Mardi
14 mai 2013 :
Affaire
Guéant : un virement suspect en provenance de Jordanie.
D’où
provient l’argent repéré lors des perquisitions au cabinet et au
domicile de l’ex-ministre de l’Intérieur ? L’Express révèle que
l’ancien ministre de l’Intérieur a reçu un virement de 25 000
euros, versés depuis la Jordanie.
Claude
Guéant, Muammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, à Tripoli, en juillet
2007. Le financement de la campagne présidentielle de 2007 est
désormais au coeur de l’enquête dont l’ex-secrétaire général de
l’Elysée fait l’objet.
Claude
Guéant ne répond plus. Pris dans la tourmente des révélations du
Canard enchaîné concernant des mouvements de fonds sur ses comptes,
l’ancien ministre de l’Intérieur a choisi de ne plus s’exprimer. Et
de ne plus se perdre dans des déclarations maladroites mettant en
péril sa défense. Il réserve désormais ses explications aux juges
d’instruction Serge Tournaire et René Grouman. Elles risquent d’être
longues, au regard du résultat des perquisitions effectuées, le 27
février, au domicile et au cabinet d’avocats de l’ex-ministre.
Comme
L’Express peut le révéler, les trouvailles des policiers et des
juges ont été nombreuses et intrigantes. Elles ont commencé d’une
manière pour le moins inattendue. Quand, le matin du 27 février,
les enquêteurs débarquent avenue George-V au cabinet de Me Guéant,
ils viennent perquisitionner dans le cadre de l’affaire Tapie. Le
rôle de Claude Guéant dans l’arbitrage rendu en faveur de l’homme
d’affaires est l’objet de leurs investigations. Sur place, ils
découvrent des indices en liaison avec une autre enquête explosive
portant sur un éventuel financement illégal de la campagne
présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007, par la Libye du colonel
Kadhafi.
Les
juges s’emparent d’abord de deux notes manuscrites à en-tête du
ministère de l’Intérieur. Ces documents évoquent des relations
régulières entre Claude Guéant et plusieurs personnes connues du
régime libyen : les hommes d’affaires Zyad Takieddine - avec lequel
il est fait mention d’un dîner -, Alexandre Djouhri et l’avocat
Robert Bourgi. Un téléphone portable de l’ancien ministre est
également saisi.
Ces
découvertes provoquent alors deux perquisitions, ordonnées par le
parquet de Paris, l’après-midi du 27 février, au même endroit et
au domicile de l’avocat. Cette fois, la prise est encore meilleure.
La consultation des comptes bancaires à la BNP de Claude Guéant
dévoile l’existence d’un virement de 500 000 euros en provenance de
Malaisie. Pour justifier ce montant, l’ex-ministre déclare avoir
vendu en 2008 deux tableaux d’un petit maître flamand du xviie
siècle, Andries Van Eertvelt (1590-1652).
L’Express
est en mesure d’indiquer qu’un autre virement suspect a été
découvert à la même occasion. Il s’agit cette fois d’une somme de
25 000 euros versée depuis la Jordanie, à l’origine inexpliquée.
L’attention des juges est également retenue par des factures payées
en liquide à partir de 2002. Le volume de celles-ci augmente
singulièrement entre 2007 et 2009. Dès la perquisition, Claude
Guéant fait référence à des primes de cabinet. Celles-ci ayant vu
leur régime modifié depuis le début de 2002, l’explication laisse
les enquêteurs sceptiques. Pourtant, c’est celle que réitérera
l’ex-secrétaire général de l’Elysée lors de ses nombreuses
interventions médiatiques. Chaque fois, il prend soin de préciser
qu’en tout état de cause ces sommes n’ont rien à voir avec la Libye
et un éventuel financement politique.
Pourtant,
l’examen du portable de Claude Guéant permet la découverte de
numéros répertoriés en lien direct avec la Libye. Y figure celui
de Moussa Koussa, chef des services de renseignement du colonel
Kadhafi, aujourd’hui réfugié au Qatar. On y trouve aussi « Zyad »,
le prénom de Takieddine, et le patronyme de Djouhri. Ce dernier,
proche de Guéant depuis 2006, a eu plusieurs conversations avec lui
peu de temps avant la perquisition. Enfin, quelques mots manuscrits
se réfèrent à plusieurs rendez-vous avec Zyad Takieddine et
Alexandre Djouhri, toutefois sans précision de date.
L’ancien
ministre ne s’attendait sans doute pas à ce qu’une telle tempête
judiciaire s’abatte sur lui. Depuis sa défaite aux élections
législatives en juin 2012, il s’est replié sur le développement de
son cabinet d’avocats, notamment en direction de l’Afrique. En fait,
ses ennuis ont pour origine les déclarations à la justice de
Takieddine. Ce riche intermédiaire libanais a longtemps fait
profiter Claude Guéant de son volumineux carnet d’adresses au
Moyen-Orient et en Libye, comme l’attestent les documents saisis en
perquisition. Mais les relations entre les deux hommes ont viré au
noir, lorsque Takieddine a soupçonné son interlocuteur de lui jouer
un mauvais tour. Le 5 mars 2011, il est arrêté, de retour de Libye,
à l’aéroport du Bourget, avec 1,5 million d’euros en liquide. Pour
lui, la désagréable surprise est signée Guéant. Dès lors, il ne
cesse de proférer des menaces à l’encontre du ministre et de
Nicolas Sarkozy.
