L’introuvable centre (suite)
A la suite des réactions provoquées par mon article du 20 juin, je souhaiterais apporter quelques précisions et apporter des réponses aux commentaires qui ont été publiés.
1) Ma vision du centre serait trop démocrate-chrétienne.
Sous la V° république, l’élection présidentielle joue un rôle clé dans la définition des forces politiques et des rapports de force entre elles. En 1965, Jean Lecanuet est Président du MRP, qui vient de subir un échec aux législatives de novembre 1962. La tentative de Gaston Defferre de créer une grande fédération unissant socialistes et démocrates-chrétiens échoue en juin 1965, ouvrant la voie à une candidature soutenue par les deux principaux partis de gauche (SFIO et PC). Jean Lecanuet se déclare et place sa candidature sous la double hostilité envers le "pouvoir personnel" du général de Gaulle mais aussi du "candidat de gauche soutenu par le parti communiste". Il reçoit le soutien d’une fraction des Radicaux avec notamment Jacques Duhamel (député du Jura qui ralliera Georges Pompidou en 1969, sera ministre jusqu’en 1973. Il est aussi le père du constitutionnaliste Olivier Duhamel) et Maurice Faure (député du Lot). Mais la carte électorale du vote Lecanuet, comme je l’ai montré dans mon article, est sans ambigüité : elle reflète le ralliement d’un électorat de centre droit réticent envers le général de Gaulle issu de l’ancien MRP. L’électorat de gauche s’est rallié à François Mitterrand au sud de la Loire, et pour une part importante au général de Gaulle au Nord (Cf. les votes dans les départements industriels situés au nord d’une ligne allant des Ardennes à la Seine Maritime). En 1967, Maurice Faure en tirera les conséquences : après avoir obtenu l’investiture du Centre démocrate créé par Jean Lecanuet, il est devancé par le candidat gaulliste, vire de bord entre les deux tours et obtient le soutien de la FGDS et donc le retrait du candidat communiste, ce qui lui permet de rester élu. Le radicalisme localisé dans le Sud-ouest (Antonin Ver puis Jean-Michel Baylet, Maurice Faure, Robert Fabre, etc....) n’oubliera pas la leçon en restant proche du parti socialiste et soucieux d’obtenir le désistement communiste. Il est vrai que le groupe centriste de 1967 comprend plusieurs députés venus du radicalisme tels Michel Durafour (Loire), Jacques Duhamel, ou d’élus fortement implantés (Aymar Achille-Fould et Franck Cazenave en Gironde). Mais le gros des élus vient du centre droit et de régions où le MRP était influent (Orne, Ille-et-Vilaine, Haute-Savoie, Bretagne, etc.).
La seconde candidature présidentielle centriste, celle d’Alain Poher en 1969, est plus ambiguë. Le Président du sénat est issu lui aussi de l’ancien MRP. Il obtiendra le soutien des Radicaux mais aussi de plusieurs fédérations socialistes (Cf. celle de l’Aude). Sa carte électorale est beaucoup plus proche de ce qu’aurait pu être un Centrisme dégagé de ses origines démocrates-chrétiennes : progression dans la région Centre, au sud de la Loire, dans des régions peu séduites par Jean Lecanuet. Son échec marque la fin de cet espoir. Georges Pompidou a su rallier des Centristes issus des traditions radicales et démocrates-chrétiennes (Jacques Duhamel, René Pleven, Joseph Fontanet, Jean Poudevigne, etc.).
Une fraction des Radicaux a donc bien rallié les Centristes puis s’est fondu dans l’UDF en 1978 (André Rossinot, Jean-Jacques Servan-Schreiber). Quant aux Radicaux de gauche, ils signeront le programme commun en 1972, mais dans un second temps après avoir fait rajouter une annexe favorable à la propriété privée (en fait, hostile aux nationalisations).
La bipolarisation deviendra totale en 1974 lorsque les derniers Centristes rallieront Valéry Giscard d’Estaing (Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber).
Le Centre a donc des racines démocrates-chrétiennes indiscutables. Le MRP en a constitué le noyau. Il s’est structuré autour d’une allergie au Gaullisme. Cette fracture est visible dès la IV° République lorsque de Gaulle fonda le RPF, lequel s’opposa au MRP sur plusieurs questions fondamentales : la supranationalité et les modalités de la construction européenne ; la question des institutions (acceptées par le MRP et rejetées par le général de Gaulle).
