La Guerre, la Propagande et nous
Si le mot « guerre » avait presque disparu du vocabulaire politique en Europe occidentale, il revint subrepticement et de manière métaphorique avec la « Guerre au terrorisme » promue par M. Valls, puis la « Guerre contre le Coronavirus » d’ E. Macron.
Et puis soudain, il reprit une place centrale avec l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
Cet événement dramatique nous a valu l’une de ces campagnes caricaturales dont l’univers médiatique a le secret. Et nous avons été saturés d’informations à la fois redondantes et incomplètes, sacrifiant comme toujours à l’événement percutant, et mettant en scène la dialectique du héros de guerre et de l’infâme tyran.
Les nouvelles provenant d’Ukraine on donné l’impression d’une grande incohérence, souvent d’un parti-pris loin de l’objectivité, et n’ont guère permis de comprendre la situation, son évolution possible, et encore moins le dessous des cartes.
Cet épisode a en tous cas vu revenir en force ce qui ressemble fort à une propagande de guerre, au point qu’on puisse se demander si cela est tout à fait innocent.
On verra dans ce texte qu’en effet ça ne l’est pas, et qu’une volonté de préparer l’opinion à accepter la guerre existe bien dans certaines sphères, et s’exprime au sein de cercles bien proches du pouvoir politique et économique.
Introduction
La guerre en Ukraine concrétise probablement l'incapacité des dirigeants du monde occidental – jusqu’à ce jour maîtres du jeu – à transformer la chute de l'URSS en opportunité de coopération fructueuse, de réelle paix en Europe1. L'occident a perçu (sinon organisé) cet effondrement comme une occasion d’asseoir sa domination économique, idéologique et stratégique ; dans le même temps, il s’efforçait de maintenir encore sa mainmise sur le bassin méditerranéen et le moyen Orient.
Il y a donc, dans le comportement occidental et dans ses stratégies, l'arrière plan quasi philosophique d'une guerre économique perpétuelle, appuyée sur des traités d’alliance et des forces armées, et susceptible de dégénérer en conflits, limités si possible, « de haute intensité » si nécessaire… ou par accident.
« Les intérêts supérieurs » qui étayent cette posture, toujours invoqués ou suggérés mais jamais sincèrement explicités, échappent très largement aux processus « démocratiques », que ce soit aux niveaux nationaux ou à celui des instances internationales.
Les décisions ultimes (concernant par exemple les guerres en Libye, au Mali, en Syrie...) sont pour ce qui est de la France entre les mains du président ou d'instances cooptées (Conseil de Défense…) ; il n’existe en tous cas aucun processus démocratique autre – dans le meilleur des cas – qu’un aval de l'assemblée2. Pour ce qui est de l’OTAN, les choix visent essentiellement au maintien d’une domination impériale unilatérale, principalement centrée sur les intérêts des États-Unis, et subsidiairement de leurs alliés. Là non plus les instances de décision n’ont rien de démocratique, et l’on ignore tout des raisons précises motivant leurs choix.
Quant à l’ONU, on peut apparemment y mentir de manière éhontée à la face du Monde, et lorsque son aval ne peut malgré tout être obtenu, on se passe tout simplement de son avis.
Quoi qu’il en soit, l’argumentaire servi aux opinions pour justifier les guerres – et cela est très clair dans la guerre de l’Ukraine – évite largement cet aspect des choses. Il se présente essentiellement sous des aspects idéologiques et moraux, mettant en avant la démocratie, la liberté, ou la sécurité ; il suggère l’existence de puissances du bien s’opposant à un « Axe du mal »3.
Et pourtant, en raison de ses propres manquements notoires aux règles du « droit international » qu’il invoque sans cesse, l’Occident souvent symbolisé par l’Otan ne dispose pas à la face du monde de la légitimité nécessaire pour s’instaurer en justicier universel4.
Il apparaît donc que la guerre, qui pourtant concerne les populations bien davantage que leurs élites, est toujours abordée de manière biaisée, dissimulée, et que l’information qui la concerne est traitée de manière totalement manipulatoire, et au mépris de toute règle démocratique.
