L’inéluctable loi des deux ans
Une étude attentive de l’histoire contemporaine française délivre une conclusion formelle : en France, les gouvernements de gauche ne peuvent pas dépasser les deux ans d’existence.
En cause : la puissance omniprésente et constante des milieux d’affaires, mais aussi l’influence des choix conservateurs des gouvernements voisins. Revue de détail.
1924-1926 : Le Cartel des Gauches.
Première victoire socialiste de l’Histoire de France (SFIO, républicains socialistes et radicaux-socialistes)
Chefs de gouvernement : Edouard Herriot, Aristide Briand
Mesures décidées : transfert des cendres de Jaurès au Panthéon, amnistie des grévistes de 1920, autorisation de se syndiquer pour les fonctionnaires, gratuité du lycée.
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : création d’un impôt sur le capital pour taxer les énormes profits privés réalisés pendant la guerre.
Adversaires du gouvernement : le « Mur d’Argent », milieux d’affaires
Conséquences immédiates : retour à une politique plus conservatrice, notamment en matière fiscale.
1936-1938 : Le Front Populaire
Alliance entre Parti Radical, SFIO et Parti Communiste
Chefs de gouvernement : Léon Blum, Camille Chautemps
Mesures décidées : premiers congés payés, semaine de 40h (au lieu de 48), conventions collectives, nationalisation de la SNCF, tarifs réduits pour les voyages en train, retraites des mineurs, contrôle accru sur la Banque de France (à actionnariat privé – notamment les « 200 Familles »), premières allocations chômage, scolarité obligatoire portée à 14 ans, création du CNRS, accroissement des dépenses d’armement face aux dangers internationaux croissants (Italie, Allemagne, Espagne)
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : politique monétaire interventionniste pouvant mettre en cause le libre-échange prôné par les Etats anglo-saxons.
Adversaires : « 200 familles », presse de droite et d’extrême-droite, ligues factieuses.
Conséquences immédiates : retour à la semaine de 48h.
1945-1947 : Le Tripartisme (Gouvernements provisoires de la République Française et début IVème)
Formule de gouvernement issue des premières élections libres de 1945 : MRP (centristes), SFIO et communistes.
Chefs de gouvernement : Charles de Gaulle, Félix Gouin, Georges Bidault, Léon Blum, Paul Ramadier
Mesures décidées : nationalisations du gaz, de l’électricité, d’entreprises industrielles et de la Banque de France, institution de la Sécurité sociale, vote des femmes, création de l’ENA et du statut de la fonction publique, hausse générale des salaires (de 15 à 25%), adoption d’un plan de reconstruction (plan Monnet).
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : début de la guerre froide, éviction des ministres communistes en mai 1947 à la suite de grèves.
Adversaires : MRP, pression extérieure américaine.
Conséquences immédiates : affirmation de l’attachement de la France au bloc occidental ; arrêt des mesures sociales.
1956-1958 : l’épisode Mollet
Nouvelle participation des socialistes au gouvernement, des législatives de 1956 à la proclamation de la Vème République.
Chefs de gouvernement : Guy Mollet (principalement),
Mesures décidées : 3ème semaine de congés payés, fonds national de solidarité pour les personnes âgées, signature du traité de Rome instituant la CEE.
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : instabilité en Algérie et enlisement militaire, provoquant une crise financière et monétaire.
Conséquences immédiates : dévaluation du franc, instauration d’un nouveau régime à exécutif fort : la Vème République.
1981-1983 : le début du septennat de François Mitterrand
De la victoire de François Mitterrand au tournant de la « rigueur » de mars 1983
Chef de gouvernement : Pierre Mauroy
Mesures décidées : abolition de la peine de mort, hausse des salaires, dépénalisation de l’homosexualité, création de l’impôt sur les grandes fortunes, nationalisations d’entreprises, 5ème semaine de congés payés, retraite à 60 ans.
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : dépenses publiques massives et dévaluations successives provoquant une fuite des capitaux et une spéculation baissière sur le franc ; risque de sortie des mécanismes de solidarité monétaires européens et d’une guerre des monnaies.
Adversaires : patronat, milieux d’affaires, gouvernements conservateurs (Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis…)
Conséquences : tournant de la rigueur, abandon d’une politique économique en faveur de la consommation des ménages et passage progressif à une dérégulation massive des échanges économiques et financiers sur le modèle anglo-saxon.
1997-2002 : La Gauche Plurielle
Coalition des socialistes, communistes et Verts après leur victoire aux législatives de 1997. Le caractère « de gauche » du gouvernement peut-être discuté dans la mesure où les mesures sociales alternent avec des décisions libérales (notamment privatisations, alignement sur des normes européennes) beaucoup plus nombreuses.
Chef de gouvernement : Lionel Jospin
Mesures décidées : semaine de 35h, emplois-jeunes, congé paternité, couverture maladie universelle et aide médicale d’Etat, loi sur les logements sociaux (loi SRU), prime pour l’emploi, institution du Pacte Civil de Solidarité, réhabilitation des mutins de la 1ère Guerre Mondiale.
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : certaines mesures critiquées par les syndicats et les partis de gauche, qui la divise aux présidentielles de 2002 : privatisations massives (France Telecom, Air France, Thomson, Assurances Gan, Crédit Lyonnais) et adoption du traité d’Amsterdam, réforme universitaire LMD, lois Chevènement sur la nationalité contestées.
Conséquences : élection de Jacques Chirac et retour à un gouvernement conservateur modéré à partir de 2002.
2012-2014 : la phase sociale-démocrate de la présidence Hollande
Suite à la large victoire électorale du Parti Socialiste aux présidentielles et législatives 2012. Formation d’un gouvernement comprenant initialement les Verts et les Radicaux de Gauche.
Chefs de gouvernement : Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls.
Mesures décidées : Mariage pour tous, encadrement des loyers, simplification des taux de TVA, tentative de réforme fiscale.
Orientations provoquant la confrontation et la chute du gouvernement : opposition frontale des milieux d’affaires (grandes entreprises, « Pigeons » entrepreneurs, Medef) et des gouvernements conservateurs (Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis) face à une politique économique régulatrice dite de la demande.
Conséquences immédiates : remaniement ministériel d’août 2014 et nomination de ministres ouvertement libéraux (« socio-libéraux »), retour sur certaines mesures fraîchement votées (encadrement des loyers) et mise en place de réformes ouvertement libérales (hausse de la TVA, fin des 35h).
Un tableau récapitulatif accompagne le présent article à des fins de meilleure lisibilité.
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