Jean Mattéoli : la mort d’un résistant à l’esprit de dialogue
Gaulliste de gauche, catholique social, Jean Mattéoli fut un homme qui, tout au long de son existence, s’est inspiré de son courage, de sa détermination et de son ouverture.
Jean Mattéoli est mort à 85 ans le dimanche 27 janvier 2008 à Paris d’un cancer.
L’homme fut peu connu des médias et pourtant, tant en politique qu’en économie, il fut l’un des acteurs majeurs des transformations sociales des trente dernières années.
La Résistance et la déportation
À 17 ans, en août 1940, alors étudiant en droit à Dijon, Jean Mattéoli s’engagea dans la Résistance au sein de réseaux menés par le chanoine Félix Kir (futur député-maire de Dijon). Il fabriquait de faux papiers grâce à sa nomination de rédacteur à la préfecture de Dijon et faisait passer la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre à des prisonniers de guerre, des militaires anglais et des personnalités britanniques (jusqu’en novembre 1942). Il fut arrêté en avril 1944 et fut déporté au camp de Neuengamme puis de Bergen-Belsen. Il fut libéré par les forces britanniques en mai 1945.
En 1946, il se maria avec Christiane (née en 1923 à Dijon) qu’il avait rencontrée avant la guerre dans l’Action catholique et qui l’accompagna dans la Résistance. Six enfants naquirent de leur union.
Une carrière administrative puis industrielle
En 1945, il travailla sur les questions économiques et financières pour le compte du gouvernement, d’abord en Bourgogne, puis en Allemagne (peu de temps après son retour des camps). Attiré par le monde de l’entreprise, il suivit en 1948 son patron d’alors (Émile Laffon) à Douai lorsque ce dernier prit la tête des houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais où il fit une brillante carrière.
En 1968, le gouvernement le nomma à des postes à responsabilités pour s’occuper de la réindustrialisation du Nord-Pas-de-Calais puis des Ardennes.
En 1973, il fut désigné pour présider les Charbonnages de France, succédant à Yvon Morandat (son ami). Très à l’aise dans tous les milieux et bon communicateur, il s’impliqua dans la défense de la mine et du charbon et contribua à ouvrir Charbonnages de France sur le monde des entreprises.
De 1973 à 1979, il fut membre du Conseil économique et social s’occupant plus particulièrement des problèmes économiques généraux et de la conjoncture.
De 1985 à 1990, il fut le patron de la société Tréfilerie et Câblerie d’Alsace.
Un engagement politique au service du gaullisme
D’abord mendésiste, puis centriste en 1956 au sens mitterrandien du terme (UDSR), malgré sa fibre démocrate-chrétienne, il ne trouva pas au MRP un espace politique qui le mettait à l’aise (beaucoup de « démocrates-chrétiens » gaullistes et anciens résistants étaient passés par le MRP avant de s’engager à l’UNR par fidélité au Général de Gaulle, comme Maurice Schumann et Edmond Michelet).
Jean Mattéoli adhéra (donc) au parti gaulliste en 1967 (alors UNR) et s’intégra à ses instances nationales : membre du conseil exécutif de l’UDR de 1971 à 1975, puis du comité central du RPR de 1977 à 1979.
En mars 1983, il fut élu adjoint au maire de Paris chargé du commerce et de l’artisanat, et devint conseiller régional d’Île-de-France de 1983 à 1986 (juste avant les premières élections régionales au suffrage direct consécutives aux lois Defferre sur la décentralisation).
Ministre du Travail sous Giscard
En novembre 1979, le ministre du Travail Robert Boulin, personnalité politique RPR à l’avenir prometteur (on le disait possible futur Premier ministre), fut retrouvé sans vie dans la forêt de Rambouillet (suicide ou assassinat, les doutes subsistent).
Pour lui succéder, le Premier ministre Raymond Barre fit appel à Jean Mattéoli qui s’acquitta de sa tâche de ministre du Travail et de la Participation jusqu’à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing en mai 1981.
Promoteur de la participation, Jean Mattéoli fut notamment l’auteur d’une loi (en 1980) qui rendait optionnelle la distribution de 3% des actions de sociétés (au lieu d’être obligatoire), ce qui est, selon lui, plus dans l’esprit gaulliste de la participation.
