L’Université en crise (1)
Depuis un mois, l’université est en crise : loi LRU, mastérisation du CAPES, précarisation des emplois... les causes en sont multiples, et leurs explications techniques.
Difficile de s’y retrouver, d’autant plus que les médias ont commencé par présenter ce mouvement comme une revendication corporatiste des enseignants-chercheurs au sujet de leur statut, présentation parcellaire, grossièrement incomplète, et n’évoquant que l’un des motifs du mouvement.
En ces temps de crise économique, notre avenir repose sur l’enseignement et l’innovation.
Voilà pourquoi il est crucial de comprendre ces réformes, leurs conséquences, et la colère de la communauté universitaire.
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L’Université française est en grève !
Depuis plus d’un mois, bloquages, rétentions d’actes administratifs, et manifestations des universités (enseignants-chercheurs, personnels administratifs et techniques, et étudiants) ont lieu à intervalle régulier.Et la crise semble loin d’être terminée : malgré la décision de N. Sarkozy de flanquer la ministre Valérie Pécresse d’une « médiatrice », les discussions du 27 février n’ont guère fait avancer les choses. L’absence des syndicats majoritaires compromet d’ores et déjà la prochaine rencontre du 3 mars, ainsi que celle des collectifs Sauvons L’Université et Sauvons La Recherche , difficiles à ignorer, pour qui le temps de la négociation n’est tout simplement « pas encore venu »....
Pour qui ne connaît pas le monde universitaire, et n’a à sa disposition que les informations des médias traditionnels, le mouvement actuel peut paraître obscur, et le flou initial des médias ramenant le mouvement à une grogne corporatiste des eneignants-chercheurs n’a rien arrangé...
Travaillant pour le milieu universitaire (il n’est sans doute pas inutile de préciser que je ne suis pas fonctionnaire), je vis tous les jours cette lutte, et j’y participe.
J’évoquerai dans cette série d’articles les problèmes qui me paraissent les plus saillants dans les réformes en cours
Il y aurait sans doute beaucoup d’autres questions à traiter, le choix des points que je vais traiter est un choix personnel (y manque notamment la réforme du statut des enseignants-chercheurs, dont j’ai choisi de ne pas parler en raison notamment de la surexposition médiatique dont elle a fait l’objet)
On pourrait donc étoffer cette série d’articles avec d’autres éléments. Mon souhait n’est pas de faire un tour complet des problèmes mais d’isoler les points qui me paraissent les plus significatifs, et de répondre de façon assez étayée à la question « pourquoi cette crise des universités ? »
Dans ce premier article, je vais tenter de décrire le fonctionnement des universités, deux aspects essentiels de la loi LRU, et les inquiétudes qui en découlent.
Le fonctionnement des universités
Avant de décrire tout ceci, à commencer par la loi LRU, il importe peut-être de rappeler que les universités ne sont pas des établissements publics comme les autres.Une université est le rassemblement de trois catégories d’acteurs, formant une communauté universitaire :
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les étudiants
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le personnel enseignant (professeurs agrégés par exemple, mais aussi vacataires contractuels), et le personnel enseignant-chercheur (maîtres de conférence et professeurs des universités)
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le personnel dit BIATOSS, regroupant le personnel administratif (comptabilité ou scolarité par exemple), le personnel technique (informatique ou maintenance), et le personnel de bibliothèque.
Le rassemblement de ces trois catégories en une « communauté universitaire » par l’article L111-5 du code de l’éducation n’est pas qu’une simple formule.
Etudiants et personnels élisent en effet les trois conseils dirigeants : le Conseil d’Administration (CA), le Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire, et le Conseil Scientifique (CS). La composition et les pouvoirs de ces trois conseils sont régis très précisément par les textes.
L’ensemble de ces trois conseils élit à son tour le président de l’université.
Particularité de l’université, donc : la direction n’y est pas nommée par une administration lointaine, elle est élue par ses acteurs, ce qui leur confère le statut de communauté universitaire qui lui est officiellement reconnu.
L’état d’esprit y est sans doute particulier, puisque chacun a ainsi les moyens de peser sur le développement de son université, en cohérence avec l’économie locale. Moins uniforme qu’une autre administration interchangeable, l’université a ainsi les moyens d’avoir sa personnalité propre, dépendant du contexte, de la taille de l’université, du profil socio-économique moyen des étudiants...
La loi LRU (Liberté et Responsabilité des Universités) réforme les structures de l’Université, principalement sur trois points : les structures de décision, les compétences budgétaires, et les modalités de recrutement. Je traiterai du recrutement dans un prochain article pour insister sur la précarisation galopante des personnels, et vais ici parler des deux autres points.
La LRU et les structures de décision : le fantasme hyperprésidentiel
Le premier point auquel s’attaque la LRU est le coeur du système décisionnel universitaire : les trois conseils, et le président.
