L’être et l’avoir : deux conceptions politiques
L’être et l’avoir sont deux notions que François Bayrou a opposées lors de cette campagne présidentielle pour différencier sa vision et son projet du programme de Nicolas Sarkozy. Seulement, il est très difficile de prouver en politique en quoi l’être s’oppose à l’avoir. Il est bien plus aisé de faire la démonstration de force, de puissance, de volonté de réussite par des mises en scène reposant sur des moyens importants. Pourtant, les deux notions tracent bien deux directions qui se contredisent. Ceci est une tentative d’approche théorique de la question.
C’est quoi « être » ?
Etre ne se conçoit que dans la relation aux autres. Cette relation aujourd’hui est souvent malade : l’atomisation de la société défait le lien social et nuit aux solidarités verticales (intergénérationnelles) comme horizontales (relations interindividuelles). Elle est encore plus défaillante entre les gens dits normaux et les gens très différents.
Etre, c’est aussi penser avec son libre arbitre, se montrer capable de déjouer les dangers qui réduisent notre être pensant, dangers qui viennent autant de l’intérieur que de l’extérieur.
Le danger interne : Nous sommes notre propre danger quand nous laissons notre inconscient nous dicter des mots d’ordre qui nous viennent de l’enfance, comme : « sois parfait ! », « sois fort ! », « dépêche-toi ! » Sarkozy montre par bien des aspects de sa politique qu’il faut se montrer fort et qu’il faut se presser. Il tend à imposer sa conception dictée par ces mots d’ordre à notre société. La glorification de la volonté et les exigences posées par ces mots d’ordre empêchent l’être de réagir naturellement aux circonstances, en ne lui permettant pas de rester lui-même. Outre les mots d’ordre de notre inconscient, de nature impérative, il y a les injonctions qui sont, elles, faites de formulation négatives : « ne fais pas confiance et ne délègue pas ! ». Sarkozy n’a pas caché sa défiance envers certains professionnels et ne montre pas de grandes capacités à déléguer : ne citons que deux exemples récents : la nomination de trois dirigeants de parti plutôt que l’élection du chef de l’UMP, la prise en main surprenante du dossier de l’éducation.
Le danger externe : ce danger n’est pas moins présent aujourd’hui. Nous avons vécu longtemps sous la vertu de la pensée de gauche qui imposait ses codes moraux (injonctions et interdits). Pour rappeler brièvement ici : l’injonction compassionnelle, la valorisation des états victimaires, de révoltes, l’interdit pesant sur des idées jugées taboues ou dangereuses voire nauséabondes comme la nation, le profit, le travail. Nous somme passés de cette idéologie à l’idéologie opposée : la valorisation du travail, de l’argent et de la réussite qui s’affiche, la fierté nationale, le rejet de toute compassion, de la victimisation, de la repentance, etc. Je ne relève ici que quelques exemples, chacun pourra compléter l’une ou l’autre liste. Et voilà le danger ! On prétend nous imposer d’en-haut un modèle de valeurs dominantes destinées à modeler nos esprits et notre manière de vivre ensemble. "Ensemble" ou les uns contre autres ?
Pouvons-nous "être" si nous sommes soumis à ces tiraillements liés à la dualité politique que nous subissons ? C’est là la première démonstration qu’a voulu nous enseigner François Bayrou : un démocrate doit savoir être pour pouvoir s’affirmer et dire quand il est d’accord avec ce qu’il juge conforme à ses valeurs et quand il n’est pas d’accord, sans se rattacher à un système de valeurs teintées d’idéologies, autrement dit en se rendant autonome de la pensée de gauche et de la pensée de droite. Le centre, c’est cela : garder son centre, c’est se conformer à son for intérieur.
S’autoriser à être :
Dans notre culture, peu de gens pensent être aimés pour eux-mêmes. Pour cette raison, ils recherchent la réussite ou jouent un personnage pour mettre en avant le « faire ». Nous sommes aimés pour ce que nous faisons et pas pour ce que nous sommes. Ainsi faut-il travailler plus pour être aimé, se lever tôt, faire des heures supplémentaires, prouver que l’on produit des résultats. Cette attitude entraîne une perte d’authenticité. Et c’est tout cela qui est encouragé auourd’hui. Or, quel meilleur garant au contraire de l’expression de notre être que l’authenticité ?
S’autoriser à être c’est, comme l’a démontré l’analyse transactionnelle, laisser s’exprimer en nous les trois états du Moi que sont : notre "moi enfant" (siège de la sensualité, de l’imagination, de la spontanéité), notre "moi adulte" (la neutralité, l’objectivité, l’état dépassionné) et notre "moi parent" (la transmission du modèle éducatif de l’autorité et de l’amour, le jugement moral et la normativité). Mais aussi apprendre à réprimer les excès de ces états, en ne se posant pas en « enfant » soumis ou victime, en ne jugeant pas trop sévèrement en « parent », en développant l’adulte qui doit veiller aux appels de nos états d’enfant ou de parent et les favoriser ou les réfréner selon les cas.
L’être et l’avoir : quelles valeurs ?
L’avoir a pour valeurs le mérite, le travail, l’argent, le pouvoir, la consommation. Cela passe par le désir de possession et l’agressivité. Toujours faire la preuve que l’on a de la valeur, voire même qu’on en a plus que les autres, que l’on est « le meilleur ». Une personne saine n’a nul besoin de prouver constamment sa valeur. Elle recherchera plutôt à progresser et à faire progresser l’autre, à partager l’émotion comme le savoir. Dans l’avoir, la preuve que l’on veut donner de sa propre valeur peut aller jusqu’à la stigmatisation d’autres personnes. Cela peut aller jusqu’à l’humiliation, cela passe aussi pas l’instrumentalisation du sentiment de honte. Ce comportement est révélateur de doute sur ses propres valeurs. Si l’on est sûr de ses valeurs, on n’a nul besoin d’exercer une pression morale sur autrui.
L’être privilégie plutôt la sensation et la richesse de la relation. Il y a perte du sentiment d’être lorsque l’avoir prend le dessus mais aussi lorsque nous sommes trop attachés, trop conscients de notre apparence et de l’effet que l’on produit.
Apprendre à « être » en démocratie comme dans la vie, c’est refuser de se laisser définir par les autres, s’affirmer par un « oui » ou un « non » mais sans agressivité si possible, tolérer la différence, la diversité, le débat, observer le monde sans le déformer (sans y projeter nos peurs ou nos désirs), apprendre à en accepter la réalité pour mieux agir et le transformer. Cesser de blâmer l’autre (la gauche, la droite, ou des catégories d’individus : les riches, les étrangers), cesser de construire ici en détruisant là, penser et agir en citoyens responsables. C’est tout le sens de la démarche de Bayrou et du Mouvement démocrate. Et on le voit, quand on prend le temps de bien y penser, ce n’est pas rien ! C’est même tout ce qui fait la différence...
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