La future privatisation déniée de La Poste : un processus (in)évitable ?
La grève, un contre pouvoir ?
Autre avantage qu’une entreprise comme La Poste soit entièrement publique, c’est que les salariés, quand ils s’attendent à une éventuelle réforme, (sur les conditions de travail, sur l’allongement des annuités, le traitement des fonctionnaires), peuvent s’organiser en assemblées générales et faire grève pour tenter d’infléchir, faire reculer la décision d’un gouvernement. Ainsi, tant que La Poste restera publique, donc tant que l’État en sera actionnaire à hauteur de 100%, les salariés seront globalement relativement protégés. Protégés, dans le sens où les organisations syndicales et les salariés possèdent encore un peu de poids dans les rapports de force. Protégés, car la grève qu’ils peuvent mener est un moyen de lutter contre les éventuelles dérives.
Mais dès qu’une privatisation pointe le bout de son nez, c’est aussi la porte ouverte à l’entrée de n’importe quel investisseur privé, extérieur à l’entreprise, mais dont les intérêts privés convergent. Une filiale de n’importe quelle marque qui produit des yaourts, du caoutchouc ou n’importe quel produit s’attribue un portefeuille de titres alors qu’elle est complètement extérieure à l’entreprise concernée. C’est ça, le but de l’actionnariat moderne : satisfaire les intérêts privés des groupes actionnaires alors qu’une gestion équitable des ressources humaines voudrait logiquement que le salariat soit le premier représentant de l’entreprise, c’est-à-dire qu’il n’y ait d’actionnaires que les personnels internes de l’entreprise, toutes parts égales par ailleurs. Que le patron ne soit pas plus supérieur à ses salariés de par son simple statut, et au moins, le salarié ne serait pas exploité pour que la direction tire de son travail une plus-value à fournir à l’actionnariat, puisque lui seul recevrait les réels fruits de son travail. Que tout ce qui touche à l’entreprise, le statut juridique, les salaires, le temps de travail, les questions concernant l’embauche et l’investissement, ne soit discuté qu’entre les salariés et la direction, dans un environnement fermé, sans interférences avec l’extérieur, les soldats de la guerre économique (concurrence, compétition, rentabilité). Enfin bref, à défaut d’abolir ce modèle d’entreprise où les profits sont issus de l’actionnariat, pourquoi ne pas s’organiser en coopératives de travail ? Bien entendu, cet écrit combat la prochaine privatisation du service postal public français, il n’est donc pas question de proposer que La Poste ne devienne une coopérative, mais de s’insurger contre cette carence notoire de négociation collective ne débouchant inévitablement qu’à des tensions : « nos » dirigeants affables, Estrosi, Lagarde et compagnie, se targuent de dire qu’ils assurent le dialogue social entre les différents « partenaires », et en même temps, appliquent sans appel leur politique autoritaire fidèle au marché en faisant fit des réels besoins de la population, de la société civile. Ou plutôt, ils satisfont à leurs devoirs populistes en libéralisant à outrance l’économie…et servir les lobbies européens.
De plus, La Poste, ce n’est pas qu’un repaire de feignants, où un fonctionnaire sur trois est payé à ne rien faire. Comme tout corps de métier, il y a des contraintes, et des tensions. Cet argument du facteur nantis, matraqué par la toile médiatique depuis globalement deux ans paraissait bien faible de la part d’une classe politique nouvellement formée pour faire avaler la pilule à un électorat trompé, et pourtant, on dirait que la mayonnaise à plutôt bien pris.
Dans le système actuel, on comprend bien que si une entreprise est détenue à plus de 50-60% par des personnes (physiques ou morales) privées, le poids et le pouvoir de contestation des salariés est réduit en cas de réforme structurelle. Admettons que je sois riche à coup de milliards, et que je lance une OPA sur une entreprise telle que La Poste nouvellement libéralisée, que le conseil des actionnaires dont je suis le président, décide à l’AG que les salariés devront accepter un salaire moindre, des vacances plus courtes, voir même des plans sociaux plus récurrents pour faire face à la concurrence européenne du marché postal. Quelle est ainsi la marge de manœuvre des ouvriers, autrefois fonctionnaires ? Aucune. Le rapport de force est donc inégal. Le facteur français qui fera grève le mardi ou le jeudi sera sanctionné, voire licencié, sanction qu’il ne subit pas en tant que fonctionnaire. De plus, de fait qu’il y ait le droit de grève, que la sécurité de l’emploi étatique apporte, cela freine grandement le pouvoir comme déjà dit : les facteurs, les gaziers, électriciens d’EDF, pêcheurs, agriculteurs et routiers, sont ceux qui fournissent de l’eau au moulin dans l’économie, ils appartiennent au postes clés. Ce sont donc les plus à-même d’organiser une véritable grève générale, et de bloquer une économie toute entière. Et faire tomber un gouvernement si cette dernière est efficace et non réprimée. Car c’est la société civile qui s’organise, par des procédés de désobéissance civile, par des actions concrètes et fédérées, ce qu’on ne peut pas faire si l’on doit pointer tous les jours pour engraisser un actionnariat privé. Bloquer les routes, les usines, boycotter les paiements aux gros sous traitants, et stopper la distribution des courriers « officiels ». C’est bien cela que les multinationales munies de leurs vassale classe politique au pouvoir voudraient abolir : cette partie infime de pouvoir de contestation que le peuple dispose encore un peu. On imagine bien mal les salariés de France Télécom couper les réseaux et s’organiser autour de piquets de grève pour bloquer la téléphonie française en cas de montée fulgurante du nombre de suicides occasionnés par un management tyrannique des ressources humaines…
Mais il est cependant possible de lutter individuellement contre les vagues successives de libéralisation qu’un gouvernement méprisant opère sans écouter la moindre palabre venant de la population qu’il est censé représenter. C’est jeter un caillou à la mer, me direz-vous, pisser dans un violon, se battre contre le vent et mener un combat perdu d’avance. Mais pas si ce type d’actions concrètes vaguement énoncées plus haut se généralisaient. Boycotter le vote électoral pour les grandes échéances me paraît, une fois de plus, être un combat légitime donnant un sentiment de ne pas cautionner à toute cette mascarade démocratique fumante.
Samuel Métairie.
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