La désintégration de l’Occident est-elle plausible ?
Après l’effondrement de l’URSS, la désintégration de l’Occident est-elle plausible ?
1 vision de l’imbroglio global
On se souvient des interminables gloses sur la chute du mur de Berlin fin 89 puis de la dissolution de l’Empire soviétique en 1992. Les optimistes béats y ont vu le triomphe des valeurs démocratiques en adhérant peu ou prou aux analyses de Fukuyama dont l’optimisme a vite été balayée par l’hypothèse d’un choc de civilisation habilement suggéré par Huntington mais aussitôt contesté par d’interminables controverses. Depuis, le monde a vécu, entre développement économique, nouvelles technologies, pays émergés sans oublier une évolution géopolitique et la monté en puissance des mouvances islamiques qu’on ne sait pas nommer et qu’on nommera islam intégriste et revendicatif. La situation se présente comme l’IRA ou l’ETA ou alors l’OLP. Il y a une branche politique et une branche militaire. Les milices liées à ces mouvements qui n’ont pas de structure étatisées sont désignées comme terroristes. Elles pratiquent une violence non légitime ou non légale ; contrairement aux Etats qui, selon la bonne formule de Weber, ont le monopôle de la violence légitime. Contrairement à l’ETA ou l’IRA, l’islam intégriste n’est pas localisé mais diffus et disséminé, présent sur de nombreux territoires, particulièrement au Moyen Orient mais aussi en Afghanistan, sans oublier les mouvances terroristes présentes dans d’autres pays d’Asie et bien évidemment, une grand partie de l’Afrique, du Nigeria à la Somalie.
Ce tableau laisserait penser que le monde occidental désigné comme libre et démocratique n’a qu’un ennemi, l’islam intégriste, qui possède une branche légale, ne l’oublions pas, avec l’Arabie Saoudite et quelques autres monarchies pétrolières. Mais ce tableau est tronqué dans la mesure où la notion de monde occidental n’a plus cours dans un contexte où tous les pays ont adopté les normes et valeurs techno-industrielles de notre temps. S’il existe des différences, c’est dans le niveau d’équipement et la puissance productive mais aussi au niveau des régimes politiques. Même au sein du grand ensemble démocratique qui lui, assume tant bien que mal un héritage libéral occidental. En ce sens, l’Occident plus ou moins démocratique inclut les nations de l’hémisphère nord, de la Russie au Etats-Unis en passant par l’Europe, mais aussi la plupart des pays d’Amérique du nord au sud. Le Japon est pratiquement occidentalisé bien que conservant ses traditions séculaires. Nous sommes dans un Occident moderne et pas encore post-moderne. Mais les pays islamiques proches de l’Europe peuvent aussi être considérés comme appartenant à l’Occident, sauf que cet Occident est pré-moderne, pour ne pas dire archaïque et régressif.
Dans cette nouvelle donne géopolitique, la Russie est devenue sur le dossier Etat islamique l’alliée de l’Otan mais elle est l’adversaire de l’Otan sur le dossier Ukraine. Le grand bloc de l’Occident combat un Occident exotique et archaïque inspirée de l’islam, comme en d’autres temps ce bloc avait combattu les nazis. Les mauvaises langues et autres théoriciens du complot pensent que Daesh a été voulu par les Etats-Unis. C’est du pur délire même si quelques hommes de l’ombre servent les ténèbres. La genèse du merdier actuel est plus compliquée mais disons que comme l’Etat est un jeu de lego, l’une des constructions les plus puissantes se développe. C’est l’armée et la police. Avec des instruments technologiques et des spécialistes pour les manipuler. Et c’est dommageable car tous ces moyens font défauts dans d’autres secteurs. Je pense à l’éducation, la recherche plus que fondamentale et tous les dispositifs permettant de bâtir et solidifier une civilisation digne de ce nom.
