Jérôme Cahuzac, l’épine trichologique de François Hollande
« Il est toujours utile d’ignorer ce qu’il est inutile de savoir. » (Jérôme Cahuzac).
Initialement prévu le 8 février 2016, le procès de Jérôme Cahuzac sur ses comptes bancaires secrets à l’étranger a réellement commencé le lundi 5 septembre 2016 à la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Après de nombreuses audiences, le procureur général a requis ce mercredi 14 septembre 2016 contre l’ancien ministre trois ans de prison ferme. Entre-temps, Jérôme Cahuzac n’a fait que charger ceux qui étaient les plus proches de lui, d’abord Michel Rocard, ensuite son ancienne épouse, et enfin, le Président de la République.
À sa démission, le 19 mars 2013, ce fut Bernard Cazeneuve, l’actuel Ministre de l’Intérieur, qui a repris le Ministère du Budget. Pour sa communication de crise, Jérôme Cahuzac avait fait appel aux mêmes communicants que Dominique Strauss-Kahn lors de l’affaire du Sofitel…
Aussi discréditée soit la parole de François Hollande, lorsqu’on en vient à faire un combat parole contre parole, elle résiste à celle, totalement inaudible, de son ancien Ministre du Budget Jérôme Cahuzac. Pourtant, ce dernier dit peut-être la vérité, qui sait ? d’autant plus qu’il n’a plus de raison, désormais, de mentir, au contraire de son …mentor !
Jérôme Cahuzac fut un chirurgien de renom, propriétaire avec son ancienne épouse, dermatologue, d’une clinique spécialisée dans l’implant capillaire à Paris. Auparavant, il était membre du cabinet du Ministre de la Santé Claude Évin (rocardien) jusqu’à la démission du gouvernement de Michel Rocard, en mai 1991. Il s’est notamment occupé de la loi sur l’alcool et le tabac. C’est à partir de 1992 que Jérôme Cahuzac a ouvert des comptes bancaires, d’abord en Suisse puis dans d’autres pays plus opaques.
L’idée qu’il ait voulu frauder le fisc avec les revenus de sa clinique, aussi élevés fussent-ils, est peu crédible (d’autant plus qu’il n’avait pas encore de revenus de sa clinique). On n’ouvre pas de compte secret pour seulement 600 000 euros mais pour plusieurs millions d’euros. Le couple avait d’ailleurs la capacité (évidemment) de payer ses impôts le cas échéant. Certes, il était question de payer un niveau de vie très coûteux, alors que Jérôme Cahuzac, devenu député de 1997 à 2002 puis de 2007 à 2012, et devenu ministre de 2012 à 2013, gagnait des revenus inférieurs à ceux de son métier de médecin et surtout, de consultant de l’industrie pharmaceutique.
Alors, dès le 5 septembre 2016, Jérôme Cahuzac a lâché un premier morceau, qui a de quoi faire scandale d’autant plus que Michel Rocard venait de mourir au début de l’été : ses comptes avaient pour objectif de faire un trésor de guerre pour financer la future campagne présidentielle de Michel Rocard en 1995. L’entremise privé/public du futur ministre permettait de récupérer de grosses commissions de laboratoires pharmaceutiques, à charge pour lui d’influer sur les autorisations de mise sur le marché de certains produits et sur des retards de déremboursement de certains médicaments.
Beaucoup de rocardiens, plus ou moins historiques, ont été scandalisés par une telle annonce. Cette information était en fait déjà connue depuis plusieurs mois, bien avant la mort de Michel Rocard qui n’a cependant pas eu l’occasion de répondre à ces accusations. Jérôme Cahuzac lui-même a assuré que l’ancien Premier Ministre n’était au courant de rien. Dans le dispositif de campagne de Michel Rocard, Jérôme Cahuzac était pourtant très peu connu et n’était pas un élément déterminant.
Si effectivement Michel Rocard se retrouvait sans structure ni organisation entre 1991 et 1993, sa candidature à l’élection présidentielle suivante ne faisait de doute pour personne, même pas pour Laurent Fabius qui en avait accepté le principe (quoi que cela lui en coûtât).
À partir de 1993, Michel Rocard était premier secrétaire du PS et à ce titre, pouvait disposer de la trésorerie du PS pour financer d’abord sa campagne des élections européennes de juin 1994 puis sa future campagne présidentielle de 1995. Donc, pourquoi avoir besoin d’une source occulte de financement politique alors qu’il disposait d’un appareil partisan riche ? d’autant plus que, comme Premier Ministre, ce fut Michel Rocard qui fit adopter la grande partie de la législation actuelle sur le financement des activités politiques (dons d’entreprise et d’association interdits, dons des particuliers plafonnés, et subventions publiques proportionnelles à l’importance électorale du parti).