La loi LRU change tout d’abord l’équilibre et la composition des trois conseils :
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Le CA est reserré (20 à 30 membres contre 3 à 60 auparavant)
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La part des personnalités extérieures au CA augmente
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La présence de représentants d’organisations syndicales au CA n’est plus obligatoire
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La part minimum des personnels administratifs et techniques au CA diminue.
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La part minimum des étudiants au CA diminue.
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Les pouvoirs du CS et du CEVU diminuent : ces deux conseils n’ont plus pour rôle de proposer au CA les orientations en matière respectivement de recherche et d’enseignement, mais peuvent être consultés à ce sujet.
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Les pouvoirs du CA augmentent, avec la possibilité notamment de décider de la répartition des charges de service (c’est-à-dire la possibilité de décider quelle part un employé de l’université doit consacrer au travail administratif, ou à l’enseignement, ou à la recherche)
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Les représentants des enseignants-chercheurs au CA disposent d’une prime majoritaire : la moitié des sièges attribués est automatiquement attribuée à la liste majoritaire, les autres étant attribués à la proportionnelle.
C’est ensuite le statut du président et son mode d’élection qui changent :
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Le président n’est plus élu par l’ensemble des trois conseils, mais par le seul CA.
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Le président dispose d’un droit de veto sur les affectations de personnel et le recrutement des enseignants
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Le président attribue des primes au personnels
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Le président peut embaucher en CDD ou CDI
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Le président est élu pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois (contre cinq ans, mandat non renouvelable, avant la loi LRU)
Comment interpréter ces mesures, assez techniques ?
A première vue, on pourrait voir un double renforcement de pouvoirs : ceux du CA et ceux du président, d’une part par l’éviction du CS et du CEVU, qui renforce le CA, d’autre part par les pouvoirs explicitement étendus attribués au président.
En réalité, c’est bien l’hyperprésidentialisation du système, qui est mise en place, les pouvoirs accrus du CA n’étant là que pour asseoir les pouvoirs du président, comme je vais tenter de le montrer.
L’éviction du CS et du CEVU de la désignation du président en transfère l’entière responsabilité au CA. La prime majoritaire en transfère à son tour l’entière responsabilité à la liste arrivée en tête aux élections au CA.
Ainsi, le président n’est plus l’homme de consensus qui a réussi à rassembler le CA, le CS et le CEVU sur son projet, c’est mécaniquement l’homme d’un camp, le champion de la liste arrivée en tête aux élections au CA.
Alors que le président est élu actuellement par un collège de 120 électeurs divers, il sera désormais désigné par une quinzaine de membres représentatifs d’une seule tendance dominante, et disposant, de par le rôle accru du CA, de tous les pouvoirs.
Le pouvoir du CA n’est donc rien d’autre que l’institutionnalisation de celui du président, qui voit en plus les siens explicitement élargis, de façon périlleuse à bien y réfléchir : le droit de veto sur toute nomination sous-entend un savoir-faire technique dans tous les métiers de l’université, tout comme le fait de lui confier en propre la répartition des primes sous-entend qu’il est personnellement capable d’évaluer le travail de tous ses collègues.
On assiste donc avec la loi LRU à la mise en place d’une sorte de fantasme hyperprésidentiel : un homme seul, émanation d’un seul camp, concentrant tous les pouvoirs, sachant tout et sachant tout évaluer.
Un tel système provoque deux inquiétudes, qui ne semblent pas du tout être écartées par la loi LRU :
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Si le souci d’efficacité d’une telle démarche peut sembler louable à première vue, elle relève aussi d’une dangereuse pulsion mégalomaniaque, la responsabilité totale du président sous-entendant qu’il est parfait et sans faille.
Si par le plus grand hasard le président de l’Université venait à être imparfait, le système actuellement mis en place donnerait lieu à des jeux de cour et de rivalités fortement toxiques pour l’université. -
La présidentialisation du CA et l’hyperprésidentialisation du pouvoir amènent en réalité à accorder un chèque en blanc à l’écurie présidentielle, sans aucun contrôle, si ce n’est celui des quinze membres du CA dont est issu le président.
Le président et ses très proches ont donc de plus en plus de liberté dans l’utilisation des fonds de l’université, et de moins en moins de contrôle.
Les partisans du contrôle de l’utilisation de l’argent public apprécieront...
La LRU et les compétences budgétaires
L’hyperprésidentialisation des circuits décisionnels universitaire a poussé certains commentateurs à parler de la transformation de l’Université en entreprise.
Cette impression est renforcée par les changements apportés par la LRU au financement des Universités :
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Le contrôle de l’argent public par l’Etat n’existe plus : les universités géraient jusqu’à présent 25% du budget, l’Etat désignant la destination du reste du budget.
