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La gauche peut-elle renouer avec les classes populaires ?

En mai de cette année, Terra Nova semait le trouble en posant la question qui fâche :"Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?". La boîte à idées proche du parti socialiste analysait l'évolution du paysage électoral depuis trente ans pour mieux s’interroger sur la stratégie à mener pour gagner en 2012. Car les faits sont là : les classes populaires ont tourné le dos à la gauche.

Le rapport polémique de Terra Nova pose bien les choses. Si en 1981 François Mitterrand a été élu en large partie par un vote massif de la classe ouvrière alors à son apogée démographique (37% de la population active), depuis les choses ont bien changé.

Tout d'abord parce qu'à partir des années 70 la population ouvrière, désindustrialisation oblige, connaît un fort déclin pour ne plus représenter désormais que 23% des actifs. Également parce que ceux qui restent ne votent plus automatiquement à gauche. Moins d'ouvriers donc et moins à gauche.

Terra Nova s'est naturellement interrogée sur les raisons de ce divorce. La fondation progressiste voit dans le mouvement de mai 68 un point de bascule. La libéralisation alors engagée n’a pas concernée seulement les mœurs et la culture. Elle a aussi été économique avec une ouverture recherchée sur le monde avec pour corollaire la montée du chômage et de la précarité.

Faute de pouvoir offrir des clés pour comprendre et changer le monde, la gauche s'est emparée des questions de société comme cache-sexe de son impuissance. Le réflexe demeure aujourd'hui avec un PS boboïsé qui préfère parler mariage homosexuel et vote des étrangers plutôt que de la paupérisation qui affecte les classes moyennes et populaires avec notamment l’apparition des travailleurs pauvres.

Ce décalage entre les discours et les attentes n’est pas sans risques. Il s’est traduit notamment dans le passé par l'élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle de 2002.

L'erreur du rapport polémique de Terra Nova aura sans doute été de prendre acte de ce divorce, plutôt que de tenter d'y remédier, et de proposer un socle électoral alternatif au PS reposant sur les diplômés, les jeunes, les minorités et enfin, en quatrième cible, les femmes.

L'attitude est certes pragmatique mais elle va à l'encontre d'un volontarisme qui fait l’honneur de la politique. Elle reste paradoxalement dans les rails d’un schéma qui nous a conduit dans le mur. Celui de l'émergence possible, voire souhaitable, d'une société dans laquelle les emplois "propres", les services prédomineraient et où l'industrie serait réduite à peau de chagrin tout comme l’agriculture.

On mesure aujourd'hui où nous a mené la désindustrialisation. 600 000 emplois industriels de perdus en une décennie et un chômage à un étiage historique. On peut railler François Bayrou et son made in France mais le béarnais à l'intuition juste. Un pays incapable de produire ses biens de consommation courante et dans lequel on ne fait plus fortune que dans la finance et l’importation-distribution est voué tôt ou tard à subir le sort de la Grèce.

Et nous voilà revenus au concept de fracture sociale qui avait fait le succès de Jacques Chirac, promesse électorale sans lendemain comme beaucoup d’autres. Comment réconcilier ceux qui bénéficient du système ouvert de la mondialisation, les insiders, et leurs négatifs, les outsiders, qui en subissent les désagréments : le chômage, le déclassement, l'effacement de l’État protecteur.

Le plus grave sans doute est que la gauche a une vision erronée des classes populaires. Contrairement aux décennies passées ou l'ascenseur social fonctionnait encore un peu, les classes moyennes ont désormais pour horizon plus le risque de déclassement que d'accès aux catégories supérieures. Il en résulte un stress et une appréhension omniprésente. Or la peur est souvent mauvaise conseillère. Elle pousse irrémédiablement les classes moyennes et populaires dans les bras d'un Front National qui tient paradoxalement le discours de la gauche d'avant (État fort, défense des travailleurs, rejet du libéralisme).

Contrairement aux idées reçues, 85% des pauvres ne vivent pas dans la banlieue. Le pourcentage est à peu près identique pour les chômeurs de longue durée et pour les jeunes chômeurs.

Christophe Guilluy spécialiste du sujet rappelle que la France de 2011 n'est pas l'Amérique des ghettos comme on tente de le faire croire. La France de la pauvreté n'est pas réductible aux seuls quartiers "sensibles". L'image d’Épinal occulte une situation plus complexe. Les catégories populaires, du fait de la désindustrialisation, ne sont plus concentrées dans les grands centres urbains mais se retrouvent disséminés dans le périurbain et le rural.