Contrairement à ce qu’on peut d’abord penser, cette mystification n’est pas le fait d’éditorialistes dilettantes, aux ordres, ou partisans : elle trouve en fait sa source dans des sphères d’influence proches du pouvoir économique, politique, des réseaux militaro-industriels et de ceux du renseignement, et correspond à une réelle volonté de préparation des esprits5.
La « gestion » de la « marche à la guerre », la préparation du conflit, son financement, l’entrée en guerre, le déroulement des opérations puis l’achèvement du conflit exigent en effet comme élément central la préparation des opinions, sans laquelle toute action militaire est problématique ; tout revers et toute perte humaine sont très difficile à « gérer » politiquement6.
La guerre en Ukraine, aux portes de l’UE et aux frontières de l’Otan, constitue un cas d’école de la propagande – jugée nécessaire – mise en œuvre par les différents échelons des pouvoirs occidentaux pour se concilier leurs opinions7.
Il est donc fort intéressant de décortiquer ce cas d’école.
1. Une information partiale
L'information « mainstream » sur les raisons des guerres entreprises, sur les buts de ces guerres, leur coût, leurs limites, et leurs conséquences possibles n’est jamais honnêtement et objectivement fournie : on est dans le domaine du secret d'état et des intérêts supérieurs toujours éludés.
Il est donc légitime d’interroger les raisons de cette présentation des faits et de son monolithisme.
A tenter de le comprendre, on croit discerner une raison principale. Une raison majeure, plausible, et indispensable au fond aux classes dirigeantes et à tous les profiteurs de guerre8.
La vérité tient probablement au fait que les Maîtres du Monde ont besoin que nous soyons prêts à accepter leurs guerres pour des buts qu’ils ne nous avoueront jamais. Car il y a incontestablement, et de toute éternité, des forces ayant intérêt à la guerre dans certaines conjonctures économiques et sociales.
Des raisons d’intérêt trébuchant, sans doute, mais là n’est pas l’essentiel.
La raison principale, attestée par l’histoire et parfaitement perceptible aujourd’hui, réside sans doute dans l’affirmation du pouvoir. Aussi loin que nous connaissions l’histoire, la guerre est en effet le ressort ultime susceptible de « rassembler » une population, de faire taire les oppositions, de conforter les dirigeants, leur assurant gloire, vivats et légitimité9. Ce fut vrai pour César – ou c’est au moins ce que nous raconte l’histoire – ça l’était encore à l’évidence pour Georges W. Bush lorsqu’il se pavanait sur un porte-avions en tenue de combat. Mais ça l’est aussi pour E. Macron endossant le rôle de Chef de Guerre au lieu de mener une campagne électorale. C’est encore ce tremplin que lui offrent les journalistes en le filmant complaisamment dans le « bunker de l’Élysée » d’où, nous rappelle-t-on, il a le pouvoir de « déclencher le feu nucléaire ». Jupiter vous dit-on. Chouette, nous voila rassurés.
Or la situation mondiale créée par le modèle économique libre-échangiste dominant est de plus en plus mal perçue par les opinions, et conduit à une défiance des populations, et à une décrédibilisation des concepts moraux qui sont les derniers remparts/alibis des pouvoir occidentaux menacés.
L'échec global est de plus en plus perceptible10.
Le modèle de société désormais intenable, c'est un partage inique et aberrant des fruits du travail, et tout ce que nous avons laissé « réformer » a pour effet – sinon pour but – de mettre en place des machineries à concentrer les richesses11.
Ce n'est pas un hasard, c'est un système, et M. Macron plébiscite Uber.
Ce n'est pas un hasard, c'est un système, et M. Macron souhaite à la France davantage de millionnaires.
Or cette spoliation ne peut être tolérée par les populations que grâce à la croissance.
Ce mécanisme qui sous entend à peu près : « c'est vrai que nous nous enrichissons de manière déraisonnable, destructrice, aberrante, mais nous pourrons vous laisser quelques miettes si vous êtes dociles et si vous augmentez votre productivité »12.