En
juin 2012, il confirme aux policiers l’existence d’un soutien occulte
en 2007, tout en n’en apportant pas la preuve. En décembre 2012,
devant le juge Renaud Van Ruymbeke, qui l’interroge dans le cadre du
volet financier de l’enquête Karachi, il précise ses accusations,
en visant plus particulièrement Claude Guéant. Takieddine mentionne
les visites à Paris de Bachir Saleh, un proche de Kadhafi, surnommé
« le Caissier ». Selon lui, trois sociétés françaises
auraient obtenu près de 100 millions d’euros à l’occasion des
commémorations, en septembre 2011, de l’arrivée au pouvoir du Guide
libyen, sans avoir pourtant effectué de prestations réelles. Il
dénonce le fils de Claude Guéant comme l’un des bénéficiaires de
cette manne.
Ces
déclarations troublantes sont transmises au parquet de Paris par le
juge Van Ruymbeke, qui n’est pas saisi de ces faits. Une nouvelle
audition est alors organisée, le 5 février 2013. Takieddine ne cède
rien. Selon lui, la Libye de Kadhafi a bien aidé le candidat
Sarkozy, et Claude Guéant supervisait personnellement ces
opérations. Ce dernier, d’après l’intermédiaire libanais, aurait
même été le destinataire des versements à Genève, via Bachir
Saleh et l’ancien Premier ministre libyen Al-Baghdadi al-Mahmoudi,
extradé de la Tunisie vers son pays d’origine en juin 2012. Une fois
de plus, l’homme d’affaires n’apporte pas de preuve indiscutable à
ses dires.
Afin
de vérifier le bien-fondé de ces fracassantes accusations, le
procureur lance une série de commissions rogatoires internationales
à destination de la Libye, du Qatar, de la Tunisie et de la
Mauritanie. Mais c’est le croisement inattendu des dossiers Tapie et
Libye qui rallume les projecteurs sur le cas Guéant, lors de la
première perquisition du 27 février. Après une réflexion de plus
d’un mois et demi, le parquet décide finalement l’ouverture d’une
information judiciaire confiée à Serge Tournaire et René Grouman,
le 19 avril, pour "abus de biens sociaux, faux et usage de faux,
trafic d’influence, corruption active et passive et blanchiment".
Les
amitiés de Claude Guéant vont-elles lui coûter cher ? Car Zyad
Takieddine risque de ne pas être le seul dans le viseur des juges.
Au regard des éléments déjà rassemblés, ils se pencheront aussi
sur le cas d’Alexandre Djouhri et de l’avocat Robert Bourgi, bien
connu pour ses réseaux africains. Celui-ci n’a-t-il pas la
maladroite habitude de se prévaloir, lorsqu’il est entendu par les
policiers, de ses liens avec l’ancien ministre de l’Intérieur ?
Quant
à « Alex » Djouhri, il n’a pas besoin de revendiquer cette
amitié. Claude Guéant en a fait lui-même publiquement état à
maintes reprises. En dépit de sa réputation quelque peu sulfureuse,
il trouve l’homme « très séduisant ». "Je l’aime bien.
Je le vois à peu près tous les mois. Il connaît la terre entière
et il est d’une grande réflexion", nous confiait le ministre de
l’Intérieur en 2011. A l’origine proche des cercles chiraquiens et
de Dominique de Villepin, cet homme de 54 ans toujours très élégant,
vivant entre Londres et Genève, a réussi l’exploit de faire son
trou dans la Sarkozie. Djouhri a mis au service de ses nouveaux amis
ses relations internationales, en particulier avec la Libye.
L’ex-secrétaire
général de l’Elysée a pour sa part su convaincre Nicolas Sarkozy
qu’il gagnait à être connu, à tel point que l’homme d’affaires est
devenu un visiteur régulier du Château pendant le quinquennat.
Comme le montrent les agendas de l’ancien président de la
République, dont L’Express a eu connaissance, au moins quatre
rendez-vous ont été organisés : le 6 juin 2007, le 31 octobre 2008,
le 12 octobre 2009 et le 4 juin 2010. Ces rencontres, en général
d’une trentaine de minutes, avaient été précédées par un premier
rendez-vous avant la victoire présidentielle, le 8 février 2007.
Quelle pouvait bien être la teneur de leurs conversations ?
Naguère
tout-puissant, Claude Guéant - que l’on surnommait à l’Elysée le
« Cardinal » - s’apprête à vivre des temps difficiles.
Préfet jusqu’au bout des ongles, le ministre de la police n’avait
pas la réputation d’un homme d’argent. Mais les dernières
découvertes laissent apparaître une part d’ombre, contrastant avec
l’image du haut fonctionnaire austère au service de l’Etat. Le voilà
contraint de s’expliquer. Il n’est pas certain qu’il puisse s’en
sortir avec la vente des tableaux et les primes de cabinet...
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/affaire-gueant-un-virement-suspect-en-provenance-de-jordanie_1248480.html