Pourtant, Jérôme Cahuzac, qui a menti du 4 décembre 2012 au 2 avril 2013, a paru particulièrement crédible lorsqu’il a expliqué au juge : « Nous sommes au printemps 1991. Les bureaux de la rue de Varenne [QG de Michel Rocard] sont vastes et les collaborateurs nombreux. Il m’est très vite demandé de demander aux dirigeants de l’industrie pharmaceutique s’ils veulent aider Michel Rocard. Certains acceptent. ».
Comme le financement politique par les entreprises était désormais interdit, Jérôme Cahuzac a donc fait ouvrir un compte en Suisse : « Jusqu’en mai 1993, les sommes versées sur ce compte ont servi au financement sauvage des activités politiques de la deuxième gauche. (…) Aujourd’hui, c’est absurde ; à l’époque, c’était banal, tout le monde savait. L’industrie pharmaceutique a financé tous les partis politiques, certains plus que d’autres. ».
Celui qui aurait ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac ne serait autre que l’avocat fiscaliste Philippe Péninque, « aujourd’hui proche conseiller de Marine Le Pen » !
Mais le vice-procureur du parquet national financier n’y a pas cru une seconde : « Après sa défaite historique (en 1994), des laboratoires pharmaceutiques sont prêts à donner un demi-million à Michel Rocard ? ». De plus, le fait que Jérôme Cahuzac ait donné procuration de son compte à son épouse ne renforce pas vraiment la thèse du financement rocardien : « J’ai la conviction que ma femme aurait donné l’argent si quelqu’un le lui avait demandé. ».
En 1993, Jérôme Cahuzac a transféré les fonds dans une autre banque suisse. Ils ne furent jamais mobilisés pour les activités politiques des rocardiens. Aucun mouvement jusqu’en avril 2000 où celui qui est devenu député et chirurgien réputé a transféré deux fortes sommes (en avril 2000 et en juillet 2001) correspondant, selon lui, à des opérations réalisées à l’étranger avec rétribution en espèces (qu’il aurait dû déclarer à la frontière).
Quand le président du tribunal lui demanda si cela ne constituait pas un frein d’être parlementaire, il lui répondit : « La vérité m’accable d’autant plus qu’elle se répétera l’année suivante. ». Le président a poursuivi ainsi : « La question est : Monsieur Cahuzac est-il un homme cynique, duplice, d’une froideur incroyable, pouvant faire une chose et son contraire ? Ou un homme avec d’autres difficultés ? ». Réponse : « Il y a en moi quelqu’un qui a fait ça, ça a révélé cette part de moi-même dont j’aurais voulu qu’elle n’existe jamais. ».
Le 8 septembre 2016, Jérôme Cahuzac a expliqué que si des sommes de quelques milliers d’euros ont été décaissées de son compte en Suisse en 2005 et 2007, c’était pour payer des vacances luxueuses à son épouse qui était en instance de séparation. Visiblement, l’élu socialiste avait une façon assez particulière des relations de couple : « Maintenant que j’ai reconquis mon siège [de député], je vais te reconquérir toi ! ».
Le transfert du compte suisse dans une banque de Singapour en mars 2009 n’aurait eu aucune motivation fiscale selon le banquier mais a eu lieu pourtant précisément après une déclaration de la Suisse de mise en conformité avec les normes de l’OCDE sur l’évasion fiscale applicable à partir du 1er janvier 2010… Pour faire ce transfert, Jérôme Cahuzac, qui allait être le 24 février 2010 le président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale (succédant à Didier Migaud), s’est risqué à se rendre lui-même à Genève pour signer : « Je ne m’attarde pas dans la rue, je marche les yeux baissés, je prie pour qu’on ne me reconnaisse pas. (…) J’aime la vie, j’ai une activité politique dans laquelle je m’épanouis pleinement. J’accepte cette fuite en avant parce que je veux préserver cette vie-là ! ».
