L’imposture des sondages
Les élections régionales ont rendu leur verdict dimanche soir, avec une légère victoire électorale de la Droite (7 régions remportées), une « limitation de la casse » pour la gauche (5 régions remportées), et surtout un échec du FN qui ne remporte aucune région. C’est donc la fin de plusieurs semaines de supputations, hypothèses, et autres analyses alimentées par des sondages d’opinion. La place du sondage dans ces élections était centrale. Omniprésents dans le débat politique et public, personne ne les conteste, pourtant, les sondages ont tendance à se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas…
Le sondage est aujourd’hui très présent en France, puisque la France est le pays où l’on commande le plus de sondages au monde (dans les années 2000, il y avait 2,3 sondages fabriqués par jour). Les sondages concernent différents sujets, en particulier des sujets politiques (élections, cotes de popularités, satisfactions des actions du gouvernement etc…), mais également plus globaux, plus sociétaux (délinquance notamment) et surtout, des études de marché (part majoritaire des sondages).
Ces sondages, très présents que ce soit à la télévision (où l’on invite des sondeurs considérés comme des experts), dans les journaux ou plus globalement dans le débat public sont acceptés par tous ou presque, que ce soit par les journalistes, les politiques, ou encore plus globalement le grand public. Ils font partie du paysage, on ne les conteste pas, et au contraire, les journalistes et politiques s’appuient régulièrement dessus pour construire leur argumentation. Parfois les sondages « se plantent » complétement, comme en 2002, où ils aucun n’avait prévu la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, mais globalement, il est vrai qu’ils donnent les « grandes tendances » des résultats, lors d’élections. Pourtant, en s’y intéressant de plus près, on peut remarquer que les sondages peuvent être contestés et devraient même l’être un peu plus.
Le sondage, un produit commercial
En effet, il s’agit de s’intéresser non pas au chiffres, et résultats des sondages, mais plus à la façon dont les sondages sont fabriqués et à l’objectif de ces sondages. Ce sont les « instituts de sondages » qui fabriquent les sondages avec différentes méthodes de récoltes des données (questionnaires ou entretiens téléphoniques notamment). L’expression « institut de sondage » est une première source de contestation, le mot « institut » est en effet trompeur car on pourrait croire que les sondages ont un aspect officiel (à l’image de l’INSEE) et scientifique. Or ce n’est absolument pas le cas, tous les « instituts de sondages » sont des entreprises privées, des industries, à but exclusivement commercial. Les sondages sont des produits, destinés à être vendus à tout un ensemble d’organismes tels que les partis politiques, les entreprises privées, les médias, les ONG, les associations etc. Ce sont ces organismes qui commandent (et donc payent) les sondages pour ensuite les utiliser. Cette expression « institut de sondage » a pour but de tromper le grand public et de rendre plus « scientifiques » et « officiels » les sondages.
L’objectif des instituts de sondage est uniquement de faire du profit, ce ne sont donc pas des études scientifiques, ni même des études officielles. Pour exprimer cela, on peut citer Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF (syndicat du patronat), qui était auparavant PDG de l’IFOP, principal institut de sondage en France, c’est une sondeuse mais c’est surtout une gérante d’entreprise. L’INSEE (Institut national des statistiques et des études économiques) est le seul organisme de statistiques officiel de l’Etat. C’est également le seul organisme qui interroge la totalité de la population française à travers des recensements, contrairement aux sondages qui interrogent une très faible partie de la population censée représenter la totalité (à travers la méthode de l’échantillonnage représentatif). Cet aspect purement commercial du sondage peut entraîner des conflits d’intérêt. En effet, si le client qui commande un sondage, n’est pas satisfait du résultat du sondage, il va voir un autre « institut de sondage », et le sondeur initial perd donc son client. Il y a donc un risque de « bidonnage » des sondages ou de manipulations des données (et intitulés de ces données) pour satisfaire le client. Cash Investigation, l’émission a de France 2, avait mis en avant un exemple concret, à savoir une « étude » du Credoc, reprise par tous les médias (Journaux télévisés et journaux papiers) qui annonçait le chiffre de 210 000 usurpations d’identité par an, en France. Un chiffre énorme qui a de quoi faire peur, mais ce chiffre est en fait grandement surestimé et basé uniquement sur un sondage à la méthodologie douteuse, où ils regroupent sous le mot « usurpation d’identité » plusieurs délits comme le vol de papiers d’identité ou le vol de cartes de crédits, qui ne sont en fait que des simples vols sans usurpations d’identité. Ce chiffre est d’ailleurs très surestimé par rapport aux chiffres de la Police, qui annonçait environ 11 000 plaintes pour usurpation d’identité en France. Mais le plus intéressant et le commanditaire de ce sondage, puisqu’il s’agit d’une entreprise américain, Fellowes, spécialisée dans la fabrication, et la vente de machines de destructions de données papiers (broyeuses à papier). Ce sondage a donc été commandé pour faire la publicité de son entreprise, pour vendre ces broyeuses, qui sont censées lutter contre l’usurpation d’identité.
