L’indépendance militaire dans un contexte mondialisé
Intervention de Bruno Castanier, le 9 mai 2015, Alliance Royale
La réflexion dans ce domaine est comme d’habitude tiraillée entre deux bords opposés : d’un côté une idéologie européiste ou mondialiste qui prône l’abandon de toute indépendance militaire au profit d’organismes supranationaux, et de l’autre, une réaction épidermique qui rejette toute intégration militaire internationale comme portant atteinte à notre souveraineté. Dans une perspective capétienne, faite de réalisme et de mesure, il faut pas se laisser enfermer dans cette dialectique, mais au contraire considérer en même temps d’une part, le principe inaliénable de souveraineté, dont l’armée reste le principal attribut, et, d’autre part, le principe de réalité dans un contexte mondialisé où la France n’occupe plus la première place. Si bien que, paradoxalement, pour garantir sa souveraineté, la France est obligée de consentir par réalisme des « interdépendances » militaires. C’est ce que je souhaite développer ici.
Pour les mondialistes, il n’y a pas de doute : l’indépendance militaire est dépassée. D’après eux, la mondialisation des conflits impose une mondialisation de la réponse militaire. Pourtant l’argument est faible. D’abord parce qu’il n’y a pas de « mondialisation » des conflits. Bien sûr, les conflits sont « mondialisés », c’est-à-dire que leurs enjeux dépassent très largement le cadre des zones de combat. Ce n’est cependant pas nouveau. L’actuelle guerre en Irak et en Syrie n’est pas plus mondialisée que ne l’était la première guerre du Golfe il y a vingt-cinq ans, ou que les conflits de la guerre froide auparavant, et, depuis 1945, la plupart des guerres, qu’elles soient régionales (Corée, Indochine, Proche Orient, etc.) ou civiles (Liban, Yougoslavie, Ukraine, etc.), ne sont finalement que les manifestations violentes de conflits mondiaux non déclarés. On ne peut donc pas dire qu’il y ait une « mondialisation », c’est-à-dire une amplification du caractère mondialisé des conflits. Ensuite, parce qu’une « mondialisation de la réponse militaire » n’a pas de sens dans la mesure où la constitution de forces internationales n’est pas possible. En effet, selon le principe de réalité, la politique internationale n’est rien d’autre qu’une question de rapports de force dans lesquels les Etats, impliqués au premier chef, n’ont d’autre choix que de conserver autant que possible leur liberté d’action, donc leurs moyens militaires. L’ONU elle-même, ne croit pas vraiment à des forces internationales, dont on ne sait trop quel en serait le statut, et préfère compter sur l’OTAN (IFOR en Yougoslavie, ISAF en Afghanistan, etc.) ou sur des coalitions ponctuelles (FINUL au Liban, ONUSOM en Somalie, etc.) pour lui « prêter » des moyens militaires.
En revanche, l’idée d’une armée européenne est soutenue par de nombreux politiciens qui y croient fortement et font ce qu’ils peuvent pour aller dans ce sens. Elle leur permettrait en effet d’asseoir l’Union Européenne en tant qu’Etat souverain, l’armée étant, nous l’avons dit, le principal attribut de la souveraineté. Pour y parvenir, deux méthodes s’offrent à eux. La première consiste à créer des unités multinationales permanentes qui serviraient de souche à la future armée. Mais la brigade franco-allemande, créée en 1989 dans cet esprit, est demeurée très symbolique, et le Corps Européen, créé en 1992, auquel participent cinq pays, n’est qu’un état-major sans troupes. La seconde manière, plus subtile, consiste à se servir de l’OTAN comme cadre d’une coopération étroite entre pays européens, débouchant à terme sur une fusion des forces. C’est l’idée exprimée dans le précédent Livre Blanc, celui de M. Sarkozy, qui voulait faire de l’Europe le second pilier de l’OTAN avec les Etats-Unis, et permettre ainsi d’accélérer la fusion des forces européennes. Le Livre Blanc actuel dit la même chose : selon lui, aucune intervention militaire ne peut être engagée en dehors du cadre de l’Union Européenne ou de l’OTAN. Il y a là, effectivement, un réel danger.
Que faut-il en conclure ? Que la France doive sortir purement et simplement de l’OTAN pour conserver son indépendance et refuser toute coopération militaire européenne ? Pas si facile.
Nous sommes en effet, nous l’avons dit, dans un contexte mondialisé, et si les conflits ne sont le plus souvent que l’éruption locale de rapports de forces planétaires, ils nous concernent toujours plus ou moins directement. Renoncer à y intervenir serait nous mettre hors-jeu. La participation de la France à la gestion des crises internationales est en effet indispensable à la défense de nos intérêts.