Christophe Guilluy le géographe souligne que les villes-centres, même si on y inclut les banlieues, représentent au maximum 40% de la population. Le bobo des villes chantre du multiculturalisme ne peut avoir les mêmes préoccupations que le populo des champs pour qui la mondialisation est essentiellement synonyme d'insécurité sociale. Pour paraphraser Jaurès on pourrait dire que la mondialisation porte en elle l’alignement permanent vers le bas et le chaos comme une nuée dormante porte l’orage. Car au final quand les classes populaires et moyennes se fissurent, c’est la démocratie qui vacille.

Ouvriers et employés ne peuvent être électoralement ignorés. Ils représentent 53% de la population active ainsi que la très grande majorité des retraités. Ce n'est pas parce que cette France exposée, fragile, doute aujourd'hui des valeurs progressistes (solidarité, ouverture, tolérance) qu’elle doit être considérée avec mépris et abandonnée au bord du chemin.

La défaite historique de Martine Aubry lors des législatives de 2002 dans une circonscription ouvrière de Lille n'était pas un hasard. Elle sanctionnait une réponse inappropriée. Là où les classes populaires attendaient une action en faveur de l'emploi, la ministre de Jospin avait répondu 35 heures. Un gain de temps libre payé au prix d’une diète salariale terrible pour ceux en bas de l’échelle au nom de la compétitivité. A l'aube des présidentielles, la leçon mérite d’être méditée.


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7 réactions à cet article    


  • Robert GIL ROBERT GIL 16 décembre 2011 08:14

    Une vraie gauche a le devoir de porter des projets nouveaux,  pas de rafistoler ce qui a été détruit. Il faut redonner l’espoir et la confiance à nos concitoyens afin qu’ils se réapproprient leur avenir.  L’abolition de l’esclavage, la journée de 8H, les congés payés, les retraites et la sécurité sociale ... ; ça c’était de l’utopie à l’époque ! Et pourtant ! Donnons nous aussi les moyens de rêver ! Donnons-nous les moyens de réaliser nos rêves ! Ne nous trompons pas d’adversaires, ne nous trompons pas de colère...

    http://2ccr.unblog.fr/2011/02/06/en-france-aussi-la-revolution/


    • Yvance77 16 décembre 2011 08:53

      Salut,

      Ce que certaines personnes refusent de voir est qu’il existe deux ou trois gauches, tout comme l’on trouve deux trois droites.

      Il y a une gauche tendance sociale libérale qui est un parti de notables in fine. La vocation de celle-ci est plutôt locale. La dimension nationale est forcée.

      Celle-ci depuis la Commune s’est opposée au peuple de bien des façons, et en aucun cas elle n’a été proche des couches populaires.

      Puis il y a une vraie gauche, celle aux mains calleuses, fière de ce qu’elle est. Composition hétéroclite que laissés-pour-compte, travailleurs à la chaîne voir même de classes moyennes n’ayant pas oubliées d’ou elles viennent. Elle est celle qui encaisse le plus de coups.

      Puis l’on retrouve une gauche de type révolutionnaire, celle qui place au coeur de son combat la révolte contre les systèmes ; tous les systèmes et qui bascule très facilement dans le déraisonnable.

      Faire la synthèse de toutes ces gauches n’est pas une mince affaire, et peu y ont réussi.

      Le PS actuel est à ranger dans le premier chapeau, et en aucun cas il n’est légitime pour représenter les autres, tant il est aux abonnés absents sur le volet purement social du traitement de l’homme. Il a même trahi ce type d’idéal, pour toutes les compromissions avec le mondialisme financier.


      • Jean Lasson 16 décembre 2011 11:22

        Amha, la réponse à la question du titre est simple : non !

        le PS s’est laissé corrompre à tous les niveaux. Aujourd’hui, il est inféodé à l’oligarchie mondialiste. Sur l’essentiel, il applique la stratégie de l’Empire. Le PS est devenu un imposteur et son imposture se voit maintenant comme le nez au milieu du visage. Personne n’a besoin d’un parti mondialiste et de droite supplémentaire.

        Tel le Parti radical en son temps, le PS rejoindra les poubelles de l’Histoire...


