L’incendie du Reichstag permanent
Marinus Van der Lubbe a-t-il agi seul ? s’agit-il d’un complot communiste ou a-t-il été manipulé par les nazis lorsque, dans la nuit de ce 27 février 1933, il est capturé par la police dans le Reichstag en flamme ?
Laissons ce débat aux historiens pour nous borner à conclure que, en tout état de cause, l’événement a été utilisé par les nazis, à la tête desquels Hitler, afin de demander et d’obtenir l’abolition des libertés individuelles.
« C’est un signe de Dieu, Herr Vice-Chancelier ! Si ce feu, comme je le crois, est l’œuvre des communistes, nous devons écraser cette peste meurtrière d’une main de fer ! »
- écrit le tout nouveau et très bouillonnant Chancelier Hitler au vice-chancelier von Papen le 28 février 1933.[1]
Il convainc ainsi le président Hindenburg de prendre dès le lendemain, le 28 février 1933, une ordonnance suspendant les libertés civiles garanties par la république de Weimar : liberté d’expression, liberté de la presse, droit d’association, réunions publiques, vie privée (déconfidentialisation des postes et télécommunications, accès aux domiciles et propriétés privées, abandon des garanties de procédure pénale…).
Ce décret est resté dans l’histoire sous le nom de Reichstagbrandverordnung, ordonnance pour la protection du peuple et de l’Etat. Il a pu être qualifié de « Magna Carta » du Troisième Reich : sa loi fondamentale et constitutionnelle.
Intéressons nous ici à la méthode des nazis, qui nous semble riche d’enseignements prophylactiques pour notre temps. Il ne s’agit en aucun cas de comparer le système politique et parlementaire français avec l’Allemagne des années 1930. Les partis politiques présents au Parlement français nous semblent foncièrement attachés au contrat social démocratique et républicain. Mais il s’agit de comparer deux méthodes politiques consistant à mettre en scène, dans des proportions variées, le fait divers. L’incendie du Reichstag constituant l’acmé de cette méthode.
Un militant communiste notoire a été arrêté au sein du Reichstag alors qu’il venait d’y mettre le feu.
Peu importe la vérité, l’abstraction du fait relaté sert la théorie politique des nazis, qui se trouve ainsi justifiée : sus aux communistes, la sécurité intérieure en apparence mais l’avènement du 3ème Reich en réalité, justifient l’abandon des libertés individuelles.
Les ennemis des libertés individuelles – ou tout simplement ceux qui s’assoient dessus, ce qui revient au même – savent qu’ils trouveront toujours dans les faits divers la source de scénarii susceptibles, avec un peu de mise en scène, de susciter un engouement sécuritaire et partant totalitaire : on ne va pas faire la chochotte sur les droits des suspects ni le snob sur son quant-à-soi lorsque la société menace de partir en déliquescence.
He bien si, justement, il n’y a pas de saison pour cela.
C’est au fond la raison pour laquelle les démocraties sont viscéralement attachées à la vérité en politique, partant à la liberté de la presse et à l’indépendance de la justice. La démocratie procède du fait et de la vérité.
Il n’existe certes pas d’esprit animé, comme tel, contre les libertés individuelles au sein de nos élites politiques dirigeantes. Ces libertés sont des éléments majeurs de notre contrat social et l’on ne peut les nier sans s’exclure, heureusement, du jeu politique institutionnel.
Toutefois, il ne suffit pas d’être « l’ami » ou le soutien passif des libertés individuelles pour prétendre défendre ou promouvoir celles-ci.
Comme des fleurs fragiles, elles se fanent immédiatement si l’on n’y prête pas une attention vigilante. La liberté en général et les libertés individuelles en particulier ne souffrent pas la passivité.
Elles s’accommodent mal, en outre, de l’économie libérale posée en principe absolu : la vie privée, la liberté d’accès à l’information, aux sciences et aux arts, la liberté de circulation, le droit à l’enseignement, les droits sociaux des travailleurs, les garanties de procédure pénale, sont autant de limites à la sécurité et à la fluidité du marché des biens et des services.
C’est toute la difficulté de notre époque, basculée dans un monde devenu de facto marché unique avec son espace unique, le web, que de conserver le même niveau de raffinement démocratique, alors que la concurrence fait rage et que l’argent, plus que l’économie, est roi.
Il faut bien constater, au regard de deux années de présidence Sarkozy, que l’on n’est pas très farouche, au sein de la caste exécutive, sur ces libertés fondamentales ni très scrupuleux sur une dangereuse méthode du fait divers.
La minorité pénale à douze ans
Alors que la commission présidée par André Varinard remettait son très sinistre rapport, le 3 décembre dernier, aux termes duquel l’on préconise l’incarcération de mineurs à partir de douze ans[2] - l’on entendait en boucle sur une chaine de radio d’information du service public un reportage sur les ravages d’un jeu qui serait en vogue dans les cours de récréation de nos écoles et collèges, « le petit pont massacreur » : il s’agit d’éviter qu’une balle vous passe entre les jambes, sans quoi les autres participants du jeu vous rouent de coups.
Sans doute ce jeu existe-t-il et sans doute des enfants en ont été victime. Il ne fait pas de doute non plus que de telles pratiques doivent être combattues avec autorité, par les mots, l’éducation et la force nécessaire.
