L’usage d’internet lors de la présidentielle américaine 2008
La fondation Pew Internet and American Life Projet a récemment rendu public son analyse sur le rôle joué par Internet lors de la campagne présidentielle américiane de 2008.
Sur le sujet, beaucoup a déjà été dit et l’étude ne comporte à proprement parler pas de véritable scoop. Il n’empêche, les données de la fondation américaine s’inscrivent dans le cadre d’un suivi amorcé sur cette thématique dès 1996. On comprend alors mieux l’intérêt des résultats de l’étude rendue publique ces derniers jours.
Cette étude a un premier mérite : celui de rappeler à son lecteur que la campagne présidentielle américaine (primaires inclues) s’inscrit dans un contexte marqué par un intérêt sans précédent, ou du moins jamais observé aux Etats-Unis depuis la fin des années 1960, pour l’élection présidentielle et dont on peut supposer sans grand risque qu’il aurait été comparable sans internet. En attestent les audiences enregistrées par les programmes d’information au cours de cette période et le taux élevé de participation électorale le jour du vote. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce regain d’intérêt des américains pour la campagne présidentielle, au premier rang desquels une compétition très ouverte (dès les primaires, en particulier du bord démocrate), la perspective de l’accession à la Maison Blanche du premier président afro-américain et plus globalement une nette réactivation des clivages politiques (et donc un électorat mécaniquement plus mobilisé) après deux mandats exercés par George W. Bush.
Mais revenons aux données de l’étude dont il ressort que près des trois quarts des internautes américains (74% exactement) ont été politiquement actifs sur la toile au cours de cette période (que ce soit pour s’informer et/ou participer), soit plus de la moitié de la population adulte américaine (55%). L’auteur de l’étude distingue les activistes politiques en ligne ("online political users") en trois catégories proches de celles que j’avais déjà identifiées pour la France en 2007 en fonction des activités pratiquées sur Internet :
- S’informer en ligne sur la campagne électorale : sans surprise il s’agit de la pratique la plus courante (60% des internautes) ;
- Communiquer avec ses pairs sur internet au sujet de la campagne électorale : 38% des internautes ;
- Échanger et/ou recevoir des contenus sur la campagne électorale : 59% des internautes (sans doute aurait-il fallu isoler ici les "transmetteurs" des "récepteurs").
Partant de ce constat, l’analyste met à la disposition du lecteur toute une série de données sur lesquelles je reviendrai dans les semaines qui viennent dans le cadre d’une étude comparative avec celles collectées dans le cadre de l’observatoire Ifop des netcampagnes en France.
J’insisterai ici sur un point qui me paraît ici très intéressant. L’étude démontre en effet que les internautes politiquement actifs sur la toile tendent à s’informer de plus en plus auprès de sites internet politiquement proches de leur préférence partisane. Alors que la proportion d’internautes déclarant s’informer principalement sur des sites proches de leurs opinion s’élevait déjà à 26% en 2004, elle atteint désormais 33% des internautes politiquement actifs sur la toile (cet activisme étant, je le rappelle, entendu de façon extrêmement souple). Tout se passe donc comme si les internautes développaient sur la toile des stratégies d’information affinitaires, comprables à celles mises en évidence par RTGI par son travail de cartographie du web (mise en évidence de communautés affinitaires particulièrement nettes). Sans surprise, cette pratique s’avère d’autant plus fréquente que les internautes concernés manifestent un activisme élevé, la consultation de sites proches d’un point de vue partisan passant de 27% chez les internautes les moins actifs ayant pratiqué 1 à 2 activités politiques sur la toile) à 54% (soit le double !) chez ceux en revendiquant 6 et plus.
Ce développement d’une recherche d’information affinitaire est un phénomène particulièrement intéressant, ses conséquences sur le fonctionnement des démocraties occidentales n’étant (potentiellement) pas négligeable. Plusieurs phénomènes sont en effet à "craindre", parmi lesquels :
- Un renforcement des clivages politiques auprès des adultes politiquement actifs sur la toile : plusieurs études ont démontré que, contrairement à une idée reçue, les internautes étaient davantage "dans le système" que "hors système" en matière politique (= ils manifestent une propension moins élevée que le reste de l’électorat à succomber aux extrêmes politiques). Toutefois, en se détournant des sites d’information non partisans (c’est-à-dire généralistes) au profit de sites plus politiquement engagés pourrait assécher mécaniquement le centre politique et durcir les positionnements politiques des électeurs, sans que ceux-ci se déplacent nécessairement aux extrêmes.
- L’accroissement de la fracture civique opposant les adultes intéressés par la politique à ceux entretenant des liens particulièrement distandus avec la chose publique. Ce risque, bien réel, est malheureusement peu étudié ou, lorsqu’il l’est, traité de façon particulièrement maladroite
A ma connaissance, de telles données n’existent pas pour la France... mais il est probable qu’elle n’échappe pas à ce phénomène. La collecte d’information par affinités politiques s’inscrit en effet dans une tendance générale d’atomisation de l’espace public, à la fois commune à la plupart des démocraties occidentales voire des pays développés, et non exclusive à internet mais probablement accentuée par celui-ci. Cette atomisation se manifeste notamment par une atténuation progressive (lorsque ce n’est pas déjà fait) de la domination sans partage des sources d’information généralistes (au premier rang desquel les chaînes de télévision généralistes) au profit de vecteurs à destination de publics plus ciblés (comme le font notamment les chaînes d’information en continu, à destination d’un public CSP+ voir CSP++ et très intéressé par l’actualité).
En découle une situation où les plus intéressés par la politique ont à leur disposition davantage d’opportunités de s’informer et de participer... alors que ceux peu voire pas du tout intéressés n’ont jamais eu la possibilité de s’en détourner avec autant de facilité. Malheureusement, cet aspect n’est pas abordé par l’étude. De même, si son auteur note que les électeurs de Barack Obama ont manifesté un activisme politique supérieur à ceux de McCain, aucune tentative d’identification des effets de l’usage d’internet sur le vote des américains connectés n’est réalisée. Dommage.
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