Jean-Luc Mélenchon, la gauche décomplexée
L’homme politique a ceci de commun avec l’homme amoureux que s’il semble vacillant sur sa propre identité, il ne donne envie à personne de l’accompagner. Que Jean-Luc Mélenchon soit amoureux ou aimé, cela ne nous regarde pas, selon l’expression consacrée. Par contre, il est évident que ses convictions n’ont pas peur d’elles-mêmes, et fait exotique à gauche, elles n’ont besoin d’aucun levier extérieur (comme l’anti-sarkozysme ou la victimisation médiatique) pour exister.
Interrogé dimanche 11 octobre au Grand Jury d’Europe 1, Jean-Luc Mélenchon a eu l’occasion de s’expliquer sur de nombreux sujets, dont le prix Nobel de la paix décerné à Obama, la situation géopolitique qui y ramène, mais aussi les perspectives d’alliances pour son Parti (de Gauche). Pourtant, le propos qui retint mon attention toute dominicale fut celui relatif à l’affaire Frédéric Mitterrand, parce qu’il présentait sous une forme on ne peut plus cohérente deux affirmations que peu de personnalités politiques avaient osé joindre au sein de leur propre position, pensant sans doute que la plèbe le bon peuple ne pouvait en supporter qu’une à la fois :
"Je ne suis pas quelqu’un qui a la moindre complaisance pour M. Frédéric Mitterrand, qui n’est ministre que parce qu’il s’appelle Mitterrand. Mais là où ça ne va plus, c’est quand on vient dans ce système infâme qui s’appelle le pilori. On sort ça quatre ans après avec une citation truquée et aussitôt sort l’armée des jeteurs de pierres. Ca, c’est inacceptable. [Frédéric Mitterrand] a écrit un livre il y a quatre ans qui s’appelle La Mauvaise vie. C’est peu dire, il ne s’appelle pas La bonne vie ou Qu’est-ce qu’on rigole en Thaïlande."
Jean-Luc Mélenchon réussirait-il là où le PS échoue régulièrement, c’est-à-dire à paraître crédible dans une opposition libre de tout systématisme dans la critique ? Les prochaines échéances électorales le diront. Dans l’immédiat, Jean-Luc Mélenchon peaufine la seconde phase de sa stratégie d’investissement de la gauche française. Car après en avoir posé les fondements lors des européennes de juin, en gagnant à sa cause une partie des réseaux locaux (importants) du Parti Communiste, il en consolide actuellement la charpente, dans un double objectif :
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Montrer que la gauche existe, qu’elle est toujours capable de proposer un système alternatif de gestion des richesses, et que ce dernier n’est pas incompatible avec une intégrité républicaine à toute épreuve.
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Montrer que cette gauche n’a pas besoin de lièvre, se nommerait-il Nicolas Sarkozy (ou ici Frédéric Mitterrand), pour exister sur le plan des idées. Alors que la plupart des partis ambitionnant d’être "d’opposition" se caricaturent en privilégiant les luttes de personnes et en réduisant à trois ou quatre noms propres les problèmes de la France, Mélenchon parvient à jouer le chaud et le froid jusqu’à imposer une certaine sincérité idéologique comme l’une de ses cartes maîtresses dans le débat politique.
Le président du Parti de Gauche a ainsi su conquérir une certaine hauteur de point de vue et d’argumentation, et la charpente idéologique qu’il privilégie devrait sous peu porter des fruits magnétiques du fait des conséquences de la crise économique d’une part et du délitement du PS d’autre part : nombreux sont ceux qui, parce que peu portés vers la social-démocratie et écoeurés par les combines d’appareil, pourraient se laisser glisser insensiblement vers le Parti de Gauche. Un bon score aux régionales leur savonnerait d’ailleurs allègrement la pente.
Il est certain que toute médaille ayant son revers, le franc parler de Jean-Luc Mélenchon et sa capacité à partir au quart de tour restent aussi potentiellement un écueil redoutable dans la perspective des prochaines présidentielles : son blog témoigne en effet d’une profusion de dénonciations qui s’y amoncellent jour après jour sans qu’une stature "providentielle" - au sens où les français l’affectionnent - s’en dégage absolument. Mais c’est que Mélenchon ne sème pas encore : il laboure toujours, dans la jubilation exubérante de son émancipation récente. Et lorsque du fait de ses interventions répétées, de ses formules imparables et de résultats électoraux, il sera devenu incontournable à gauche et sur les plateaux de télévision, alors, comme d’autres avant lui, il se préoccupera de sa stature. A moins qu’à l’image d’un NPA redoutant de grandir puis de gouverner, il ne souffre du pendant politique du syndrôme de Peter Pan. Mais Jean-Luc Mélenchon n’est pas trop Walt Disney dans l’âme : c’est bien trop américain.
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