Il fit également voter une loi pour renforcer la protection des salariés en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Un président unanimement apprécié du Conseil économique et social
En avril 1987, Jean Mattéoli fut élu président du Conseil économique et social pour succéder à Gabriel Ventejol qui ne souhaitait pas se représenter (à cette fonction depuis 1974, ancien résistant et fondateur de Force ouvrière en 1950) et qui mourut peu de temps après. Il fut brillamment réélu en 1989, 1992, 1994 et 1997 (pour des mandats de trente mois) et quitta sa présidence en septembre 1999 en devenant président d’honneur.
Ce fut dans ces fonctions que Jean Mattéoli a su participer au mieux à la réflexion nationale, notamment parce qu’il fut sollicité à plusieurs reprises par le gouvernement pour y apporter ses contributions.
Un rapport contesté sur l’emploi en France
En septembre 1993, à la demande du Premier ministre Édouard Balladur, Jean Mattéoli présenta un rapport sur les obstacles structurels à l’emploi, dans le but de « recenser les phénomènes qui vont à l’encontre de la création d’emplois ». Il constitua alors un groupe de réflexion où se retrouvèrent notamment Patrick Devedjian, Philippe Vasseur, Michel Godet, Didier Pineau-Valencienne, Claude Bébéar et Alain Minc.
Le « rapport Mattéoli » préconisait la baisse des charges pour les emplois les moins qualifiés et proposait le contrat d’insertion professionnelle (CIP) créé par la loi du 20 décembre 1993 et le décret du 23 février 1994 mais vite supprimé par le décret du 30 mars 1994 et la loi du 8 août 1994 après de nombreuses manifestations d’étudiants et de salariés (en ce sens, cette crise fut nettement mieux gérée que celle du CPE au printemps 2006 par Dominique de Villepin, elle aussi à un an d’une élection présidentielle).
En décembre 1995, le Premier ministre Alain Juppé le choisit comme médiateur dans le conflit qui opposa le gouvernement et les salariés de la SNCF (grèves contre le plan Juppé et contestation du contrat de plan État-SNCF).
Une mission tant attendue sur les spoliations des biens des juifs sous Vichy
En février 1997, Alain Juppé, toujours à Matignon, lui confia la délicate mission de comprendre comment les biens appartenant aux juifs de France ont été confisqués ou volés, tant par l’occupant allemand que par les autorités de Vichy entre 1940 et 1944.
La « mission Mattéoli », initiée par le fameux discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, regroupa des personnalités comme François Furet, Jean Kahn, Jean Favier et Serge Klarsfeld, et acheva ses travaux le 17 avril 2000.
La mission présenta les principales estimations : 1,35 milliard d’euros de confiscations aux juifs (hors pillages) ; 520 millions d’euros de spoliations financières (avoirs bancaires, boursiers, contrats d’assurance) ; 5,1 millions d’euros de prélèvements sur les entreprises et biens immobiliers ; 91 millions d’euros prélevés sur les internés des camps. Le rapport considéra qu’au moins 90% des biens et avoirs avient été déjà restitués depuis la fin de la guerre (ainsi que 45 000 des 100 000 œuvres d’art spoliées).
À cette occasion, Jean Mattéoli fit preuve de beaucoup d’écoute et d’ouverture.
Un exemple en effet : un sociétaire de la SACEM lui fit remarquer qu’aucune disposition sous Vichy n’interdisait aux juifs d’exercer la profession d’auteur compositeur. Il précisa que la SACEM semblait pourtant être plus zélée que le régime, puisqu’elle menaçait même ses sociétaires auteurs et compositeurs « d’internement dans un camp de concentration » en cas de fausse « déclaration d’aryenneté ». Ce sociétaire a finalement convaincu Jean Mattéoli qui décida d’étendre les recherches de spoliations vers la SACEM.
Des hommages quasi unanimes
Titulaire de plusieurs décorations militaires et civiles, Jean Mattéoli avait présidé la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance de 1987 à 1993 et avait contribué à fonder en 1993 la Fondation de la Résistance qu’il présida.
Comme à chaque disparition de grandes personnalités, les hommages se sont multipliés.
Le président de la République Nicolas Sarkozy a salué « le grand résistant qui connut les souffrances de la déportation » et a dit que « la France a perdu un grand serviteur ».
Le Premier ministre (et ancien successeur de Jean Mattéoli de 2002 à 2004) François Fillon a fait l’éloge du « ministre courageux et efficace », « homme de grande valeur et qui inspirait à tous le plus profond respect », insistant sur le fait qu’il « était de ceux qui mettent leur expérience, leur intelligence et leurs qualités de cœur au service de leur pays ».
