Quelques heures seulement avant que le Conseil constitutionnel ne rende son avis sur la loi relative à la rétention de sûreté le journal Le Parisien a publié une liste de 32 criminels sexuels, établie par le ministère de la Justice, censés être concernés par la mesure si elle était adoptée. Une façon grossière de faire pression sur les sages qui a suscité l’indignation des syndicats de magistrats.
Bien qu’elle l’ait démenti, il est difficile de croire la Chancellerie quand elle affirme qu’elle n’est pas à l’origine de la transmission de la liste au Parisien. On ne trouve pas 32 profils de détenus en fin de peine, illustrée de reproductions de documents officiels, sans quelques complicités très haut placées. La ficelle était grosse, montrer aux membres du Conseil constitutionnel, en prenant l’opinion publique à témoin, quelles responsabilités ils endosseraient, si d’aventure ils leur prenaient l’idée de censurer la loi. Une conception de la “pédagogie” et du droit, bien particulière selon laquelle la loi serait faite pour régler quelques cas particuliers, fusse en foulant au pied le socle de notre droit.
Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la Justice a réfuté qu’un représentant du ministère de la Justice ait dit que cette liste était, comme l’écrit Le Parisien, une façon de “placer les membres du Conseil constitutionnel devant leurs responsabilités ”. La journaliste du Parisien, elle, maintient qu’il s’agissait bien d’une source à la Chancellerie.
Selon cette dernière, la liste incriminée émane des documents de travail qui ont servi à réaliser une étude d’impact pour élaborer la loi et à nourrir la réflexion à partir de cas concrets. Elle aurait même été présentée lors des débats parlementaires.
Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, “atterrée”, a dénoncé “une intimidation inadmissible des juges constitutionnels”. L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) estime que l’affaire est sans précédent. ”On ne peut pas imaginer que le ministère de la Justice fasse pression d’une manière ou d’une autre et, particulièrement, par la publication d’une liste nominative de détenus, sur la plus haute instance française de régulation”, explique Bruno Thouzellier, président de l’USM. “Ce serait un cas de figure totalement inédit dans un Etat de droit”, a-t-il dit à Reuters.
La suite, on la connaît. Le Conseil constitutionnel n’a censuré que partiellement, même si c’est trop pour Nicolas Sarkozy, le projet de loi Dati.