La Gauche cocue ?
C’est la foire d’empoigne au Parti Socialiste. À la mort du Grand Charles, on avait dit que la France était veuve. Les frasques des tout petits héritiers de Jaurès nous sortent de la tragédie pour nous conduire au vaudeville : la France de gauche n’est pas morte... elle est cocue…
Pour bien comprendre le résultat prévisible de ce match nul entre Royal et Aubry, il va falloir faire un retour sur des constats d’un simplisme choquant, mais il y a des moments où la gratification intellectuelle de la complexité coûte trop cher et où il vaut mieux être aussi simple que le plus simple de ceux qui auront à se prononcer sur l’avenir de la nation. Comprendre ce qui arrive exige un regard innocent.
D’abord, comprendre qu’il y a toujours en France quatre (4) espaces politiques dans chacun desquels peuvent coexister une foule de partis, de tendance et de sensibilités qui s’entredéchirent avec délectation, mais dont on peut raisonnablement prévoir qu’ils se réuniront au moment de vérité.
Ainsi, y a en France une Gauche qui veut plus d’égalité et de concertation face à une Droite qui veut plus d’initiative et de discipline. On notera que ces buts ne sont pas vraiment contradictoires ; affaire de priorité, plutôt… Quelques âmes inconstantes, frustrées par les événements ou séduites par le discours des politiciens, passent de gauche à droite ou vice-versa et font virevolter les maroquins, mais c’est sans grande importance.
Mais il y a aussi les extrêmes.L’extrême-gauche pour ceux qui sont prêts à des changement institutionnels majeurs afin obtenir plus d’égalité … et l’extrême-droite qui réunit de temps en temps ceux qui seraient prêts à tout oublier des institutions pour que les problèmes se règlent au mieux et au plus vite.
Mêlez les objectifs de ces quatre (4) groupes, pondérez par la force dont disposent leurs supporters - dont le nombre n’est que l’élément le plus visible - donnez une prime à l’inertie quand tout baigne, à l’impatience quand rien ne va plus et vous trouverez la recette de la gouvernance idéale à laquelle Quidam Lambda espère que le processus démocratique lui permettra d’accéder.
Il l’espère, mais conscient en France, plus que dans les pays anglo-saxons, que ce n’est pas toujours un processus démocratique qui le permet. Contrairement aux USA - où un coup d’État ne se ferait qu’en invoquant le démocratie ! - on peut très bien concevoir que les Français puissent souhaiter ouvertement, au moins pour un temps, autre chose que la démocratie.
Au débat assez inoffensif entre la gauche et la droite institutionnelles qui est l’ordinaire de la politique française, se surimpose donc parfois un autre débat, plus dur, entre ceux pour qui les institutions sont une fin et ceux – les « extremistes » - pour qui elles ne sont qu’un moyen. De temps en temps, ce débat prend plus d’importance.
Il y a 50 ans qu’on n’a pas vraiment remis en question les institutions. Depuis la chute de l’URSS, le communisme ne joue plus du tout son rôle d’extrême-gauche crédible. Le FN n’a jamais atteint 20% de soutien populaire et personne n’a jamais craint sérieusement qu’il prenne le pouvoir par la force. Les extrêmes sont en dormance.
Ils sont entrés en sommeil profond l’an dernier, quand l’UMP a ravi la moitié de la clientèle lepéniste et que ce qui était à gauche du PS est devenu si marginal qu’il n’y avait plus à y porter attention. Dans ce contexte où tout gravitait vers le centre et loin des extrêmes, s’est développé un Centre qui, au lieu de voir sa vocation comme un arbitrage éventuel entre la Gauche et la Droite pour déterminer une direction de gouvernance, s’est identifié comme une option permanente.
Ce Centre s’est trouvé un porte-parole en Bayrou et a fait l’impasse sur le clivage idéologique Gauche-Droite, posant implicitement pour axiome qu’il existait désormais un consensus social sur ce que l’on attend de l’État. Le débat politique devait donc porter sur les moyens a prendre pour atteindre ces buts désormais incontestés… et sur la compétence et la personnalité de ceux à qui l’on confierait le gouvernail. Une vision politique toute à l’américaine.
Dans le contexte de 2007, Bayrou aurait pu accéder à la présidence. Segolène ne voulant pour rien au monde y renoncer, toutefois, elle s’est niée au sacrifice qui aurait pu stopper Sarkozy. Elle a ensuite habilement manœuvré le PS pour l’amener non vers Bayrou, mais vers l’espace qu’occupait Bayrou. Un espace qu’elle aurait pu occuper et qu’elle se croyait encore capable d’occuper en utilisant les ressources du PS pour reléguer ce dernier au rôle de gentil précurseur… Le pouvoir semblait là.
Le PS de Ségolène, sans le dire, deviendrait un parti du centre et la France de gauche serait cocue
Mais c’était en 2007… En 2008, avec la crise, ceux qui réfléchissent comprennent que l’heure du Centre a passé. Il y aura une radicalisation, une renaissance des idéologies et la France choisira de changer ses institutions. Démocratiquement… ou autrement.
La moitié du PS a dit non à la marche vers le Centre et n’en démordra pas ; ceux avec Ségolène qui veulent prendre cette voie ne changeront cependant pas non plus d’avis. Plus ou moins formellement, le PS va donc se scinder en deux clans.
La moitié du PS avec Ségolène se joindra au Modem ou se l’adjoindra, créant une alternative de centre-gauche qui visera à prendre démocratiquement le pouvoir des mains de Sarkozy en 2012. Simultanément, l’autre moitié du PS rejoindra Besancenot et Mélenchon, constituant à gauche une force significative.
Cette force ne pourrait gagner des élections que si la crise se traduisait par un déplacement énorme de l’opinion publique vers la gauche. Bien avant que ce seuil ne soit atteint, cependant, elle peut devenir le lieu de ralliement de ceux qui veulent des changements institutionnels profonds. Si ce ralliement de ceux qu’on peut appeler les « extrêmistes » a lieu, ce n’est peut-être pas la France de gauche qui aura été cocue…
Pierre JC Allard
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