L’Auto. La Fraude
Voici la traduction d'un éditorial du Spiegel daté de ce jour (25 IX 15), signé Jakob Augstein et consacré à la Fraude de Volkswagen. Le capitalisme en général, et celui allemand en partticulier, en sort passablement éreinté.
Reste que si le mensonge et la tromperie sont inhérents au capitalisme, comme le donne ici nettement à penser notre cher Herr Augstein, alors il nous faut en finir théoriquement et pratiquement avec la cupîdité ou l'amour du lucre qui en est la pulsion ou passion fondamentale. Et donc abandonner l'idée chère aux conservateurs comme aux socialistes (! !!) de France, d'Allemagne, d'Europe et du Monde, que seuls la croissance et l'accroissement de la richesse constituent la panacée universelle à tous les maux de l'humanité. Fi donc du Profit, vive le Partage ! A bas l'Argent, vive l'Amour ! Ou, pour faire image et rester dans le cadre européen, abandonnons les calculs économico-politiques de Frau Merkel, et plions-nous aux injonctions morales et métaphysiques du pape François. !
LA VOITURE. LA FRAUDE.
"Das Auto" (La voiture). Tel est le slogan de VW. Juste deux mots, très sûrs d'eux. Dont maintenant nous pouvons tirer deux autres : La Fraude.
VW a vendu des millions de voitures qui polluent bien plus qu'annoncé et que permis. Et pour que nul ne s'en aperçoive, VW a équipé ses véhicules d'un logiciel dont le but était de camoufler cette tricherie. VW n'est pas une entreprise quelconque. Par son histoire, sa taille, et son actionnariat particulier, elle est l'entreprise allemande par excellence. Et donc, si VW peut frauder, alors l'Allemagne elle-même le peut aussi. C'est pourquoi ce scandale touche la conscience allemande au coeur même de son estime de soi.
Que dire d'une entreprise qui mobilise toute sa puissance - sa technologie - pour contourner la Loi ? Et qui sont ces gens qui s'en vont travailler chaque matin pour mettre à mal le Droit ? Ce n'est pas là le comportement criminel d'un individu particulier. C'est la transgression de tout un conglomérat (Konzern) qui a perdu toute mesure. Mais quand le méfait fait partie du métier, il faut parler d'un métier de malfaisance. De même que,quand le crime est bien organisé, on parle de criminalité organisée.
Pourquoi VW a-t-il transgressé la loi ? Par cupîdité. Avec environ 600 000 salariés, 200 milliards de chiffre d'affaires et 119 usines, VW produit 1/8° des voitures vendues de par le monde. Et doit en produire toujours plus.
Le traider américain Ivan BOESKY affirmait dans les années 80 à des étudiants de Berkeley : " La cupidité est tout à fait dans l'ordre des choses. Vous devez en être certain et j'en suis sûr, la cupidité est une bonne chose. Vous pouvez être cupides et vous en portez très bien". BOESKY fut ensuite condamné pour délits boursiers à 3 ans et demi de prison et 100 millions de $ d'amende. C'est lui, sous le nom de Gordon GEKKO, dont Oliver Stone a fait un portrait mémorable dans le film "Wall Street".
Eh bien, il n'y a aucune différence entre VW et BOESKY.
Après le fameux éclat LEHMAN, un certain 15 septembre 2008, qui vit le krach d'une banque d'investissement newyorkaise entraîner la désolation de toute la finance internationale, il y eut, ici en Allemagne une fierté et un orgueil allemands à peine voilés. Là-bas, les malversations et tergiversations de la finance anglo-saxonne globalisée. Ici, le cadre réglementaire clair et ordonné de l'industrie allemande. Avec, toujours en arrière-fond, la différence malfamée qu'avait faite Joseph GOEBBELS dans son "Petit ABC du National-Socialisme" entre le capital "profiteur" (raffend) et le capital "créateur".
Mais c'est là une auto-mystification. L'idée qu'il y aurait un bon capitalisme et un mauvais est une pure illusion. Et une prétendue supériorité de l'Industrie sur la Finance n'est que naïveté. L'amoralité est partie intégrante de l'entreprise en soi. Les hommes ont (le plus souvent) une conscience morale (Gewissen). Les Firmes n'en ont aucune.
Plus c'est grand, mieux c'est
En un long article sur l'éthique d'entreprise paru dans 'The Economist" on pouvait lire : "Les entreprises qui mentent et trichent ne peuvent pas espérer durer longtemps, même si leurs activités demeurent apparemment légales". Nous savons aujourd'hui que c'est le contraire. Mais c'est ainsi que les gardiens du Graal de l'idéologie libérale se jettent à eux-mêmes de la poudre aux yeux.
Joël BAKAN, juriste et cinéaste canadien, a démontré, dans son grand livre "The Corporation", comment au XIX° siècle le Droit américain en est venu à penser les firmes comme des individus agissants. Dans le Droit allemand, la séparation entre personnes physiques et personnes morales n'a été accomplie que tardivement. Mais il y a justement une différence considérable entre les personnes physiques qui ont une conscience morale et les personnes dites "morales" qui n'en ont pas.
Les hommes sont confrontés à leur conscience morale. Elle les tracasse et les turlupine. Et ils veulent l'apaiser. Sans elle, il n'est pas de santé mentale possible.
Un homme sans jugement moral entre dans le cadre de la psycho-pathologie. Quels sont les symptômes d'une personnalité psycho-pathologique ? Un discours en trompe-l'oeil au charme superficiel, une hyper-estimation de soi, des mensonges aberrants, un comportement trompeur et manipulateur, une absence de culpabilité, une froideur des sentiments, un manque de préparation et de responsabilité à l'égard de ses propres actes.
N'est-ce pas là précisément l'être même du grand conglomérat, pour qui plus c'est grand, mieux c'est ? Et grand, VW l'est bel et bien....
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