La corruption, vue et corrigée par Tony Blair
« Nous, chefs d’État et de gouvernement du G8, réaffirmons notre volonté de lutter contre la corruption, notamment au plus haut niveau. (...) Nous réaffirmons notre volonté de poursuivre les actes de corruption et d’empêcher les titulaires d’une charge publique de bénéficier des fruits de leurs activités kleptocratiques dans nos systèmes financiers. »
La déclaration des chefs
d’État et de gouvernement du G8, c’était hier. Aujourd’hui, quinze jours avant
son départ du 10, Downing Street, Tony Blair estime que les
médias britanniques ressemblent parfois à « une
bête » féroce, « qui ne fait que déchiqueter les gens et les réputations ».
Les
médias versent de plus en plus dans la surenchère polémique et sensationnelle
et ce problème est lié à la prolifération des nouveaux supports médiatiques, s’est-il plaint devant un auditoire londonien. « Une nouvelle est rarement une nouvelle si elle ne produit pas autant ou
plus d’étincelles que de lumière », a-t-il commenté. Les journalistes,
a insisté Blair, « sont de plus en
plus - et de façon dangereuse - motivés par l’impact », ce qui,
dit-il, « nuit à la
qualité de la presse, fait du tort à l’opinion et limite la latitude des
responsables politiques ».
Comme nous allons le
voir, sans la clairvoyance et la ténacité du Guardian, un scandale, camouflé sous Tony Blair, n’aurait
pas été ramené à l’avant-scène de l’actualité. Il ne nous aurait pas, alors, été donné de saisir la véritable conception du Premier ministre britannique sur les effets de la corruption exercée au nom de l’État.
Londres excuse la corruption pour des raisons
d’État. L’Afrique, par contre, est dénoncée.
The Guardian est impitoyable dans son édition du 7
juin dernier : « « Never let members of this government
complain about corruption abroad. Never let them blame the failure of Tony
Blair’s mission to rescue Africa on venal dictators and grasping officials. The
allegations published in the Guardian yesterday about slush funds used to oil
the Al-Yamamah deal suggest that there is nothing that foreign despots can
teach us about corruption » (George Monbiot, The Guardian, édition du
8 juin 2007).
Selon The Guardian, cité par le Courrier International, vingt-deux ans ont passé
depuis qu’ont surgi les premières accusations, sur l’affaire « Al-Yamamah »,
en octobre 1985, du versement d’une commission aux Saoudiens en échange du plus
gros contrat de vente d’armes jamais signé par le Royaume-Uni. Réaction de Tony
Blair, le 7 juin dernier : « L’essentiel de cette affaire, qui s’est
déroulée dans les années 1980, appartenait au passé ».
Le groupe aéronautique britannique, BAE Systems,
fait également l’objet d’enquêtes de l’autorité britannique anticorruption (Serious Fraud Office, SFO) pour ses activités en
République tchèque, en Roumanie, au Chili, au Qatar, en Afrique du Sud et en
Tanzanie.
Al-Yamamah
Le « Serious Fraud Office » (SFO) ouvre en
2004 une enquête sur la création présumée, par BAE Systems, d’une caisse noire
dans des banques en Suisse de quelque 145 millions de francs pour payer des
pots-de-vin en vue de décrocher des contrats d’armement en Arabie saoudite. Des
versements secrets de plusieurs millions de livres de BAE Systems
ont été découverts sur les comptes suisses d’un marchand d’armes syrien, selon
la presse britannique. Suivant les soupçons avancés, de l’argent aurait glissé
dans les poches de membres de la famille royale saoudienne. De son côté, la
société d’armement réfute catégoriquement ces accusations.
D’après le Guardian et la BBC, qui se
fondent sur l’enquête menée par le « Serious Fraud Office »
(SFO), le groupe britannique de défense, BAE Systems, aurait versé secrètement la
modique somme de 30 millions de livres par trimestre pendant au moins dix ans
à l’ancien ambassadeur saoudien aux États-Unis, le prince Bandar ben Sultan, qui a représenté son pays de
1983 à 2005. Soit un total de 1,8 milliard d’euros ! Le tout transitant
via une banque de Washington sous le vocable officiel de « services
d’assistance ». En contrepartie, BAE Systems s’est arrogé en 1985 le contrat
« Al-Yamamah » concernant la vente et la maintenance d’une
centaine de chasseurs Tornado. Ce qui lui a permis d’engranger 63 milliards
d’euros !
Le prince Bandar ben Sultan a, par la suite, été
nommé secrétaire général du conseil de sécurité national saoudien. Il est
considéré comme un négociateur clé du contrat « Al-Yamamah »
aux côtés de l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher. Pour BAE
Systems, le contrat « Al-Yamamah » était fondé sur « un
accord de gouvernement à gouvernement » et « tous les
paiements de ce type effectués dans le cadre de cet accord l’ont été avec
l’approbation expresse des deux gouvernements britannique et saoudien ».
En 2001, pourtant, la corruption d’officiels étrangers devient un délit au
Royaume-Uni.
En juin 2006, le SFO demande l’entraide judiciaire
à la Suisse, ainsi que la remise de documents bancaires. Le Ministère public de
la Confédération (MPC) donne suite à la demande. La documentation relative aux
comptes d’une dizaine de titulaires a été saisie mais les fonds, eux, n’ont pas
été bloqués.
En décembre 2006, toutefois, les autorités
britanniques mettent fin à l’enquête : l’Arabie saoudite menace d’annuler
un nouveau contrat, cette fois pour des chasseurs Eurofighter, si certains de
ses dignitaires sont mis en cause. Riyad aurait alors donné dix jours à Londres
pour enterrer l’enquête. Cette décision a été critiquée par le comité
anticorruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) qui a demandé à M. Blair de « s’expliquer ».