Pour clarifier mon propos, prenons quelques exemples. En intégrant des bâtiments de la marine nationale dans la lutte anti-piraterie en Mer Rouge et dans l’Océan Indien, la France participe à la sécurisation des voies maritimes, condition indispensable pour accéder aux ressources minières et pétrolières dans le monde ; si elle ne le faisait pas, elle risquerait d’être exclus du jeu et de subir sans pouvoir réagir la volonté des autres puissances. En intervenant en 1993 en Somalie aux côtés des Etats-Unis, la France a pu empêcher que le conflit ne s’étende à Djibouti où nous avions nos bases à l’époque. Il y a de nombreux exemples de ce type. D’une façon plus générale, les rapports de force dans le monde, avec notamment la réémergence d’un bloc eurasiatique autour de la Russie, sont en pleine mutation : ce n’est pas en s’isolant que la France peut trouver sa place dans la redistribution des cartes. Pensons aussi à l’Afrique, qui non seulement regorge de matières premières, mais est de surcroit un réservoir inépuisable d’émigration vers notre pays, qu’il faut absolument contrôler : nous y tenons un place de choix, mais nous ne la conserverons pas si nous voulons jouer cavalier seul. Par ailleurs, notre pays possède le second espace maritime après les Etats-Unis, et les océans, dont moins de 10% du fond a été exploré, regorgent de ressources minérales et organiques d’une importance évidente pour l’avenir de notre pays. Il est clair que cet espace maritime excitera les convoitises : il n’est pas pensable de le défendre sans une alliance navale avec les Etats-Unis. Enfin, notre statut de puissance nucléaire nous impose une coopération conventionnelle de haut niveau avec les autres puissances du même rang, et notre siège au Conseil de Sécurité des Nations Unis suppose une présence toujours soutenue sur la scène internationale.
Ces ambitions stratégiques sont légitimes, mais nous n’en avons pas les moyens militaires si nous ne coopérons pas. Si nous voulions être réellement et totalement militairement indépendants, et donc avoir la capacité d’agir seul, il faudrait que nos forces armées puisse remplir leurs missions de défense du territoire, d’intervention extérieure ou de sécurisation de nos espaces d’intérêt, dans la durée, c’est-à-dire avec les relèves et la logistique qui s’imposent, quel que soit l’ennemi, sur tous les continents, et sans le concours d’autres puissances militaires. Il leur faudrait des moyens considérables, et ne dépendre en rien de l’étranger : ni pour le transport stratégique, ni pour les moyens de renseignement, la logistique, les appuis aériens, etc. Le principe du sacro-saint « rapport de force » impose en effet que l’on ait réuni, avant de s’engager, des forces suffisantes pour avoir la quasi-certitude d’obtenir l’ascendant sur l’adversaire, et ce dans la durée. C’est atteignable pour des opérations limitées en durée et en intensité, en particulier en Afrique, mais au-delà, c’est impensable. La France n’est qu’une puissance militaire de second rang, c’est-à-dire que nous ne figurons plus aujourd’hui parmi les pays dominants capables d’imposer leur volonté, comme c’était le cas jusqu’au au XIXème siècle. Il est donc inéluctable de coopérer, et donc de se lier militairement à d’autres pays afin de faire valoir nos droits et défendre nos intérêts partout dans le monde, ce qui est apparemment paradoxal.
La question de l’appartenance à l’OTAN peut être réexaminée dans cette perspective. Bien sûr, les derniers événements ont souvent donné l’impression que la France était à la remorque des Etats-Unis, et cette organisation peut inquiéter dans la mesure où beaucoup voient en elle le bras armé de la mondialisation ou l’outil de l’impérialisme américain (ce qui revient à peu près au même). Et les livres blancs successifs ne sont pas là pour nous rassurer. Mais l’Alliance atlantique ne demande pas aux états membres d’abandonner leurs prérogatives régaliennes, en particulier la décision d’engagement de leurs forces. Finalement, l’appartenance à l’OTAN n’est un problème que si nous le voulons bien. Il ne dépend que de nous d’en affirmer le principe et de prendre les précautions nécessaires. Qu’avons-nous à y gagner ? La France a réintégré l’organisation militaire de l’OTAN en 2007, sous la présidence de M. Sarkozy (rappelons qu’elle n’a jamais quitté l’Alliance Atlantique, mais seulement le commandement intégré en 1966). Quelles que soient les mauvaises raisons de cette décision, évoquées plus haut, elle présente tout de même de sérieux avantages : elle a rendu à notre armée de terre (la marine et l’aviation était restées très OTANiennes par nécessité) la capacité d’opérer conjointement avec des unités étrangères (on appelle cela « l’interopérabilité ») et d’entrer en force dans les états-majors interalliés. Doit-on y voir une perte d’indépendance ? Au contraire, cela augmente notre présence là où se prennent les décisions, et notre capacité d’action lorsque nos intérêts vitaux sont en jeu. Si bien que l’on peut considérer que l’appartenance à l’OTA N est aujourd’hui une nécessité, étant sauve, bien entendu, notre souveraineté.
