La fureur et le bruit
Depuis plusieurs jours, la mort de Valentin, ce jeune garçon horriblement poignardé, fait la "une" médiatique. Pourquoi pas ?
L’enquête de gendarmerie a été remarquablement menée, sous l’autorité du procureur de la République de Bourg-en-Bresse qui parle beaucoup, voire trop (France Inter). C’est indéniable.
Un couple a été interpellé dont l’homme est fortement soupçonné à cause de la présence de son ADN sur la petite victime. Ses facultés mentales semblent altérées. C’est un constat.
Le garde des Sceaux a tenu à être informée sans cesse des développements de l’affaire. Le procureur général de Lyon a souligné qu’il a informé le ministère de la Justice heure par heure. Un système hiérarchique au comble.
Le Figaro, Le Parisien avec une double page, Le Monde de manière plus succincte continuent de braquer les feux sur cet épouvantable crime.
La fureur donc. Les probabilités et la présomption d’innocence. La responsabilité pénale réduite ou peut-être abolie. Le judiciaire a parfaitement accompli sa mission et il pourrait, il devrait continuer à l’accomplir dans la solitude, celle d’une institution qui sait ce qu’on attend d’elle et quelles sont ses obligations.
Pourquoi, alors, en même temps, la sensation presque effrayante, impudique en tout cas, du bruit ? Pourquoi l’impression nauséeuse que la tragédie passe au second plan au profit d’une effervescence qui, mêlant justice, médias et ministres, interdit littéralement aux parents du petit Valentin d’abriter leur douleur dans une retraite, de surmonter ce qui, en prétendant leur offrir l’infinie et pesante sollicitude de l’Etat, les étouffe ? Il y a pourtant mille manières, même au sein de l’intensité judiciaire la plus légitime, de sauvegarder la part du respect et du silence. D’abord en ne greffant pas, pour la conjoncture, des rameaux adventices sur le tronc central de la justice chargée de l’élucidation de ce crime et de l’élaboration pertinente de ses suites.
Deux ministres se sont, dans la foulée de l’appréhension du couple, rendues sur place. L’une pour féliciter les forces de gendarmerie, l’autre pour rencontrer les parents de Valentin et leur expliquer, ai-je lu, la nature de l’irresponsabilité pénale et les bienfaits à venir de la rétention de sûreté.
Mais on n’en est qu’au début. On ne sait rien de manière certaine. On ne peut s’empêcher de percevoir là comme une précipitation. D’une part, elle ajoute un poids au lieu de laisser la souffrance tranquille. D’autre part, imposant en surnombre le politique, elle réduit la singularité de la procédure au profit d’une exploitation pas forcément démagogique, en tout cas inutile d’un drame qui se suffit à lui seul et dont ses gestionnaires naturels avaient déjà pris la mesure.
Tout ce que touche de près le politique n’est pas miraculeusement ennobli. Mais parfois dénaturé. Ce n’est pas la même chose, pour des responsables gouvernementaux, d’adresser des messages, d’encourager de leur poste de commandement, et de se rendre directement, physiquement sur les lieux d’un crime, en favorisant, la procédure à peine commencée, par leur seule présence et l’affirmation qu’elle porte, des risques de partialité et d’aveuglement. Je n’aime pas ce parfum subtil de dessaisissement des magistrats qu’au moins, un trait de temps, cette "descente" diffuse.
Le grand avantage pour des ministres, spécialement le garde des Sceaux, d’une abstention générale et clairvoyante, c’est qu’on ne pourra jamais leur reprocher, pour les catastrophes relevant de leur fonction, des inégalités de traitement. Mais demain, pour peu qu’un nouveau crime soit commis avec une médiatisation aussi forcenée et une efficacité judiciaire équivalente, quel procès serait intenté à Rachida Dati si elle ne se déplaçait pas ! Les précédents sont terribles qui laissent croire à des droits. Alors que l’administration de la justice exige qu’on la contrôle certes, mais qu’on ne vienne pas la troubler, même avec les meilleures intentions du monde.
Il y a eu de la fureur. S’il pouvait y avoir moins de bruit, ce serait bien.
Pour la justice. Pour les parents de Valentin. Pour la mémoire de Valentin et de son petit corps supplicié.
Crédits photo : AFP
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