L’obsolescence contrariée de notre système politique
La figure paternaliste de l’homme providentiel, du chef, du sauveur, de celui qui sait est totalement dépassée dans une société où le niveau général d’éducation et d’information n’a jamais été aussi élevé. On continue à brandir une professionnalisation politique comme une nécessité indépassable devant la complexité technique des fonctions exécutives. On justifie de la même manière la confiscation démocratique de la grande masse des citoyens qu’est notre démocratie hyper-hiérarchique (mais qu’on appelle « représentative ») comme étant la résultante de leur profond désintérêt que l’on évalue ensuite avec complaisance par le chiffre des abstentions.
Ce que l’on mesure ainsi n’est pas du tout le manque d’investissement de nos concitoyens pour la chose publique, mais bien leur profond mécontentement quant au maintien de structures autoritaires dépassées. Cette campagne électorale a été remarquablement inintéressante de par sa focalisation sur le rôle de chef du maire, sur la polarisation autour d’une figure emblématique alors que la grande majorité des gens aspire à être entendue dans les organes du pouvoir, à participer et à ne plus dépendre du bon vouloir du prince.
J’ai été marquée par le fait que gouverner une commune ne peut être qu’un travail d’équipe, mais que l’esprit hiérarchique des institutions municipales pervertit totalement cette réalité. La réalité de nos structures concentre beaucoup de pouvoir entre les seules mains du maire et prétend ensuite modérer cette tentation d’autoritarisme en déléguant une sorte de rôle de contrôle au conseil municipal. Il n’y a qu’à voir à quel point toute la campagne électorale a bien montré que dans la plupart des cas, sorti de la garde rapprochée des adjoints, le reste de la troupe n’est souvent qu’un simulacre d’équipe, un croupion de démocratie auquel on demande essentiellement de suivre aveuglément le point de vue du chef et de ne surtout pas produire de fausses notes désagréables comme un point de vue différent ou une tentative de débat.
Comme dans l’ensemble de la société, la caste politique, qu’elle soit locale ou nationale, tente de justifier sa mainmise sur l’appareil de gouvernement de nos vies par sa seule qualité d’expert. Ainsi, le personnage politique n’est plus celui qui, parmi nous, va prendre quelque temps la charge de la coordination des intérêts communs, mais c’est « celui qui sait », et qui fera ce qu’il doit faire, en dehors de tout contrôle réel et concret de ses actes par la population dont il est en charge. Évidemment, ce point de vue justifie l’hermétisme de l’accès aux fonctions décisionnelles de notre démocratie. Puisque gouverner ne peut être que l’action de ceux qui savent, la professionnalisation du personnel politique devient un horizon indépassable et du coup, l’aspect hiérarchique et conservateur du dispositif est renforcé, au détriment de toute idée de représentativité, ce qui est antinomique de l’intention d’origine.
Ce conservatisme endogamique des appareils politiques a été parfaitement démontré pendant les municipales de dimanche dernier. Dans beaucoup de petites communes, le débat politique s’est limité à reconduire la seule liste présente : il faut bien dire que dans la ruralité, si la place de maire conserve son attrait de porte d’entrée de la petite notabilité et de pouvoir décisionnel, concrètement, le conseil municipal est un croupion pratiquement sans pouvoir — puisque les compétences les plus importantes ont été transférées aux intercommunalités — et sans aucune compensation, si ce n’est de se taper le sale boulot. Tout se polarise autour de la figure du maire, en contradiction totale avec l’intention démocratique de départ.
Dans les communes où la lutte des places a été effective, dans l’immense majorité des cas, on assiste à la prime au sortant. Autrement dit, le choix se porte sur ceux qui savent (donc ceux qui n’apprennent pas et n’évoluent plus) et surtout sur ceux qui sauront perpétuer les mêmes manières opaques de conduire les affaires.
On voit bien dans ces conditions le manque d’adéquation de nos structures démocratiques avec l’évolution de notre société. Alors que nous vivons dans un monde instable, extrêmement changeant, dans lequel les valeurs sont volatiles, où les hiérarchies sociales sont remises en cause et bousculées, la classe politique apparait comme un havre de conservatisme vaguement rassurant… et surtout très étanche aux idées nouvelles et aux évolutions socioéconomiques.
L’idée même de surfer sur les règles, les institutions, les contraintes internes fortes pour tenter d’expérimenter de nouvelles façons de gouverner, d’impliquer les citoyens est alors très facilement niée par ceux-là mêmes qui justifient une grande partie de leur pouvoir et de leur savoir par le fait qu’ils sont déjà en place.
C’est cette rigidité intrinsèque du système démocratique, sa capacité à reconduire sans cesse des formes hiérarchiques parfaitement rigides et étanches à la société civile qui rendent le processus électoral actuel aussi peu attractif, que ce soit en terme de vocation de candidats ou de simple envie de se trainer jusqu’à l’isoloir. Cela perpétue aussi le poujadiste et indépassable : tous les mêmes !, ce qui est pourtant d’autant plus vrai que l’entrée en politique, même aux plus bas échelons, se fait essentiellement par cooptation de ceux qui sont déjà en place et que les campagnes électorales, habilement pilotées d’en haut par les partis politiques ont toutes les caractéristiques internes d’un immense bizutage destiné à bien faire comprendre aux nouveaux le sens de la hiérarchie et de la perpétuation des façons de faire et de penser déjà en œuvre.
Du coup, plus on change, moins ça bouge. Et l’on continue à déblatérer sans fin sur l’abstention qui se massifie sans vouloir voir la contestation profonde de ce système qui exclut de la représentation politique la majorité de nos concitoyens, quand bien même ils appartiennent à des classes sociales ou des groupes humains massifs : les femmes, les étrangers, les ouvriers et les employés, les chômeurs, les jeunes… etc.
Pour rire, hier matin, j’ai posé une question qui ne sera représentative de rien : auriez-vous voté de la même manière le 23 mars si le vote blanc avait été comptabilisé comme il le sera pour les Européennes ? J’ai pensé à cette question après avoir discuté avec un assesseur lors du scrutin de dimanche. Il me disait qu’on allait se prendre une montée du Front national sans précédent. Non pas que les gens adhèrent particulièrement à ses discours, mais tout simplement parce l’exaspération contre notre système politique est à son comble et qu’en l’absence de la reconnaissance du vote blanc (pour les municipales !), qui est un vote fort qui récuse le système électoral lui-même, il ne reste que le FN pour faire réagir la classe politique.
Logiquement, quand les urnes ne sont plus que les réceptacles de nos frustrations et que la vie politique est à ce point éloignée des citoyens, il serait logique de remettre en question le fonctionnement même de nos instituons et de commencer le long de dialogue citoyen qui consiste à accoucher d’un nouveau contrat social, plus adapté à un monde où même la femme de ménage a un bac+5. La récurrence des affaires politiques, la montée en puissance du premier vrai parti de France, la négation renouvelée de la volonté du peuple, tout appelle, non pas à engueuler une fois de plus le peuple pour avoir mal voté, mais plutôt à écrire une nouvelle Constitution pour nettoyer un bon coup les Écuries d’Augias.
Car le changement devient impérieux.
Et il sera volontaire et démocratique ou violent et portant en germe tous les fascismes !
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