Son lointain successeur, le ministre du Travail actuel, Xavier Bertrand, a déclaré qu’il avait « toujours su mener de front esprit de résistance et esprit de dialogue » ajoutant que Jean Mattéoli avait mené au gouvernement « une action pragmatique en faveur de l’emploi, faisant face à un contexte économique difficile » et qu’au Conseil économique et social, il avait su « faire jouer pleinement son rôle de concertation et de proposition ». Xavier Bertrand a affirmé également : « Grand résistant, Jean Mattéoli était de ces hommes qui savent affronter les épreuves de l’Histoire et qui, après avoir connu la déportation, choisissent de s’engager dans la reconstruction du pays et sa modernisation économique et sociale. »
Le secrétaire d’État aux Anciens combattants Alain Marleix a remarqué de son côté que Jean Mattéoli « compt[ait] parmi ces personnalités qui ont fait de la France, et de ses valeurs, plus qu’un idéal mais bien une réalité ».
Cependant, deux notes discordantes au tableau.
Le 5 août 1993, le journal L’Humanité critiquait en Jean Mattéoli « l’ex-ministre des licenciements », condamnant le fait qu’il s’était vanté d’avoir accepté de nombreux licenciements entre 1979 et 1981 : « Dans 70% des cas, je donne mon accord pour les licenciements. » À l’époque, il fallait en effet une autorisation administrative pour licencier, qui fut supprimée par Jacques Chirac lors du premier gouvernement de cohabitation en 1986 (aujourd’hui, les seuls licenciements soumis à l’autorisation de l’inspecteur du travail sont ceux des salariés protégés, à savoir notamment les membres des CE et des CHSCT).
Le même journal avait aussi raillé son encouragement, en 1980, à développer le temps partiel et sa volonté de « faciliter l’embauche des jeunes par des exonérations des charges sociales accordées aux entreprises » par des « pactes pour l’emploi » (on voit donc que tout ce vocabulaire n’est pas nouveau).
Un témoignage contesté dans le procès Papon
Mais le plus négatif fut le témoignage de Jean Mattéoli en faveur de la défense dans le procès de Maurice Papon le 25 février 1998 (et pas le « soutien » de Jean Mattéoli à Maurice Papon comme il a été trop souvent mal écrit dans les dépêches de presse).
Un témoignage qui ressemble étrangement à celui de Raymond Barre (sur Agoravox), ce dernier très contesté. Sans doute parce qu’ils furent tous les trois collègues dans le même gouvernement et que les deux hommes (Raymond Barre et Jean Mattéoli) ont toujours cultivé ce sens du devoir au service de l’État. Jean Mattéoli avait en effet déclaré à propos de Maurice Papon : « Doit-on s’étonner de cette assistance donnée à la Résistance, concomitamment à son appartenance à l’administration ? »
À l’époque (en 1998), ce témoignage de Jean Mattéoli avait été très contesté car il présidait en même temps la mission sur la spoliation des biens des juifs sous Vichy.
En juillet 2001, Jean Mattéoli avait cosigné, avec notamment l’ancien Premier ministre et ancien résistant Pierre Messmer (sur Agoravox), l’ancienne résistante Germaine Tillion (sur Agoravox) et l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, une demande de remise en liberté de Maurice Papon (qui fut effective le 18 septembre 2002) où il réaffirma, à propos de Papon : « on fait supporter à ce seul fonctionnaire subalterne le poids de la responsabilité de la Fonction publique sous la contrainte de l’Occupation allemande ».
Une exigence de dialogue et de courage
Malgré cette tache noire, Jean Mattéoli a montré tout au long de son existence qu’on pouvait renforcer la concertation et le dialogue sur les enjeux économiques et sociaux majeurs. Son gaullisme n’était pas partisan, plus social et participatif que politique, et répondait à cet esprit de résistance qui correspondrait à ce refus de la fatalité, celle par exemple que certains avaient cru déceler pour le chômage (« On a tout essayé », François Mitterrand).
Puisse son exemple inspirer les hommes politiques actuels dans la recherche de larges consensus sociaux d’autant plus nécessaires qu’il est indispensable de transformer en profondeur la société pour l’adapter au monde globalisé d’aujourd’hui.
Documents :
Témoignage de Jean Mattéoli sur ses activités de résistants.
Biographie officielle de Jean Mattéoli sur le site du Conseil économique et social.
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