Les pouvoirs, parfaitement conscients de leur fragilité et de leur faible légitimité, sont donc acculés à des manœuvres de la dernière chance… et pourquoi pas la guerre ?
Celle-ci redevient alors le ciment nécessaire à la mise au pas des résistances et des oppositions.
Alors, pour que nous acceptions leurs guerres, il faut qu’ils les travestissent de beaux habits, et de principes moraux. Dieu, les Lieux Saints, la Civilisation et le progrès, la démocratie, la liberté doivent être nos emblèmes, et notre force face à des « régimes » dictatoriaux, sanguinaires, conduits par des dirigeants désaxés, pervers et sans âme.
Car la seule justification de l’entrée en guerre qui soit acceptable par un peuple est celle d'une supériorité morale, dont nous savons pourtant bien la fragilité ; nous n’accepterions pas de partir en guerre par simple intérêt.
Le comble de la trahison étant que cette supériorité morale elle même peut alors être bradée pour parvenir à vaincre. Et nous devrons accepter toutes les pertes de liberté, de choix démocratiques, de débat. La vérité est on le sait la première victime de la guerre.
2. Nécessité et volonté d’orchestrer une propagande de guerre
Lorsqu’on parle de la guerre, la question qu’on se pose éternellement est : « Comment une telle horreur a-t-elle été possible ? ». Suivent des milliers d’arguties sur les responsabilités de hommes qui l’ont déclenchée, n’ont pas su l’éviter, pas pu ou pas osé l’arrêter. Sur la culture des pays en guerre, la volonté combative des recrues ou de leurs familles. Ou bien encore de solides analyses matérialistes sur les conditions objectives qui ont mené à la guerre.
Mais il est une chose qui passe très souvent au dessous des radars, qui est en tous cas minorée, c’est le rôle de la préparation des opinions. Car au fond, aucune guerre ne se fait jamais sans l’assentiment des peuples. Il peut être actif et enthousiaste – la fameuse « fleur au fusil » – , mais il faut au minimum une résignation positive.
La guerre devenant donc une option plausible pour les classes dirigeantes confrontées à la faillite des credo et des choix qu’ils imposent sans partage depuis des décennies, il leur faut désormais mettre en place une intense propagande destinée à justifier les conflits qu’ils jugeront utiles. Voire à préparer leur élargissement possible avec les ruses et dissimulations connues depuis toujours13.
Cette propagande se déroulera sur deux plans principaux, et comme on le verra plus bas, de manière méthodiquement et cyniquement orchestrée. Il s’agit tout d’abord d’occulter la voix de l’adversaire, de le rendre étranger pour mieux le disqualifier. Ce qui permet d’asseoir l’idée de guerres justes, menées au nom du droit, au nom de valeurs politiques universelles et humanistes, de guerres nécessaires à la défense de ces valeurs.
Mais il s’agit également de faire croire que ces guerres seront courtes, limitées et parfaitement contrôlées, gagnées d’avance par la vertu de notre supériorité stratégique, tactique, matérielle, humaine14. Cette propagande se développe dès lors à toutes les étapes des conflits : préparation, déroulement, gestion des conséquences… généralement en faisant le nécessaire pour les occulter.
Tout se passe donc comme si la marche à la guerre, qui est au fond le choix le plus grave qui puisse être fait par un gouvernement, était bien trop difficile et trop secret pour être sujet à une quelconque explicitation objective et sincère, et a fortiori à un quelconque débat public.
Dès les prémisses d’un conflit s'arrête la démocratie.
Il ne reste donc qu'une question à régler pour les classes dirigeantes : par quelles méthodes obtenir l'assentiment d’une part suffisante de la population ? Et par conséquent, comment faire taire les voix dissidentes, les voix de paix, les voix de prudence, que l’on s’efforcera d’assimiler à des complicités avec l’ennemi15.