Mais la jonction malheureuse, dans l’information publique, de l’annonce d’un projet politique potentiel visant à incarcérer les mineurs à partir de douze ans, avec de tels faits divers incriminant des mineurs, procède de la logique de l’incendie du Reichstag.
La société de droite à quatre roues motrices, possédante, boursicoteuse et vieillissante, qui fait la majeure partie de la clientèle électorale du président Sarkozy, est effrayée par une jeunesse fantasmée comme sur fond de gangstarap.
La méchante imbécillité qui laisse envisager l’incarcération de mineurs à partir de douze ans, ne permet pas de distinguer la contradiction fondamentale qui existerait alors entre les droits civils et politiques de ces incapables mineurs et leur responsabilité pénale.
La liberté relative et la responsabilité relative des mineurs dans nos sociétés politiques libérales ne permettent pas un instant d’envisager sérieusement un équilibre avec un tel abaissement de la minorité pénale.
Les mineurs ne sont décidément pas victimes des seuls pédophiles : il faut aussi compter les pédophobes qui ne lésinent pas sur les « incendies ».
La loi HADOPI
Pour lutter contre le téléchargement illégal, l’on nous abreuve de rapports émanant d’une des parties en conflit, les producteurs de films et de musique via leurs organes syndicaux ou les distributeurs de ceux-ci, prêchant la catastrophe et la fin, sinon du monde en tout cas de leur monde. Loin de nous l’idée de défendre le contrefacteur ou la contrefaçon ni de nier la nécessité de la protection (mais aussi et surtout de la promotion) des créateurs.
Mais il faut bien remettre en perspective, au plan légal, la liberté d’accès aux œuvres de l’esprit, d’intérêt général, alors que non seulement cet accès mais aussi le rapport entre le public et les auteurs / artistes a muté depuis l’avènement du numérique.
Est-il bien sage pour le gouvernement de légiférer strictement en fonction de la continuité de l’exploitation d’industries qui n’ont pas su et qui ne savent pas prendre le tournant de ces mutations technologiques majeures, que l’on pouvait anticiper voici trente ans ?
Puisque la « piraterie » ou plus exactement le téléchargement illégal serait un fléau antisocial, l’on n’hésite pas à rogner sur les libertés individuelles avec la loi HADOPI : mesures répressives et de nature pénale en dehors de l’autorité judiciaire, constitution de fichiers de données personnelles sans que l’intéressé ait pu faire valoir son droit à rectification ni sa défense, dérogation au principe de la personnalité des délits et des peines …
Ne conviendrait-il pas de sortir de cette affaire « par le haut », à savoir en prenant la mesure des deux intérêts en jeu, la liberté d’accès aux œuvres de l’esprit et le monopole des auteurs ? Il conviendrait alors de mener une étude sérieuse auprès des créateurs, dont les intérêts sont en dualité avec ceux des éditeurs et des producteurs – il faut quand même le rappeler – auprès des usagers, en prenant en compte l’intérêt général lié à l’accès aux biens culturels, et auprès des industries du disque et du film, en déterminant, de façon impartiale, la part du téléchargement illégal et la part des mutations technologiques dans la perte de chiffre d’affaires des producteurs de disques et de films.
La sagesse démocratique voudrait que le débat sur la loi HADOPI soit renvoyé en commission afin d’apporter préalablement au débat la réponse à ces questions après une enquête sérieuse auprès des trois entités susnommées : auteurs et artistes, public (usager), industries du film et du disque.
Le droit d’auteur, ce n’est pas une invention du GATT ni de l’OMC pour instituer des monopoles privés, comme on pourrait avoir tendance à le penser au regard des dernières initiatives législatives en la matière, à l’instigation de lobbys aussi efficaces que nuisibles au bon fonctionnement démocratique.
L’affaire Vittorio de Filippis
L’interpellation, disproportionnée et ignominieuse, au petit matin du 28 novembre dernier, d’un directeur de la publication de Libération, par deux policiers, sur mandat d’amener d’un juge d’instruction afin de comparution pour un délit de presse, a été l’occasion pour le président Sarkozy de dire qu’il comprenait « l’émoi » suscité par cette interpellation.
Nous ne reviendrons pas sur cette affaire, dont il faut, sans doute, trouver l’origine dans la faute qui nous semble commise par le magistrat ordonnateur du mandat d’amener.
Profitant de cette affaire et de cet « émoi » qu’il « comprend », le Président Sarkozy propose un mois plus tard, lors de ses vœux au corps judiciaire, la suppression du juge d’instruction, alors même qu’un comité de réflexion a été installé par la ministre de la Justice le 14 octobre 2008 avec pour objet les codes pénal et de procédure pénale.
L’enquête serait alors conduite par le ministère public, selon « l’idée » du Président Sarkozy, mais sans garantie d’indépendance du Parquet. Quelle régression dans la recherche de la Vérité, ainsi conduite par des agents du pouvoir exécutif.
Pour Nicolas Sarkozy, l’émotion est le facteur légitimant : c’est un travestissement du processus démocratique, dont les libertés fondamentales font toujours les frais.
(A suivre)
[1] Source Wikipedia
16 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON