La chasse aux « Big Millions »
Il y a tant d’écrans de fumée agités ici ou là, au sujet de l’affaire Bygmalion, qu’il est difficile d’y voir clair.
Entre les aveux, et les parades, les dénégations, et les accusations, il n’est peut-être pas inutile de tenter de décrypter le tout.
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Tout a commencé à la fin des années 80 lors de la vilaine affaire Urba, celle qui concernait le financement illicite de la campagne du PS. lien
Avant cette date, il n’y avait pas de règles très tranchées, et chacun se débrouillait au mieux, système D aidant, soutiens financiers parfois occultes, parfois transparents, puisque les partis étaient censés être financés par leurs militants.
Bref il fallait une loi et ce fut acté le 11 mars 1988.
Celle-ci déterminait le financement des partis politiques suivant chaque élection fixant un plafond pour chaque élection. lien
Or comme le disait le 19 juin sur l’antenne de France Culture Edwy Plenel, « nul n’est censé ignorer la loi ». lien
Or dans l’affaire Bygmalion, il s’agit à l’évidence d’un contournement de la loi par un système de double facturation : une facturation officielle, celle qui veut prouver que le candidat du parti a respecté la loi électorale et n’a pas dépassé le seuil fixé, et une facturation secrète qui démontre le contraire.
Pour cela, il faut en trouver les preuves, et la police qui enquête actuellement a déjà des éléments sérieux démontrant qu’il y a bien eu triche, et contournement de la loi.
Dans un premier temps, le conseil constitutionnel, organisme qui s’occupe de vérifier la sincérité des comptes, avait pointé du doigt un dérapage de l’ordre de 470 000 euros, annulant ainsi le remboursement des frais de campagne, et provocant ce que l’on a appelé le « sarkotron » destiné à renflouer les caisses de l'UMP, celles-ci s’étant vidé à grande vitesse suite à la décision du conseil constitutionnel. lien
Mais aujourd’hui, le dérapage n’est plus du tout du même ordre puisqu’il porte sur 17 millions d’euros !
Rappelons que le seuil a ne pas dépasser était de 22 millions d’euros, or avec le dépassement actuel, nous en sommes donc à 39 millions d’euros au total.
Uniquement pour l’entreprise Bygmalion, les dépenses se montent à plus de 21 millions d’euros.
Alors comment a été organisé ce camouflage des comptes ?
Il suffisait de gonfler artificiellement la facturation des différentes prestations destinées à faire la promotion du candidat, et le tout grâce à un système de doubles factures.
Par exemple, 75 552 euros apparaissant sur les comptes officiels de campagne pour la prestation de St Just St Rambert, prix réel 294 141 euros, et tout le reste est à l’avenant.
Observons comment s’est remplie la cagnotte de Bygmalion.
S’il faut en croire le « Canard enchainé » qui a enquêté sur le sujet, l’argent qui a servi à financer cette campagne est venu de tous les horizons : du groupe UMP de l’assemblée nationale (5,5 millions) au parlement européen (12 323 €) en passant par le ministère de la santé (38000 € merci Xavier Bertrand), le ministère de l’intérieur (550 000 €…merci Brice Hortefeux et Claude Guéant), le Médef (351 884 euros), les francs maçons de GNFL (15 000 €), l’UNAP (460 000 €) Dassault (350 000 €), Bernard Arnault du groupe LVMH (90 000 €), Coca Cola (120 000 €), Veolia (179 400 €), EDF (637 000 €…merci Henri Proglio), Bruno Lemaire (43 000 €), Françoise Grossetete (60 000 €) France Télévision (1 200 000 €) et bien sur Jean François Copé (500 000 €) pour obtenir conseils et prestations de ses amis Guy Alvès et Bastien Millot…
Il ne faut pas oublier France Télévision qui dans un premier temps avait dépensé chez Bygmalion la coquette somme de 1 200 000 €, auquel se sont ajoutés 180 000 € (BM consulting de Rémy Pflimlin), 50 528 € de MFP (multimédia France Production), 490 360 € de FTP (France télévision publicité…
La liste des donateurs est plus longue, mais l’addition est déjà assez jolie puisqu’elle se monte à 10 827 495 €, ce qui n’empêchait pas bygmalion d’afficher au 31 décembre 2012 un solde débiteur de 1 133 666 €. lien
On essaye de comprendre ?
Mais qui sont les acteurs pris dans la tourmente ?
En premier lieu, c’est le candidat, un certain Nicolas Sarközi qui est menacé, suivent Jean-François Copé, ex président de l’UMP, Jérôme Lavrilleux, Eric Césari, le trésorier du parti, Bastien Millot, Guy Alves, dirigeants de Bygmalion, Guillaume Lambert, et quelques autres…
Alors aujourd’hui, par un joli jeu de chaises musicales, chacun commence à se défausser sur l’autre, et la justice doit déterminer qui sont les vrais coupables, et ceux qui n’ont été que les exécuteurs des basses œuvres.
