La diversion de Minc

Alain Minc n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Pour lui, le fait que Benoit XVI soit allemand le disqualifie pour parler sur la question des roms, au regard du passé de l’Allemagne. C’est gros, c’est énorme, mais parfaitement calculé, car ainsi, il déplace le débat et la polémique, évitant de répondre sur le fond aux propos du pape, qui a lancé une belle pierre dans le jardin de Sarkozy. Le pire, c’est que ça marche, Christine Boutin ayant immédiatement embrayé.
Pour qu’Alain Minc fasse une telle sortie, c’est que la prise de position du pape devait être bien embarrassante. Et elle l’est, pas tant sur le contenu que sur le simple fait qu’elle existe. Le pape n’est pas spécialement intéressé par la vie politique française et n’y fait jamais d’ingérence. Cette rareté rend les quelques interventions, même très allusives comme celle sur les roms, d’autant plus remarquables. C’est aussi le signe que le malaise n’est pas seulement en France. En effet, et les médias français ne se privent pas de le souligner, la presse étrangère a traité ce sujet, souvent sous un angle peu flatteur pour la France "pays des droits de l’homme".
Cette intervention pontificale a aussi des répercutions internes, car il est reconnu comme leader d’opinion par les catholiques français. Ces derniers avaient déjà leur idée de ce qu’il fallait penser des dernières initiatives sécuritaires de Sarkozy, mais cette petite phrase du pape, c’est le signal qu’on peut se lâcher. Il n’y a qu’à voir l’effet que cela a eu sur Christine Boutin ! Elle n’avait déjà pas sa langue dans sa poche depuis qu’elle a été virée du gouvernement, mais maintenant, elle est déchaînée. Et cela risque de prendre des proportions plus importantes, car plus qu’un désaveu d’une initiative particulière, ce signal peut être celui d’un désaveu d’une position politique globale.
Depuis la création de l’UMP en 2002, les centristes qui s’y sont ralliés se sont sentis marginalisés. Depuis 2007, ce sentiment s’est accentué, et ça ou là, des mouvements de mauvaise humeur se sont exprimés. On se rend compte que certains centristes ne restent à l’UMP que pour des raisons d’investiture aux élections, mais ne s’y sentent plus idéologiquement chez eux. Comment voulez vous qu’un centriste démocrate-chrétien se retrouve dans Frédéric Lefebvre ou Nadine Morano ? Pour le moment, il n’y a eu qu’un seul départ de l’UMP vers le Nouveau Centre, Hervé de Charette, car toutes les conditions ne sont pas encore réunies. Mais tous les ingrédients ou presque sont là !
Il existe un réel mécontentement d’une partie des troupes et des élus de l’UMP, qui ne se reconnaissent pas dans la dérive droitière de Sarkozy. L’abstention d’une partie de l’électorat de droite aux dernières régionales est un signal qui ne trompe pas. Et depuis ce message, les choses ont encore empiré ! Rien, absolument rien n’a été fait pour caresser cet électorat dans le sens du poil, bien au contraire. Sarkozy croit que cet électorat est captif, et que le moment venu, une bonne dose de démagogie les fera taire et les ramènera au bercail. Il se trompe lourdement, car la faille se creuse.
Une structure d’accueil existe, avec le Nouveau Centre et les petits partis centristes (comme l’Alliance centriste d’Arthuis, le micro-parti de Boutin ou le parti Radical Valoisien). Pour l’instant, c’est très éclaté, ça manque de leaders charismatiques, mais cela peut changer très vite. La campagne présidentielle s’annonce et c’est l’occasion de voir émerger un candidat de cette mouvance de centre droit. S’il se révèle à la hauteur, il peut fédérer autour de lui, créer une structure politique suffisamment forte pour engager un dialogue d’égal à égal (ou presque) avec l’UMP, capable d’avoir des candidats crédibles dans toutes les circonscriptions, un bon réseau d’élus locaux. Il manque juste le leader, et encore, si Jean-Louis Borloo voulait bien se bouger un peu, il pourrait l’être, ce leader qui manque tant au centre.
Enfin, il faut un détonateur. Les expulsions de roms et la surenchère sécuritaire de ce mois d’août 2010 peuvent jouer ce rôle. Autour d’un événement, d’un symbole, tout se cristallise et ce qui était latent devient tangible.
Je pense que s’il y avait eu aujourd’hui un vrai leader au nouveau centre, capable de fédérer les hommes et d’incarner les valeurs du centre droit, on assisterait à une vague de départ de l’UMP. Beaucoup veulent partir, mais pas pour rejoindre le quasi-vide. C’est ce qui sauve Sarkozy et l’UMP. Il n’empêche, la situation est sérieuse, et c’est ce qu’à du sentir Alain Minc, qui quoiqu’on en dise, à un talent inné pour sentir d’où vient le vent.
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