Ce sondage présenté partout (médias télévisuels et papiers) comme une « étude » était en fait bidonné et n’avait qu’un but commercial. Il a pourtant été repris par tous les médias sans annoncer sa nature (sondage) et l’entreprise qui l’a commandé (Fellowes).
Le cas de ce sondage est applicable à d’autres sondages, pouvant être commandés par des entreprises privées mais aussi par des partis politiques qui souhaitent se mettre en avant ou qui souhaitent attaquer l’adversaire. Il faut donc prendre du recul quand les médias parlent d’études ou de sondages, et se renseigner sur l’origine du sondage, et la personne ou l’entreprise qui l’a commandé pour l’analyser. Il ne faut jamais oublier que l’unique but d’un sondage est de faire du profit.
Imprécisions dans la fabrication des sondages
Outre les problèmes de conflits d’intérêt, il y a certains problèmes dans les conceptions même des statistiques issues des sondages. Si les méthodes de l’échantillonnage représentatif et du tirage aléatoire sont réputées assez fiables, tous les sondages sont basés sur la sincérité des sondés. Or ce n’est pas forcément le cas, il y a beaucoup de non-réponses, qui ne sont pas prises en compte dans les sondages, mais également de mensonges, car les sondés mentent souvent volontairement et répondent n’importe quoi ce qui falsifie le résultat final du sondage. Les sondages sont donc avant tout basés sur l’incertitude de la sincérité des sondés. Mais les sondés répondent parfois l’inverse de ce qu’ils pensent inconsciemment. En effet, les questionnaires sont parfois perçus comme nécessitant une bonne et une « bonne réponse », les sondés vont donc à l’inverse de ce qu’ils pensent et répondent pour « faire plaisir » au sondeur. C’est notamment le cas du vote FN, qui n’est pas tout le temps assumé. Les sondés préfèrent parfois annoncer voter autre chose que le FN alors qu’en réalité ils voteront FN.
Egalement, les questions posées sont parfois ambiguës et incomprises pour les sondés, ils répondent donc à coté et n’expriment pas ce qu’ils pensent réellement. Il faut savoir que les sondeurs ont des règles très précises (taylorisation du travail) et n’ont pas le droit, par exemple, d’expliquer la question, si elle n’est pas comprise.
Enfin, les sondages sont également beaucoup basés sur des hypothèses. Il y a beaucoup de non-réponses et de refus de répondre. Environ 95% des consultations téléphoniques sont refusées par les sondés. Toutes ces non-réponses sont oubliées des chiffres, et sont considérés comme mêmes réponses que celles de la même catégorie socio-professionnelle. La réponse d’un ouvrier qui refuse de répondre sera considérée comme la même que celle d’un ouvrier qui a répondu. C’est une erreur car l’opinion est bien plus complexe que cela, et le fait de faire partie d’une même catégorie socio-professionnelle n’inclut pas d’avoir la même opinion.
Il y a aussi, des « bidonnages » de ces sondages dans le but de satisfaire le client qui a commandé le sondage. Ainsi les sondages sont purement et simplement trafiqués. Plusieurs sondeurs, comme Jean-Marc Lech, ancien co-président de l’IPSOS, ont été condamnés pour des sondages bidonnés.
Influence du sondage sur « l’opinion publique »
Les sondages sont parfois accusés de manipuler l’opinion publique, surtout lors d’élections. En effet, ce fut le cas lors de l’élection de 2002, où tous les sondages annonçaient un duel Jospin-Chirac au second tour, ce qui a poussé les électeurs à ne pas se déplacer, puisque « les jeux semblaient déjà faits ». Or c’est Jean-Marie Le Pen qui accéda au second tout à la surprise générale. C’était alors un échec des instituts de sondage qui sortaient leur traditionnelle excuse « nos chiffres ne sont pas des prédictions, ce ne sont des pourcentages qui ne sont valables que le moment donné où on réalise le sondage ». Pourtant, et paradoxalement, ce sont les premiers à vanter la fiabilité de leurs chiffres lorsqu’ils prévoient les résultats d’une élection.
Les sondages politiques peuvent influencer le vote des citoyens, et les sondages sociétaux, comme sur les chiffres de la délinquance peuvent « faire peur » ou inciter à acheter (comme pour le sondage sur l’usurpation d’identité).
Le fait que ces sondages sont parfois des chiffres tronqués, ou manipulés (dans un but commercial) est d’autant plus inquiétant quand on voit l’influence importante et centrale qu’ils ont sur l’opinion publique. Il s’agit donc, de « sensibiliser » aux sondages, de davantage se renseigner sur leur origine et leur fabrication, en détail, et donc, plus globalement, de prendre des « pincettes » à leur lecture.
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