L’élection de 2017 est assez facile à comprendre
Pas un jour sans qu’un média de masse ne titre sur une campagne présidentielle folle, indécise, inédite, incompréhensible, surtout pour les journalistes étrangers. Nos éditorialistes décontenancés accumulent les poncifs et se complaisent dans le commentaire sportif. Le match à deux est devenu un match à quatre. Il y aurait un vote caché, sorte d’équivalent politique de la matière sombre dans l’univers. L’absence d’éclaircissement philosophique traduit un déclin avéré de la pensée française et du reste commenté dans le dernier numéro de Courier international. Pourtant, ce qui se passe est assez évident.
En guise de préalable, il faut constater que depuis un ou deux siècles, la vie politique française est déterminée par les idéologies et les partis. C’est d’ailleurs Destutt de Tract, philosophe français, qui fut l’un des premiers à se réclamer de l’idéologie conçue comme méthode pour tout rationaliser dans la vie publique et économique. La France est un pays moderniste, qui possède les atouts et les inconvénients d’une approche basée sur la raison. C’est le pays des bâtards de Descartes, Voltaire mais aussi Kant. Place au rétroviseur historique.
1._ Mai 68. L’après guerre s’est organisée sur les décombres de Vichy avec les anciens de la Troisième République, vite supplantés par une co-gestion très houleuse entre le parti gaulliste et le parti communiste. Cet épisode nous conduit de 1958 à 1968 avec les événements qui ont poussé vers la sortie Charles de Gaulle. On oublie aussi que mai 68 a été le début du déclin communiste. Ce n’est pas Mitterrand qui a liquidé le PC. Le parti de George Marchais allié à la puissante CGT s’est liquidé tout seul en se déphasant progressivement de la société. Dany le rouge est celui qui nargua un CRS de la police gaullienne sur une célèbre photo et c’est le même qui lança l’anathème de crapule stalinienne à l’encontre des communistes et dont se réclama le mouvement Grapus fondé en 1970 dont l’objectif était de changer la vie.
2._ 1969-1981. Changer la vie, de Pompidou à Giscard. La France a vécu une transition mettant à distance le gaullisme ainsi que le communisme alors que l’individualisme germait. Chaban-Delmas avait en tête l’idée d’une nouvelle société. Sorte de way of life à la française. Le groupe Ange proposait une pop rock bien française en 1971. Giscard le centriste a réalisé une partie du chemin. Dans un contexte de crise pétrolière.
3._ 1981-2007. La guerre froide entre le PS et le RPR. L’élection de Mitterrand a achevé la transition post-gaulliste en installant l’alternance et la bipolarisation en France. Deux partis ont dominé la scène politique pendant quatre mandatures. Ce sont le PS et le RPR, avec des formations d’appui. La gauche plurielle a embarqué le PC, les Verts en conservant les radicaux. Le RPR a été secondé par le centre et les libéraux. Pendant cette période, le monde a complètement changé. Le numérique est arrivé, l’URSS s’en est allée, la Chine s’est éveillée. Et les Etats-Unis devenus superpuissance. La gouvernance par alternance entre le PS et le RPR a été secouée par deux événements. La dissolution de l’Assemblée par Jacques Chirac en 1997 et l’éviction de Lionel Jospin lors de la présidentielle en 2002.
4._ 2007-2017. La fin des deux blocs. Nicolas Sarkozy s’est fait élire en promettant une rupture du reste nécessaire. Mais sa politique est restée cadrée dans les normes du passé. François Hollande n’a rien fait de plus que du Mitterrand réchauffé, avec une période idéologique et une période réaliste. C’est la fin de cette guerre entre le PS et le LR qui semble se dessiner. Les primaires ont placé dans la course deux prétendants qui se sont radicalisés. Benoît Hamon et François Fillon. C’est en quelque sorte logique puisque les électeurs des primaires sont les plus déterminés dans l’idéologie. Le PS et le LR se sont déphasés de la société.
5._ 2017, les trois appels du Dasein. Trois candidats ont maintenant émergé dans la course. Une première analyse permet de tracer la transition depuis une gouvernance solide avec deux blocs vers une adhésion fluide, pour reprendre la thèse de la société liquide du sociologue Bauman. Les électeurs flottent. Ils sont dans un supermarché des offres politiques, cette idée étant reprise de la thèse du supermarché des religions énoncée par le facétieux Dalaï-Lama.