Faire taire l’adversaire, cacher ses raisons
Il faudra donc tout d’abord cacher totalement les arguments adverses16. On ne peut mieux dire que les peuples, à jamais considérés comme immatures, n'ont rien à savoir des processus en cours, et que la seule question pratique est de disposer des moyens de les manipuler, de les tromper, de leur faire peur, de les faire taire, puis de les envoyer à la guerre s'il le faut17.
Bien sûr, pour justifier un conflit, on peut aussi argumenter de la nécessaire défense de la nation, et de l'évidence d’une agression. Mais on sait fort bien, au fond, qu'il est bien souvent difficile de désigner l'agresseur, et que les rôles s'inversent aisément, comme hélas les bagarres de cour de récréation ; tout dépend du point de départ que l’on choisit. La propagande, là encore, a un rôle majeur à jouer, et il est indispensable d’escamoter le récit adverse.
Dissimuler la réalité sordide de la guerre
Et puis, pour que la guerre soit possible encore et encore, c’est à dire, au fond, pour que les peuples en acceptent le prix exorbitant, il faut qu’ils ignorent ce prix. Il faut qu’ils sous-estiment les malheurs, les désastres, les souffrances, le gaspillage, les destructions. Qu’ils ferment les yeux sur le naufrage de toutes les valeurs, l’anéantissement de tout ce qui a été soigneusement et patiemment construit, considéré comme le but de la vie en société et l’aboutissement du développement et du progrès18. Il faut faire oublier que toute démocratie, toute liberté, toute vérité disparaît avec la guerre, et cela même dans le camp du « bien ».
Il faut que les peuples oublient que la guerre n’est rien d’autre que le naufrage de la civilisation.
Il faut que les peuples minimisent – ou mieux ignorent – toutes ces catastrophes, et en idéalisent la réalité sordide.
Il faut qu’ils croient la victoire aisée, sans trop de destructions de leur côté.
Il faut qu’ils croient à l’existence possible d’une juste guerre, sans crimes, sans « bavures », sans erreurs de tir, sans manipulations ni opérations de communication. Dieu dût-il être mis à contribution pour renforcer cette croyance19.
Et puis il faut encore que nous croyions que la mort au champ d’honneur est belle. Triste mais glorieuse et belle.
Nous devons nous figurer le combattant tué comme « fauché d'une balle en plein cœur » dans une action courageuse, habile et déterminée. Et ne pas penser qu’il puisse être jamais défiguré, démembré, jamais calciné, éparpillé par un obus ou par un beau missile guidé, pas amputé pour une action inutile, douteuse, imbécile. Il est simplement, joliment, fièrement « Mort au champ d’honneur ». Ce dont toute famille patriote et résiliente doit être fière.
Nous devons imaginer ce combattant téméraire et déterminé, mais aussi droit et humain. Jamais il ne pourra – épuisé, terrorisé, furieux, galvanisé par le petit verre d’alcool, jamais notre fier combattant ne pourrait tirer à l’aveuglette, au risque de commettre un « crime de guerre ». Jamais notre bel artilleur ne tirerait un obus, jamais notre brillant pilote d’avion ne lâcherait une bombe sans être certain l’un comme l’autre d’atteindre une cible digne, sans être certain de ne pas toucher une victime innocente.
Seul le combattant ennemi peut commettre de tels crimes de guerre.
Il faut absolument que nous le croyions.
Il faut encore que nous puissions croire que la guerre peut se plier à des règles, et que devant les menaces, et les impératifs de riposte, notre camp saura s’en en tenir à une humanité, à une morale, à une déontologie guerrière rigoureuse, respectant les humains, les traités et les accords internationaux.
Il faut que nous ignorions tout de ce qu’est une vraie guerre, et il faut feindre encore et encore de se révolter lorsqu’on le découvre, chez l’ennemi bien entendu.
Et c’est pour cela sans doute, que les récits sont expurgés. C’est pour nous protéger, car « les images seraient insoutenables et pourraient heurter certaines sensibilités »20.
Nous serions donc sensés accepter la guerre, la soutenir, la financer, voire y participer, mais nous ne pourrions en aucun cas supporter d’en voir les images réelles21.
