L’UMP veut-elle « flinguer Sarkozy » ?
En reprenant à son compte les déclarations au vitriol d’Henri Guaino à l’encontre du juge Jean-Michel Gentil, 105 députés et caciques de l’UMP ont pris l’étonnant risque d’assombrir l’avenir politique de Nicolas Sarkozy...
Elle est en effet très surprenante, cette initiative prise par plus de la moitié des élus de l’UMP à l’Assemblée Nationale. Et l’on ne peut manquer de se poser des questions sur les motivations profondes qui ont conduit ces 102 députés et caciques de l’UMP à soutenir les graves et insultantes accusations portées par Henri Guaino à l’encontre d’un magistrat coupable à ses yeux d’une décision de justice « irresponsable ».
Pour bien comprendre de quoi l’on parle, il convient de remonter quelques semaines en arrière.
Le jeudi 21 mars, le juge Jean-Michel Gentil et ses deux collègues juges, Valérie Noël et Cécile Ramonatxo, décidaient, au vu des pièces figurant dans leur dossier d’instruction, de mettre en examen l’ex-président Nicolas Sarkozy au titre d’un possible « abus de faiblesse » sur la personne de l’héritière de L’Oréal, Liliane Bettencourt., dans le but de lui soutirer des sommes destinées à financer la campagne présidentielle de 2007.
Le lendemain sur Europe 1, Henri Guaino tenait au micro de Bruce Toussaint les propos suivants : « Je conteste la façon dont il (le juge) fait son travail. Je la trouve indigne. (...) Je trouve qu’il a déshonoré un homme. Il a déshonoré les institutions et il a aussi déshonoré la Justice ». Des propos que l’ex-plume de Nicolas Sarkozy confirmait le même jour sur le plateau du Grand Journal de Canal+.
Le lundi 25 mars, Henri Guaino enfonçait le clou dans les colonnes du Figaro et sur le plateau télévisé de LCI : « En prenant cette décision irresponsable, le juge Gentil a sali l’honneur d’un homme. Il a sali les Institutions de la République et il a déshonoré la Justice. » Ne reculant devant aucune outrance, Henri Guaino est même allé jusqu’à parler de « salissure pour la France ».
Impossible pour les magistrats de laisser passer une telle atteinte à leur probité et à l’indépendance de la Justice. En conséquence, le mardi 9 avril, l’Union Syndicale de la Magistrature (USM) déposait plainte contre Henri Guaino pour ses propos insultants visant à discréditer l’institution judiciaire en la personne du juge Gentil. Deux jours plus tard, cette plainte conduisait le procureur de Paris à ouvrir une enquête préliminaire à l’encontre d’Henri Guaino, enquête confiée à la Brigade de Répression de la Délinquance sur les Personnes (BRDP) de Paris.
Jeudi 25 avril. Un recours en annulation de la mise en examen de Nicolas Sarkozy ayant été déposé auprès du parquet par son avocat, Me Thierry Herzog, dans les jours qui ont suivi cette mise en examen, il appartenait à la Cour d’Appel de Bordeaux de se prononcer sur la requête de l’ex-Chef de l’État. Au terme d’une séance tenue à huis-clos, cette instance annonçait le report de sa décision au jeudi 6 juin.
C’est dans ce contexte que 102 députés et caciques de l’UMP ont décidé de s’exprimer en adressant au procureur de Paris une lettre ouverte de soutien à Henri Guaino : « Comme lui, nous affirmons que le juge (...) a déshonoré un homme, a déshonoré les institutions et a déshonoré la Justice » est-il affirmé dans cette lettre en forme de pression sur les magistrats de la Cour d’Appel appelés à se prononcer le 6 juin sur la mise en examen de Nicolas Sarkozy.
Parmi les signataires figurent notamment Benoist Apparu, Xavier Bertrand, Jean-François Copé, Christian Jacob, Claude Goasguen, Michèle Tabarot et Laurent Wauquier, soit au moins quatre candidats potentiels aux primaires de 2016 qui masquent plus ou moins bien leur ambition dévorante. Que cherchent réellement ces hommes et femmes de l’UMP en affichant aussi ouvertement leur soutien à Henri Guaino ? À faire pression sur les magistrats bordelais pour obtenir l’annulation de la mise en examen de Nicolas Sarkozy ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car en agissant ainsi, ces notables de l’UMP ne peuvent qu’aggraver le cas de l’ex-président en provoquant un raidissement des membres de la Cour d’Appel. Or cela, ces élus, pour la majorité d’entre eux rompus à l’exercice du pouvoir et aux difficiles relations entre le milieu politique et le monde judiciaire, le savent pertinemment.
La main sur le cœur, tous affirmeront pourtant que leur démarche a été directement guidée par « l’affection » – les caciques UMP sont gens très affectueux ! – qu’ils portent à Nicolas Sarkozy, injustement mis en cause par la chienlit judiciaire. Or, que va-t-il se passer le 6 juin ? De deux choses l’une : soit la mise en examen de Sarkozy est annulée par les magistrats de la Cour d’Appel, et ces braves tartuffes de l’UMP ne manqueront pas de faire mousser leur action au service de leur ex et peut-être futur mentor ; soit cette mise en examen est confirmée, et l’horizon de Sarkozy s’assombrit d’autant plus que le calendrier judiciaire risque de facto de tuer dans l’œuf toute prétention de retour dans l’arène politique en vue de la présidentielle de 2017.
Allez savoir pourquoi l’on se prend à penser que c’est bel et bien cette 2e éventualité qui a les faveurs des signataires de cette lettre ouverte au procureur qui fleure si bon le baiser de Judas.
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