Heidegger se plairait à entendre l’appel du Dasein historial mais pas avec une seule voix. Emmanuel Macron, Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon constituent les trois tonalités de l’appel historial, trois notes très dissonantes mais qui sont entendues par deux tiers des électeurs si l’on en croit les sondages (24 plus 24 plus 19). Le message est clair. Il ne reste qu’un quart des Français en disposition de voter pour entendre les discours idéologiques du PS et du LR (17 plus 9).
La désaffection face aux partis traditionnels se traduit par un déclin des votes idéologiques au profit de votes géographiques. Les centres-villes gentrifiés sont tentés par le pragmatisme de Macron ou l’idéalisme rêveur et gratifiant de Mélenchon avec des zones conservatrices privilégiant le LR. Les cités et les zones urbaines déclassées oscillent entre l’abstention et le vote FN et c’est aussi le cas pour les zones rurales. Ce vote s’explique facilement. Les gens sont déterminés par leur manière d’habiter, par leur vécu, plus que par des éthiques idéologiques comme par le passé. Le vote est géographique autant que phénoménologique (au sens de Husserl). Macron est poussé par le culte de l’entreprise, de la conquête numérique. Marine le Pen est une sorte de père protecteur laissant accroire qu’il est possible d’installer un système fermé et protégé. Les déclassés tentés par le FN ne sont pas anti-systèmes. Ils rêvent tous d’entrer dans le système. Mais comme le système ne peut pas les absorber alors ils croient en un alter-système, celui de la patrie protectionniste et narcissique. La France insoumise n’est pas très sérieuse. La sixième république risque d’être une régression vers la quatrième, avec le contexte de crise internationale et la guerre des partis. C’est une idée rétrograde et dangereuse. Les sympathisants de Mélenchon ressemblent parfois aux figurants d’une farce révolutionnaire. Sorte de joyeux nihilisme gauchisant et bruyant mettant un peu de chaleur dans cette campagne assez terne. Avec un malaise généralisé dans les zones délaissées.
Dans l’ensemble, les citoyens ne sont plus en phase avec les grands récits. Ils sont devenus les consommateurs et producteurs d’un système et attendent du politique qu’il améliore leur situation. Et c’est légitime pour les millions qui vivent dans la pauvreté et la précarité. C’est pour cette raison que les discours de Hamon et Fillon ne sont plus entendus, pour des raisons différentes. Hamon n’est pas crédible et Fillon ne fait pas rêver avec son idée de France redressée et droite. A l’inverse, le Pen a su se rendre crédible auprès des déclassés en imaginant une bulle protectrice, Mélenchon a su faire rêver et Macron suscite des espérances. Le tableau est complet.
Il n’y a pas de Dasein historial résolument authentique à venir et c’est peut-être une bonne nouvelle. Juste des voix et des paroles qui se font entendre. Les pensées disponibles sont sans doute inopérantes, pour ne pas dire foireuses. Que ce soit le développement durable, la transition énergétique, la technophilie, les colibris, le patriotisme, sans oublier les idéologies altermondialistes, Attac, nuit debout. Même Edgar Morin ne parvient pas à nous éclairer dans la complexité et le processus des émergences historiques qui n’émergent pas encore. Même une grande pensée ne permettra pas de traverser cette grande crise de civilisation.
C’est la fin de la métaphysique et de la technique, la fin de la modernité transcrite en flottement politique en 2017. La politique apporte ce que les gens n’ont pas forcément demandé. Les gens demandent ce que la politique ne peut pas leur apporter. Le trio Mélenchon, Macron, le Pen, montre que les politiques et les gens peuvent s’entendre à travers trois paroles. Mais il est plus facile de s’entendre que de réaliser des choses. Et la destination de l’homme ne se réduit pas à l’installation d’un monde. Installer un dispositif c’est bien, habiter c’est mieux. Construire non pas des logements mais une maison pour y être et un monde pour aller de chemins en chemins. Ce n’est plus vraiment du ressort de la politique mais de la poétique.
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