La France est prête pour la social-démocratie : pourquoi attendre ?
La France est l’une des dernières grandes démocraties européennes à n’avoir pas expérimenté en profondeur la social-démocratie. C’est pour le moins paradoxal : en effet, quelle meilleure définition de la social-démocratie que la devise inscrite au fronton de la République : liberté, égalité, fraternité ? Liberté individuelle, liberté d’entreprendre ; égalité des chances, droit à la satisfaction des besoins fondamentaux de tous ; fraternité (c’est-à-dire la solidarité, la redistribution) comme moyen d’assurer l’atteinte combinée de ces deux idéaux. La social-démocratie peut ainsi se voir comme la recherche d’un équilibre durable (et non d’une confrontation) entre liberté, égalité et fraternité, par le compromis des forces économiques et sociales.
Repensons à ce que disait Keynes en son temps : « Le problème politique de l’humanité consiste à combiner trois choses : l’efficacité économique, la justice sociale et la liberté politique. » On en est toujours là (si ce n’est qu’il faut désormais en ajouter une quatrième : le défi écologique) et c’est la question fondamentale posée par le second tour de la présidentielle.
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Il existe aujourd’hui une majorité d’électeurs, allant de la gauche au centre droit (voire aux gaullistes), qui se retrouvent dans un corpus de principes sociaux-démocrates, que l’on pourrait exprimer de la sorte :
- Revendiquer son inscription dans l’économie de marché et la mondialisation ; encourager la liberté individuelle, l’esprit d’entreprise et l’initiative privée ; tout en reconnaissant que le marché crée des inégalités sociales et des dégâts écologiques qu’il ne sait pas combattre « tout seul » (sans régulation) ;
- Réformer l’Etat, garantir son impartialité, supprimer les gaspillages, améliorer les process (ce n’est pas l’idée de l’Etat social ou des services publics qu’il faut remettre en cause, c’est leurs modalités de mise en œuvre et leur efficacité) ;
- N’idéaliser ou ne diaboliser ni l’Etat, ni le marché ;
- Agir au plus près des citoyens, efficacement et équitablement (décentralisation plus forte et simplification et rationalisation des différents niveaux de collectivités territoriales) ;
- Renforcer le dialogue social en renforçant et appuyant la modernisation des syndicats. Mener des réformes construites et partagées avec les partenaires sociaux ;
- Dans un monde en forte évolution, développer la capacité d’anticipation et d’intervention amont, dans le cadre de visions stratégiques de long terme, notamment dans les champs de l’écologie, de la dette, de l’aménagement territorial, des mutations industrielles, de la jeunesse, de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’emploi ;
- Privilégier la protection de l’individu plutôt que celle des structures (sécurisation des parcours professionnels, sécurité sociale professionnelle) ;
- Affirmer l’efficacité économique du « social » et l’utilité économique des transferts sociaux, à considérer comme des investissements rentables au service de la collectivité (pour peu bien sûr que ces dépenses sociales soient bien menées) ;
- Lutter autant contre l’insécurité sociale et économique que contre
l’insécurité civile (qui sont d’ailleurs liées) ; - Viser la montée en qualification globale de la population active par l’investissement sur l’éducation, la formation et les organismes d’aide aux demandeurs d’emploi ;
- Taxer le capital (notamment spéculatif) plutôt que le travail ;
- Affirmer que nous faisons tous partie du même bateau (riches ou pauvres, Français et immigrés, habitants de centre-ville ou de banlieue, jeunes ou vieux, etc.). Il n’y a pas d’un côté les « méritants » et de l’autre, les « déviants »...
Voici donc quelques idées fondamentales (il y en d’autres) partagées aujourd’hui par une vraie majorité d’électeurs, et qui peuvent fonder un programme concret et partagé, une vision cohérente et utile pour la France (et pour l’Europe !).
Au-delà des postures, il y a ainsi en France le potentiel d’un véritable consensus social-démocrate qui pourrait rassembler une large part de la gauche et du centre, voire une petite partie de la droite. Mais, tel M. Jourdain, la France est sociale-démocrate mais l’ignore ou refuse de l’admettre !
Les crises récentes (référendum du 29 mai 2005, embrasement des banlieues, crise CPE...) montrent l’urgence d’une telle approche pour apaiser, rassembler et mettre en mouvement les Français. La voie sociale-démocrate est ainsi le choix politique naturel, sensé et efficace d’une France de 2007, bien en phase avec son histoire, ses valeurs et ses besoins.
François Bayrou a largement contribué à ce que ce consensus soit désormais plus visible. Reste à le concrétiser. Et, objectivement et sans vision partisane, Ségolène Royal est aujourd’hui la mieux placée pour porter ce projet[1] (Nicolas Sarkozy porte un projet différent, ce n’est pas lui faire injure que de le dire).
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Je comprends les électeurs d’extrême gauche qui trouvent la social-démocratie insuffisante, trop tiède et manquant d’ambition sociale. Mais outre évidemment que ce projet est plus à gauche que celui de Sarkozy, rien ne les empêche, bien au contraire, de voir cela comme un début, de voter pour le 6 mai, et de continuer ensuite la lutte progressiste dans les mouvements sociaux, pour faire incliner le plus à gauche possible la mise en œuvre de ce projet.
Je comprends aussi les électeurs de centre droit (voire de droite) de François Bayrou qui se méfient du PS et de ses sempiternelles querelles internes, postures et manœuvres. Mais n’oublions pas que dans la Ve République, c’est le président qui donne le la ; en l’occurrence si ce « la » est social-démocrate, le PS ne pourra que suivre. Surtout que le Parti socialiste n’est ni plus ni moins qu’un parti politique : ce qui l’intéresse, c’est l’exercice du pouvoir. Une fois victorieux, il ne pourra pas aller contre l’Histoire et évoluera naturellement vers un parti social-démocrate.
Je voudrais aussi souligner à leur attention que François Bayrou a défendu pendant la campagne un projet très proche des idéaux sociaux-démocrates, avec sa vision de « social-économie » par exemple. (Au fond, en empruntant aux références américaines, on pourrait voir ce premier tour de la présidentielle comme une sorte de « primaire » qui ne disait pas son nom, entre deux candidats porteurs d’une vision « démocrate » - l’une sociale-démocrate et l’autre démocrate-chrétienne - pour désigner qui devra faire face au projet « républicain » de Sarkozy).
Enfin, à celles et ceux tentés par le vote blanc, nul ou l’abstention, je voudrais dire de bien y réfléchir avant, car le 7 mai cela sera trop tard, et nous devrons assumer collectivement ce qui se passera ensuite pendant cinq ans (au moins !).
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En paraphrasant le candidat Sarkozy, on pourrait dire que la social-démocratie est inscrite dans les « gènes » françaises. Mais sa concrétisation « à la française » reste à inventer. Nous avons aujourd’hui une opportunité historique de passer à l’acte : pourquoi attendre ?
Amazir Zali
[1] Alors, c’est vrai, on pourra légitimement reprocher à Ségolène Royal de ne pas affirmer formellement plus clairement sa position sociale-démocrate : mais qu’importe la forme si on a le fond ? Or, qu’est-ce que « moderniser le dialogue social par le compromis gagnant-gagnant », « réconcilier la France avec les petites et moyennes entreprises », « établir la règle du donnant-donnant », « lutter contre les gaspillages », « réformer l’Etat », « pas d’efficacité économique sans sécurité sociale », etc. (sans oublier sa référence régulière aux pays scandinaves), qu’est-ce donc si ce n’est de la social-démocratie ?
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