Ce panorama sommaire permet de comprendre que l’Occident a un ennemi pas si puissant qu’on ne le pense et que le principal ennemi de l’Occident, c’est lui-même et son dispositif technocratique adossé à une idéologie scientifique qui se dissimule. Le résultat étant que les aspirations collectives ne peuvent plus émerger dans les débats public car les désirs, les addictions consuméristes, les émotions, les peurs, les divertissements médiatiques de masse, ne laissent pas de place à l’authentique débat démocratique. Le malaise des populations est avéré mais au lieu de leur donner les moyens d’inventer la civilisation, les médias, occupés par les agitateurs et autres manipulateurs politiciens démoniaque, donnent au peuple des os à ronger et des épouvantails contre lesquels il faut aboyer. Avec des mots pour nommer ces épouvantails. Europe, euro, Poutine, austérité, Otan, biodiversité, ultralibéralisme, climat, capitalisme… bref, pas de quoi donner à penser et en vérité, l’inverse. Comme l’avait dit avec une incroyable subtilité Heidegger, on ne pense pas car ce qui permet d’accéder à la pensée se dérobe.
(Ce qui se dérobe, c’est la pensée certes, mais quel serait l’objet de la pensée. Heidegger disait qu’on a deux options face à un penseur, soit agrandir son regard et chercher dans son œuvre l’impensé. Soit le prendre comme adversaire et rapetisser sa pensée en assoyant la sienne. Heidegger avait en tête la pensée de l’Etre. Mais la vérité sur Heidegger, c’est la pensée du Temps. Et comme il y a pensée, il y a l’impensé du temps, thèse que je fais mienne et qu’il me sera peut-être un jour possible d’expliciter).
Je ferme la parenthèse pour revenir à ce qui se dérobe à notre époque. C’est à la fois la compréhension d’où nous venons, où nous sommes et par conséquent ce que nous pouvons espérer et qui nous est accessible. La politique n’a pas de vision d’avenir à proposer aux citoyens, les philosophes non plus. Pourtant, chaque politicien ou intellectuel a une vision de son futur. Cela s’appelle une feuille de route ou un plan de carrière. Avec un timing assez limité. Ces gens sont tous des joueurs, comme Poutine, celui dont on a pu dire qu’il joue avec quelques coups d’avance. Les politiciens sont comme des joueurs d’échec qui anticipent les coups dans une temporalité mesurée à l’échelle de temps qui mesure les échéances électorales. Ce petit jeu ne leur permet pas d’avoir une vision globale du passé et de l’avenir. Les médias montrent le jeu et commente les phases du jeu politicien. Là aussi, nulle vision d’avenir.
Ce qui empêche notre époque d’avancer vers un ad-venir tout en oeuvrant dans le sens d’une sorte de désintégration civilisationnelle, c’est la technique, la science, la technocratie et l’idéologie a-politique et a-temporelle qui la sous-tend. L’homme du technocosme ne connaît pas la pensée du Temps, ce Temps cosmologique qui est aussi le Temps des créations, le Temps de l’évolution et du long mûrissement des œuvres historiques. L’homme du technocosme calcule le temps et ce faisant, tue le Temps. On assiste à une fuite en avant pour ceux qui sont sur les rouages du temps et des machines. Mais aussi à une sorte de mélancolie accompagnée de nostalgie ou de réaction, ce qui est une fuite dans les replis de l’histoire passée. D’où une scission entre trois formes idéologiques dans l’appréhension du devenir politique des sociétés.
Les réactionnaires veulent revenir au passé. Les conservateurs veulent maintenir le système mais comme le monde avance avec ses technologies, les conservateurs se doivent d’être réformistes. Il y a enfin les révolutionnaires qui veulent changer la société. Trois formules pour définir ces courants. On aura reconnu pour les réformistes une célèbre réplique du roman de Lampedusa, Le guépard qui raconte le déclin de l’aristocratie italienne et ce réflexe opportuniste de tout changer pour maintenir sa position :
Réactionnaires. Avant c’était mieux Réformistes. Il faut que tout change pour que rien ne change Révolutionnaires. Soyons réalistes, espérons l’inespéré et réalisons l’impossible
Vous pouvez lire mes deux derniers billets qui portant sur les réactionnaires et les réformistes. Je n’ai pas eu l’énergie pour rédiger une prophétie révolutionnaire. A plus, chers confrères et amis.
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