        • francoyv francoyv 16 décembre 2011 19:48

          @ l’auteur

          magnifique article qui synthétise très bien la croisée des chemins pour la gauche.

          Outre le géographe cité que je connaissais aussi, les écrivains Annie Ernaux et Didier Eribon (« Retour à Reins », Fayard, 2009) ont très bien su parler de cet abandon et du mal être des intellos qui ont « trahi » leur milieu d’origine en l’abandonnant à son triste sort.

          je connais des travailleurs sociaux expérimentés qui eux aussi s’interrogent sur le bien fondé de la politique de recrutement des jeunes animateurs dans le seul milieu représentatif des ghettos urbains, réflexion qui s’apparente à la proposition choquante de Terra Nova.

          Hannah Arendt ne disait-elle pas ?

           « Mais il est vrai que dans les sombres temps la chaleur qui est pour les parias le substitut de la lumière, exerce une grande fascination chez tous ceux qui ont honte du monde tel qu’il est, au point de vouloir se réfugier dans l’invisibilité ; »
           


          • ddacoudre ddacoudre 16 décembre 2011 23:29

            bonjour moreigne

            un bon article, je n’ai pas lu l’analyse de terra nova j’irai le faire, j’ai eu l’occasion d’expliquer dans un article le cheminement du désengagement des citoyens car je l’ai vécu, et l’on est un peu loin de la responsabilité de 68.
            ddacoudre.over-blog.com
            cordialement.


            • Rousquille Rousquille 17 décembre 2011 03:32

              Non, lire les ouvrages de Jean-Claude Michéa pour comprendre pourquoi, gauche et libéralisme puisent à la même source...


              • Dolores 18 décembre 2011 18:44

                Les classes populaires n’ont pas tourné le dos au PS, c’est le Ps qui a tourné le dos aux classes populaires.

                Entre 1981 et 1995,les Français ont eu tout le temps de s’apercevoir que le PS n’était pas socialiste, mais un parti du centre - voir de la droite - même si le discours, pour séduire l’électorat, restait à gauche.

                Les Français de sensibilité socialiste ne se sont plus sentis représentés par ce parti. Par conséquent, ils cherchent ailleurs ou s’abstiennent de voter, favorisant ainsi la droite.

                Il a signé le Traité de Lisbonne après que 55% des Français l’aient refusé en foulant au pied la démocratie, il a opté pour l’économie de marché, sachant qu’il lui serait impossible de la réguler et qu’en plus ses discours démontre qu’il n’a pas la volonté d’y changer quoi que ce soit.
                Il n’échappe plus à personne qu’il collabore activement au servage économique et financier du peuple. Il n’y a qu’à constater son peu de puissance dans l’opposition.

                Ayant voté le Traité de Maastricht, il a contribué à tirer la France vers le bas.

                Il a abandonné toute idéologie socialiste et Jospin nous l’a bien fait comprendre.
                « Je ne gouvernerai ni à droite ni à gauche », « je suis pragmatique », « je ne peux rien faire ».
                C’est vrai qu’il n’a pas fait grand chose à part privatiser à tour de bras et vendre nos industries.
                Il a aussi révélé l’impuissance de l’état entortillé par le traité de Maastricht qui entraîne les peuples toujours plus bas alors que les nantis s’envolent vers des sommets vertigineux.

                Le Ps n’a toujours pas compris pourquoi Jospin avait échoué en 2002 : Dans les jours et les mois qui ont suivi,ils répétaient tous à l’envie« Nous avons fait du bon travail » !
                Et ils y croient encore.

                En fait il n’y a aucune idéologie dans cette course à la présidentielle, juste une question de pouvoir et d’argent.
                Alors le peuple...il se contentera de paroles, lui !

                Comment croire que le PS est de gauche alors qu’il pense traiter avec Bayrou pour l’emporter ?
                Comment croire que le PS est de gauche quand on entend M Valls approuver les choix de Sarkosy ?

                On va dire aux électeurs de gauche de « voter utile » . Soyez assurés que si vous suivez ce conseil, et qu’Hollande soit élu vous aurez une politique qui ressemblera comme une goutte d’eau à celle de Sarko.

                Ne craignez pas, comme on voudrait que vous le fissiez, les utopies. Ce sont elles qui ont fait avancer le monde en donnant des buts et des idéaux dans le long terme.

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Henry Moreigne

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