Cependant, il y a une autre question qui mérite d’être soulevée. La participation à des alliances et des coalitions de toute sorte suppose d’être militairement crédible : le Lichtenstein peut bien rejoindre une coalition, il ne pèsera jamais sur les décisions ; la France le peut, si elle est capable d’aligner des moyens militaires de façon significative. Or, la réduction de nos effectifs et la pauvreté des investissements sont inquiétants. Avec moins de 250.000 hommes, dont seulement 100.000 pour l’armée de terre, soumis à une rythme ne permettant plus l’entrainement régulier (l’engagement permanent de 7.000 à 10.000 hommes dans Vigipirate n’arrange rien), avec des matériels vieillissants (le programme Scorpion de modernisation de l’armée de terre va s’échelonner sur plus de 10 ans, le lancement d’un second porte-avion n’est toujours pas décidé, la flotte de transport aérienne n’en finit pas d’attende l’A400M, pour ne citer que ces exemples emblématiques), avec des budgets en constante régression (l’armée est bientôt en cessation de paiement), la France taille depuis longtemps déjà dans le muscle. Et pourtant, les armées ont montré une incroyable capacité d’adaptation en faisant toujours plus avec toujours moins, mais il y a des limites. Compte tenu de nos légitimes ambitions stratégiques, il ne faut pas seulement geler la réduction des effectifs et des budgets, mais inverser la courbe. Il est même urgent d’élargir notre base de recrutement et restaurer notre capacité à lever des troupes. L’armée dite professionnelle est à bout de souffle et le taux de sélection déjà très bas. Rétablir le service militaire tel qu’il était pratiqué avant 1998 est impensable dans le contexte actuel, et ce n’est d’ailleurs pas la meilleure idée, loin de là. L’Alliance Royale propose une solution concrète dans ce domaine, qu’elle appelle « l’armée de volontaires », qui figure dans sa plateforme politique.
Globalement, nous avons globalement la capacité technologique, industrielle et humaine d’avoir une armée solide : reste à s’en donner les moyens. J’insiste donc sur le fait que, tant que nous demeurons une nation souveraine, la décision d’engagement des forces armées restera une prérogative nationale. Pour garantir cette souveraineté, dans le contexte mondialisé que nous connaissons, il est nécessaire de consentir des interdépendances militaires, sous la forme d’alliances, de coalitions, ou de coopérations, dans le domaine opérationnel et industriel. La vraie question n’est donc pas tant le degré de dépendance ou d’indépendance militaire, qui dépendra fondamentalement des circonstances, que la réaffirmation de la souveraineté de notre pays. La république y a renoncé : férocement nationaliste à ses débuts, elle s’est donnée corps et esprit à l’Union Européenne qui n’est qu’une étape dans la décomposition de notre pays : chaque coopération représente alors un danger potentiel de dilution de notre souveraineté : c’est ce qui arrive avec l’Union Européenne. Et si le régime rebascule au contraire dans un nationalisme étroit, comme à ses origines révolutionnaires (scenario tout à fait crédible), alors la France s’enfermera dans ses frontières et perdra sa liberté d’action dans le monde.
Dans une France monarchique, le problème ne se posera pas dans les mêmes termes. Seule la royauté peut incarner notre souveraineté de façon ouverte. Assurée dans ses fondements, une France royale peut ainsi sans risque se tourner vers l’extérieur, pour garantir ses intérêts les plus fondamentaux et accomplir sa mission dans le monde, quitte à consentir les interdépendances dont nous avons parlé, selon une approche « empirique » chère à l’Action Française.
Mais le roi n’est pas seulement le gardien de la souveraineté, il est aussi le chef des armées. Comme le président de la république, me direz-vous. On remarquera d’ailleurs qu’il n‘est pas le chef de la police, ni celui de la douane ou de la Poste. Parce que l’armée n’est pas un simple service de l’Etat, c’est le peuple français en armes. Non pas à la mode révolutionnaire, où le peuple était embrigadé pour servir l’idéologie républicaine et agresser l’Europe, mais de façon plus intime, selon l’adage qui veut que « les hommes libres se défendent eux-mêmes ». Il est donc tout naturel que celui qui détient l’autorité souveraine soit à leur tête. C’est un héritage monarchique. Mais le président de la république n’est pas un souverain, seulement le chef du parti qui a gagné les élections. Le costume est trop grand pour lui. Tandis que, dans la plus grande tradition capétienne, le roi a la stature nécessaire. Indépendant du jeu politique dans sa désignation, il incarne la nation et est, tout naturellement, le chef des armées. Par la simple présence de sa personne, il garantit ainsi de façon inaliénable la pérennité de nos armes.
Mais il faut en plus réintroduire l’armée dans la société. Nous avons parlé de l’armée de volontaires qui possède cette vertu. Nous proposons également la création de régiments de province, héritiers des « Royal Normandie », « Royal Provence », Royal Picardie »… Ancrés dans leur région, ils seront le creuset de l’armée de volontaires et constitueront l’ossature de la défense opérationnelle du territoire. Ces propositions sont également décrites dans notre plateforme politique.
Ainsi, le roi assure par sa personne le principe fondamental de la souveraineté et la pérennité de nos armes. Il réalise également le lien sacré entre le peuple français et son armée. Et s’il doit y avoir une idée d’indépendance militaire dans un contexte mondialisé, finalement, c’est bien de celle-là qu’il s’agit.
Alliance royale
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