Jérôme Lavrilleux a avoué, mais en blanchissant Jean François Copé, qui n’en espérait pas tant, mais en même temps montre du doigt Eric Césari, celui dont l’ex président, dont il était l’oreille attentive, disait « il faut rendre à Césari ce qui lui appartient ».
Si on creuse un peu, on s’aperçoit que Nicolas Sarközi et Jean-François Copé étaient parfaitement au courant des dérives financières de la campagne : Césari avait envoyé à Sarközi un SMS : « nous n’avons plus d’argent … » SMS dévoilé par France Inter, un certain 18 juin à 9 h. lien
Le navire UMP prend donc l’eau de toute part, et le 16 juin dernier, la première mesure prise par le triumvirat qui vient de prendre les commandes du bateau a été de suspendre le contrat d’Eric Césari au motif « de lui permettre de se défendre et à l’UMP de se protéger », privant ainsi l’ex président de la République de renseignements sur l’activité du parti. lien
D’après Jérôme Lavrilleux, Eric Césari était au courant du système de fausses factures décidé lors de la campagne de Sarközi, et c’est lui qui signait les engagements de dépense transmis au trésorier. lien
Si au sein de l’UMP on affiche un optimisme peu crédible, on peut logiquement s’interroger sur la survie de ce parti, qui, s’il avait réussi à maintenir le navire à flot grâce au « sarkothon » pourrait connaitre quelques difficultés à se renflouer à nouveau.
Coté PS, la parole non tenue de François Hollande, positionnant son parti toujours plus à droite, a provoqué un début de scission et la fronde s’élargit, d’autant que 2 conflits sociaux majeurs ne semblent pas près de se conclure favorablement.
Quand à ceux qui voient dans le FN une vrai alternative politique, le bras de fer qui oppose la fille et le père pourrait bien dégénérer, et causer quelques dommages, d’autant que les quelques élus municipaux fraichement choisis, ont brossé déjà un tableau peu glorieux de l’action municipale : entre le port de la blouse chez les écoliers, l’autoritarisme et la discrimination, le parti d’extrême droite commence à montrer son vrai visage. lien
Il faut aussi relativiser la « victoire » du FN aux dernières européennes, car s’il est vrai que ce parti à dépassé les 25% de votes, cela représente en réalité moins de 11% du corps électoral, puisque finalement c’est surtout l’abstention qui a décroché le pompon.
Et, comme on l’a constaté dans le passé, la corruption et la délinquance politique ne sont pas les seuls apanages de l’UMP ou du PS, puisque les membres du front national peuvent déjà se flatter d’être les « premiers de la classe » dans ce triste domaine. lien
Mais revenons à Bygmalion.
Il reste à la justice de travailler et de trouver les vrais coupables, et si dans premier temps, Jérôme Lavrilleux avait assumé à lui tout seul les dérives financières, (lien) il commence maintenant à dénoncer d’autres potentiels coupables.
Quand à Guy Alvez, patron de Bygmalion, et Franck Attal, (l’organisateur des meetings si chers) ils ont affirmé aux enquêteurs que Fabienne Liadze, directrice des affaires financières de l’UMP était parfaitement au courant du système de double facturation. lien
Mais en attendant si on en revient à la loi de financement des partis qui devaient définitivement arrêter ces « dérapages », on s’aperçoit qu’en réalité, ils n’ont jamais cessé pour autant.
En effet, si l’on prend l’élection présidentielle de 1995, il est possible qu’avec l’affaire Karachi, Edouard Balladur, dont les éminences grises des 2 Nicolas, Bazire et Sarkozi, se sont employés à faire financer la campagne, risque bien d'avoir des problèmes.
Plus tard, lors de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarközi est lui aussi accusé par la famille Kadhafi d’avoir profité d’une somme rondelette offerte par l’ex dictateur Libyen, afin de financer sa campagne, mais aussi soupçonné d’avoir reçu de jolies enveloppes grâce à la générosité de Liliane de Bettencourt.
En 2012, comme on le constate aujourd’hui, rebelote…et pour 2017 tout était en train de se mettre en place pour permettre de nouveaux « dérapages ».
Alors quid de cette loi ?
Quid des moyens donnés à la justice pour enquêter et sanctionner au besoin les délinquants pris le doigt dans le pot de confiture ?
Comme dit mon vieil ami africain : « une pirogue n’est jamais trop grande pour chavirer ».
L’image illustrant l’article vient de « urtikan.net »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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