Lors de l’audience du 12 septembre 2016, l’ancienne épouse de Jérôme Cahuzac, elle aussi dans le box des accusés, a expliqué que la clinique de trichologie (en grec, qrix qricoV veut dire cheveux), que le couple a reprise en 1996, avait des patients anglais ainsi qu’un compte secret anglais, dont l’épouse a rapatrié les fonds en Suisse en 2007 à son nom. Cet argent n’avait pas de but sinon aider au train de vie de la famille avec trois enfants. En septembre 2011 encore (c’était très récent), une somme de 10 000 euros fut transférée en espèces à Jérôme Cahuzac pour régler le mariage de la fille aînée : « Pendant toute cette décennie [2000], j’ai essayé de concilier mes responsabilités d’homme politique et de mari et père de famille. Ma faute est là, j’ai échoué. C’est cette contradiction qui m’a fait commettre des fautes. ».
S’il était question de la vie conjugale des prévenus la veille, l’audience du 13 septembre 2016 pourrait s’avérer bien plus lourde de conséquences et transformer l’affaire Cahuzac en une affaire d’État très grave. En effet, Jérôme Cahuzac a décrit au juge quelle fut son attitude vis-à-vis de …François Hollande, après les révélations de Mediapart le 4 décembre 2012.
Un premier tête-à-tête a eu lieu à l’Élysée le jour même des révélations mais : « Je n’en dirai rien, jamais. ». En revanche, il s’est montré plus loquace lors de la deuxième conversation sur le sujet avec François Hollande, juste après le conseil des ministres du 5 décembre 2012, en présence du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault. Les deux têtes de l’Exécutif lui ont demandé : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? ». Et Jérôme Cahuzac a déclaré : « Je leur ai répondu : "C’est rien, c’est des c@nneries". Et d’une certaine manière, je ne mentais pas ! ». On notera le don du gouvernement socialiste à ne pas poser les bonnes questions, comme son ministre de tutelle à Bercy, Pierre Moscovici, satisfait à l’époque de la réponse de l’État suisse à sa mauvaise question posée le 24 janvier 2013…
Jérôme Cahuzac a poursuivi ainsi devant le juge, à propos de son entretien avec François Hollande du 4 décembre 2012 : « J’en sors avec la conviction que je dois continuer à faire ce qu’il faut que je fasse. Il ne m’a jamais dit : "Tu es couvert". La question "As-tu oui ou non un compte ?", on ne me l’a jamais posée. Si j’ai menti, c’est par omission. Je n’ai jamais menti au Président les yeux dans les yeux, ça n’est pas vrai. ».
À la question du président du tribunal : « Pourquoi ne vous a-t-on pas posé cette question ? », la réponse était évidente et pourrait être lourde en interprétation : « Il faut demander au Président. ».
En clair, et sous-entendu, Jérôme Cahuzac a laissé entendre, ce mardi 13 septembre 2016, que François Hollande savait ou plutôt, ne voulait pas savoir s’il avait un compte caché à l’étranger, parce qu’il voulait le garder absolument au gouvernement pour défendre au Parlement « trois lois importantes » (dont la LOFL, loi organique relative aux lois de finance) : « Même à un Président de la République, il faut savoir dire non. Je n’ai pas su dire non, et je le regrette, ce n’est pas de sa faute. ». Et de continuer : « La faute que je reconnais, c’est d’être resté en fonction [comme Ministre du Budget]. Je n’aurais pas dû rester en fonction… ».
Comme pour achever de charger François Hollande, Jérôme Cahuzac a ajouté, très ému : « Je mesure que ce que je dis ne va pas passer inaperçu. Mais je suis dans une démarche de vérité. Vous me demandez comment j’ai pu tenir quatre mois [avant d’avouer]. Voilà… ». Et d’ajouter, à propos de François Hollande : « Je lui reconnais le droit d’avoir agi de manière à ce que ma vie soit broyée, complètement broyée. ».
Terribles aveux qui pourraient mettre très mal à l’aise l’Élysée mais dont la crédibilité est telle que les médias ne les ont pas pris au sérieux…
Le procès se termine ce jeudi 15 septembre 2016. Jérôme Cahuzac risque sept ans de prison et une amende d’un million d’euros. Ce procès sera pour les futurs étudiants en droit très certainement un sujet d’analyse récurrent.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu
(Le contenu des dialogues durant le procès est principalement tiré des comptes rendus de Marie Barbier, journaliste à "L’Humanité", dans ses intéressantes "Chroniques de palais").
Pour aller plus loin :
Le procès Cahuzac.
Le scandale Cahuzac.
Le scandale Tapie.
François Hollande.
Manuel Valls.
Jean-Marc Ayrault.
Pierre Moscovici.
Michel Rocard.
L’affaire Cahuzac.
Faut-il interdire le mensonge ?
Transparence et vie privée…
Le patrimoine des ministres (à télécharger).
Un homme intègre et visionnaire.
Moralisation de la vie politique.
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