Pour l’Attorney General, Lord Goldsmith, « It has been necessary to
balance the need to maintain the rule of law against the wider public interest ».
Le Premier ministre, Tony Blair, fondant, pour sa part, son intervention sur la
défense des intérêts nationaux et le danger de porter de graves atteintes aux
relations anglo-saoudiennes, s’explique : « I’m afraid, in the
end, my role as Prime Minister, is to advise on what’s in the best interests of
our country. I have absolutely no doubt at all that the right decision was
taken in this regard and I take full responsibility. »
Le Financial Times note dans son éditorial du 8
juin dernier : « Vladimir Putin, the Russian leader, will
surely raise an eyebrow today when Mr Blair talks “frankly” to him about
the rule of law and the sanctity of contracts. Just as Thabo Mbeki, the South
African leader, has wondered why the UK is pursuing BAE bribery allegations in
his country but not Saudi Arabia ».
Depuis le sommet du G8 à Heiligendamm en Allemagne,
le Premier ministre britannique a commenté en ces termes l’article du quotidien
The Guardian : « si la SFO avait poursuivi son enquête, celle-ci
aurait mis à mal la relation stratégique cruciale de Londres avec l’Arabie saoudite, qui nous aide dans la lutte contre le terrorisme, et le Royaume-Uni aurait
vu disparaître des milliers d’emplois » (Reuters).
Londres ayant ainsi ordonné de classer l’enquête,
le SFO n’a d’autre choix que de suspendre sa demande à la Suisse, sans la
retirer formellement. Paul Reynolds, écrit, sur BBC.News, le 15 décembre
2006 : « Very British solution to Saudi problem... ».
Comme le remarque très justement Defensa, « le plus remarquable dans les suites
du scandale Yamamah [...] et dans la décision
d’abandon de l’enquête du Serious Fraud Office (SFO), le 15 décembre 2006, c’est la constance et la
pugnacité de l’attaque contre BAE. On croyait que cette affaire serait enterrée
par cette décision de décembre 2006 dont l’iniquité semblait garantir
l’efficacité. Il n’en est rien » ;
La commission sur la corruption de l’OCDE
s’intéresse même de trop près à cette histoire au parfum de scandale financier
de haute voltige. Le groupe de travail ad hoc de l’OCDE, présidé par le juriste
suisse Mark Pieth, avait annoncé, en mars dernier, qu’il
allait continuer de creuser sur cette affaire. Un mois plus tard, le journal
britannique Guardian faisait état de pressions de Londres pour
que Mark Pieth soit relevé de son poste, à la grande « surprise » de
celui-ci. Les Britanniques se sentent obligés de demander aux autres pays
membres de la Commission (dont la France, les USA, la Russie, etc.) d’interdire
toute déclaration d’officiels tant que l’enquête est en cours. Le Guardian
commente que « la demande s’est heurtée à un mur » (« ...the
request has hit a brick wall ») et rapporte cette appréciation d’une
source à l’OCDE : « The British do not have support from anyone
else on this ». Pendant ce temps, selon Defensa, « la société BAE est sûre d’elle et agit avec, en plus de l’impudence
qui n’étonnera personne, un sens affirmé de l’impunité ».
L’affaire a des répercussions jusqu’aux États-Unis.
Le Congrès américain, à majorité démocrate, semble décidé à ouvrir sa propre
enquête sur BAE, en vertu du Foreign
Corrupt Practices Act, voté en 2002, d’autant plus que le prince
Bandar est un proche de la famille Bush. Courrier International rappelle que
BAE est un fournisseur officiel du Pentagone, et les ventes aux États-Unis
représentent 42 % du chiffre d’affaires du groupe. Par ailleurs, BAE monte
actuellement une offre de rachat de 2 milliards de livres sur Armor Holdings of
Florida, qui fabrique le blindage des Humvee utilisés en Irak et en
Afghanistan.
Ce nouvel épisode, pour ne pas dire ce vieux
scandale, dans la vie du Premier ministre Tony Blair, à la veille de son départ et après
moult tournées d’adieux à travers le monde, m’inspire la réflexion suivante que
proposaient si bien les frères Edmond et Jules de Goncourt : « Un
gouvernement serait éternel à la condition d’offrir, tous les jours, au peuple
un feu d’artifice et à la bourgeoisie un procès scandaleux. »
Pour consulter une excellente enquête sur la question, voir Defensa.org
Article 52 de la Convention des Nations unies
contre la corruption
Sans préjudice de l’article 14 de la présente
Convention, chaque État partie prend, conformément à son droit interne,
"les mesures nécessaires pour que les institutions financières relevant de
sa juridiction soient tenues de vérifier l’identité des clients et de prendre
des mesures raisonnables pour déterminer l’identité des ayants droit
économiques des fonds déposés sur de gros comptes, ainsi que de soumettre à une
surveillance accrue les comptes que des personnes qui exercent, ou ont exercé,
des fonctions publiques importantes et des membres de leur famille et de leur proche
entourage cherchent à ouvrir ou détiennent directement ou cherchent à faire
ouvrir ou font détenir par un intermédiaire. Cette surveillance est
raisonnablement conçue de façon à détecter les opérations suspectes afin de les
signaler aux autorités compétentes et ne devrait pas être interprétée comme un
moyen de décourager les institutions financières - ou de leur interdire -
d’entretenir des relations d’affaires avec des clients légitimes.
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