2) Le positionnement de Jean-Jacques Servan-Schreiber : en effet, il a été un proche collaborateur de Pierre Mendès-France, son journal l’Express ayant largement contribué à soutenir voire à créer le "mythe PMF". Dès 1963, il lancera la candidature de Gaston Defferre avec la célèbre opération intitulée "Monsieur X". Mais cette tentative ne s’inscrit pas dans une perspective d’union de la gauche, comme je l’ai indiqué. Il jouera un rôle clé dans cette tentative avortée.
La seconde tentative est lancée en 1970 avec la prise en main du parti radical, le succès à une législative partielle à Nancy, l’échec cuisant face à Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux. Il constitue avec le Centre démocrate de Jean Lecanuet un "Mouvement réformateur", provoquant une scission et le départ de ceux qui prendront le nom de "radicaux de gauche" avec Robert Fabre, Maurice Faure principalement. Les législatives de mars 1973 fixent les rapports de force entre les deux composantes des Réformateurs. La carte électorale reflète en grande partie, une nouvelle fois, un ancien électorat de centre-droit hostile au Gaullisme et peu marqué par des traditions radicales. Il se grossit par le ralliement de quelques personnalités hostiles à l’union de la gauche et venues du radicalisme (Gabriel Péronnet dans l’Allier) ou de l’ancienne SFIO (Max Lejeune dans la Somme). Deux attitudes sont possibles : soit faire battre à tout prix la majorité gaulliste (Position de Jean-Jacques Servan-Schreiber), soit l’aider à faire battre la gauche PS-PC (position de Jean Lecanuet). C’est la seconde position qui l’emporte et des désistements discrets sont organisés : la majorité gaulliste reste majoritaire tandis que les Réformateurs sauvent un groupe parlementaire. Finalement, Jean Lecanuet et Jean-Jacques Servan-Schreiber soutiendront Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et participeront à la création de l’UDF. Jean Lecanuet en deviendra le premier président en 1978, jusqu’en 1988.
En fait, l’UDF ne peut être qualifiée de Centriste stricto sensu. Une partie importante ne vient pas de ce courant. Les deux principales composantes sont alors le Parti républicain, associé à la majorité gaulliste dès 1962, et le CDS créé en 1976 par la fusion des deux branches du centrisme (celle ayant soutenu Georges Pompidou en 1969, celle ayant soutenu Giscard en 1974.
D’une certaine façon, le reclassement de 2002 a le mérite de clarifier les relations. François Bayrou a conservé le soutien d’une partie du CDS mais aussi du PR devenu Démocratie libérale (Gilles de Robien n’a pas rejoint l’UMP). L’UMP a rallié la plupart des notables CDS (Philippe Douste-Blazy, Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot) et les autres composantes de l’UDF.
3) Quelle stratégie pour l’UDF aujourd’hui ?
Un premier aperçu a été fourni avec les élections régionales de mars 1994. Les listes UDF ont obtenu entre 11 et 12%, ce qui est insuffisant pour constituer une majorité. Entre les deux tours, la fusion a été effectuée avec les listes UMP qui les ont devancées partout.
Deux stratégies sont possibles sur le plan électoral. Soit une opposition systématique à l’actuelle majorité. C’est celle de la direction de l’UDF et d’un tiers des députés (11 députés sur 30 ont voté la motion de censure du PS). Soit un ralliement progressif, sur le modèle de Gilles de Robien (qui, ne l’oublions pas, avait démissionné de Démocratie libérale sur la question des alliances avec le Front national en 1998) et la résignation à n’être qu’une force supplétive.
Mais, quelle que soit la stratégie, il reste à définir un discours cohérent sur le programme et les valeurs. Ce travail n’est encore qu’esquissé. Il ne suffit pas de compter sur les faiblesses et les contradictions et des positionnements de l’UMP et du PS et de se contenter de slogans sans contenu (équilibre entre solidarité et responsabilité, etc.).
La réflexion sur la construction européenne, qui est un des cœurs de l’identité de cette famille politique devrait ainsi être sérieusement approfondie et réactualisée : l’Europe pour quoi ? Avec qui ? Comment ?
En matière économique, d’enseignement, le silence règne aussi. Peut-être peut-on espérer une réflexion du député apparenté UDF des Yvelines Christian Blanc ...
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