec des discussions, et donc, de prendre date pour en rejeter la responsabilité sur la haute assemblée.
Dans tous les cas, ce ne serait pas une communication présidentielle très performante si l'objectif était de montrer aux Français que le gouvernement allait répondre à leurs problèmes de manière efficace et ...consensuelle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
J'y veillerai personnellement !
Interview du Président Emmanuel Macron le 24 septembre 2023 à 20 heures sur TF1 et France 2 (vidéo).
Charles III accueilli par Emmanuel Macron.
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
Les Rencontres de Saint-Denis : une innovation institutionnelle d'Emmanuel Macron.
La France Unie soutient l'Ukraine !
Décalage.
Interview du Président Emmanuel Macron le 24 juillet 2023 à 13 heures sur TF1 et France 2 (vidéo).
Emmanuel Macron : le choix de l'efficacité.
Intervention filmée du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du vendredi 21 juillet 2023 (vidéo).
Composition complète du gouvernement d'Élisabeth Borne au 20 juillet 2023.
Le 4e remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne du 20 juillet 2023.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Interview du Président Emmanuel Macron le 15 mai 2023 à 20 heures sur TF1 (vidéo).
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
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