Avec la loi LRU, l’Université a pleine liberté sur la totalité de son budget. -
Le budget de l’Université pourra désormais être alimenté par des fonds privés défiscalisés, par le biais de fondations universitaires
Les partisans de la loi LRU soulignent le gain en efficacité, la fin de la lourdeur des crédits fléchés.
Cela me semble au contraire particulièrement choquant, en raison d’un « détail » qu’il ne faut pas oublier : le budget de l’Université est constitué très majoritairement de la dotation de l’Etat, donc d’argent public.
Cela soulève plusieurs problèmes :
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Le contrôle de l’argent public : issu des impôts directs et indirects, l’argent public est la propriété de chaque citoyen.
Le contrôle de l’Etat sur la bonne utilisation de cet argent est exigible par chacun. Il est pour le moins surprenant que l’Etat renonce à ce contrôle, en signant un chèque en blanc à une organisation qui n’a pas été désignée par un mandat électif de l’ensemble des citoyens, comme si l’Université ne gérait que ses fonds privés propres.
C’est d’autant plus grave que, dans le contexte d’hyperprésidentialisation que j’ai décrit, ce chèque en blanc est en fait accordé au seul président. -
La mainmise d’intérêts privés sur l’argent public : avec la place plus importante des entreprises au CA et la possibilité accrue qu’ils ont à financer l’université, il est à craindre que les orientations de recherche et d’enseignement soient fortement conditionnées par ces acteurs privés.
Il ne faudrait pas justifier hâtivement cela en prétendant que les acteurs privés sont en droit de décider ce qui est fait de leur argent, car le pouvoir qu’aura le donateur privé s’étend à l’ensemble des orientations de l’Université, donc également à tout ce qui relève du financement public.
L’argument qui consite à dire que l’Université serait plus efficace parce qu’elle serait gérée « comme une entreprise » - outre qu’il reste à prouver que toutes les entreprises sont nécessairement bien gérées - se heurte à l’objection de la provenance des fonds : est-il acceptable d’accorder à des fonds privés un pouvoir décisif sur des fonds publics, sans aucun contrôle de l’Etat sur la bonne utilisation de ces fonds ?
Le problème n’est d’ailleurs pas uniquement un problème de principe : l’acteur privé est, par définition même, en recherche de rentabilité immédiate.
L’ambition d’enseignement supérieur et de recherche vise à la construction du futur par la formation, l’élévation et l’épanouissement de la société par sa diversité intellectuelle.
Elle vise aussi à mener la recherche fondamentale, et à former les futurs chercheurs. Seule la recherche fondamentale peut poser les bases de l’innovation de demain, comme en témoigne toute l’histoire des sciences. Là aussi, l’Université construit et garantit notre avenir.
Cette double construction de l’avenir - avenir de la société, avenir de l’innovation – est différente (et néammoins complémentaire) de la logique d’immédiate rentabilité des acteurs privés.
Si le pouvoir des intérêts privés devient déterminant, ne doit-on pas craindre l’abandon ou le relâchement de tout ce qui ne sera pas immédiatement applicable, quitte à sacrifier notre avenir pour une suicidaire rentabilité à court-terme ?
Ces interrogations sont d’autant plus aiguës que l’injection de fonds privés risque fort d’être de plus en plus nécessaire : le Collectif de l’Université de Caen rappelle pertinemment que la loi LRU survient dans un contexte « d’immense misère de l’Université française », rappelant que la France est un des seuls pays industrialisés dépensant moins pour un étudiant que pour un lycéen (et même moitié moins).
Conclusion
Les deux aspects de la loi LRU que j’ai choisi d’examiner ici soulèvent des interrogations, des inquiétudes même, qui sont au coeur du mouvement actuel de protestation de la communauté universitaire.
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S’agissant du contrôle total de l’argent public par l’Université, donc par le président d’université, ne va-t-on pas vers plus d’opacité alors que la loi prétend apporter plus de transparence ?
- L’injection d’argent privé de plus en plus nécessaire et la place grandissante des intérêts privés dans les structures décisionnelles ne va-t-elle pas privilégier l’enseignement très appliqué et la recherche immédiatement utilisable au détriment des aspects fondamentaux, seuls garant de l’avenir de notre capacité d’innovation ?
- L’hyperprésidentialisation des structures relevant du mythe du chef omniscient et omnipotent laisse une place dangereuse à l’arbitraire. Tout, absolument tout dépend de la personnalité du président. Ne risque-t-on pas de voir se rejouer dans bien des universités la mauvaise farce du gouvernement ubuesque d’un autre omniprésident ?
Liens et références
La loi LRULe texte officiel de la loi telle qu’elle a été promulguée
Sauvons l’Université
Collectif très connu dans le milieu universitaire. Collecte des analyses, informations et témoignages sur tout ce qui touche à l’Université
Sauvons la Recherche
Son homologue pour les thématiques de la recherche.
Le site du Gouvernement
Le site explicatif du Gouvernement consacré à la loi LRU
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