Or les actions de guerre sont insoutenables. Nous le cacher est une dissimulation, un mensonge cynique, un mensonge irresponsable, un mensonge tactique.
On ne peut pas à la fois prôner la guerre juste, vouloir l’envoi d’armes pour une guerre juste, et cacher les effets que produisent ces armes. C’est inepte, mensonger, manipulateur, dangereux. C’est porteur de guerre.
Le cas de l’Ukraine est à ce titre plus cynique encore : lorsque c’est la guerre d’un autre que nous alimentons, attisons, et faisons durer, cela est inqualifiable.
Les informations qui nous sont aujourd’hui délivrées sont surréalistes pour quelqu’un dont les racines plongent dans les guerres européennes. Elles ne peuvent être crues que par de jeunes esprits pour qui la guerre n’est qu’une abstraction, n’est qu’un chapitre de livre d’histoire ; qui peuvent croire encore qu’ « on est au 21° siècle », et qu’une guerre ne doit plus, ne peut plus se passer comme ça. Qu’elle peut être policée, moralement défendable, militairement correcte, rendue « chirurgicale par l’armement numérisé, piloté à distance, dronisé, robotisé, aseptisé…
A ces conditions seulement, la guerre est acceptable.
Mais elle ne peut pas l’être si l’on dit et répète sa réalité inévitable, elle ne peut pas l’être si l’on sait tout cela, et que l’on se rappelle que dans une guerre moderne, les mieux protégés sont les militaires eux-mêmes.
Et c’est à faire oublier tout cela que sert la propagande qui nous informe quotidiennement sur les conflits en cours, sur celui d’Ukraine en particulier.
Loin d'être un errement éditorial incompréhensible, la propagande qui nous est servie est au confluent de l'intérêt catégoriel des moyens de presse et d'une volonté affirmée, cynique, organisée et structurée des classes dirigeantes, et des milieux politiques et militaires à leur service.
Comme nous allons le voir, elle est souhaitée au plus haut niveau politico-militaire.
La volonté de formater les esprits existe quasi officiellement
Nous allons voir que les réflexions qui précèdent ne sont pas des exercices de phraséologie romantique et naïvement pacifiste. Les acteurs institutionnels de la propagande de guerre existent, et ne cachent nullement leurs objectifs et leurs méthodes ; nul besoin de parcourir des « sites complotistes » pour comprendre leurs buts.
Partie visible de cette mouvance, le Portail de l’Intelligence22 Économique, se présente comme le « Centre de ressources et d’information sur l’Intelligence économique et stratégique ».
Parmi ses fondateurs et personnalités, on trouve des personnes ayant exercé des fonctions de très haute importance, que ce soit au niveau militaire, au niveau du renseignement, ou dans l’organigramme politique de la République23 ; elles sont souvent impliquées également dans l’entreprise.
Il ne s’agit pas ici de contester l’intérêt d’une réflexion étatique ou para-étatique sur cette Intelligence Économique, mais seulement de souligner la manière dont cette préoccupation stratégique débouche sur une volonté claire de théoriser et de mettre en œuvre la manipulation de l’opinion. A cet égard, une contribution du « Club Défense de l’AEGE »24 dans l’onglet « Analyses » du portail est particulièrement éclairante.Sous le titre Management de l’opinion publique pour la haute intensité25, les auteurs y expliquent :
Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la société française doit impérativement se préparer à la guerre de haute intensité. » (21 mars 2022)
Ils exposent alors les risques d’affaiblissement présentés par les mouvements d’une opinion publique versatile, et énoncent les méthodes nécessaires pour « manager » cette opinion, et la rendre perméable au risque de guerre. Ou, dit autrement, pour la rendre réceptive à la volonté de marcher vers la guerre que peuvent avoir certaines sphères de la société. On retrouve dans ce discours les constantes de la propagande de toutes les guerres, et l’imbrication armée/entreprise sous tutelle de l’état est une parfaite incarnation du dangereux Complexe militaro-industriel au sens large.
Les extraits ci-dessous recoupent de manière étonnante les hypothèses envisagées au chapitre précédent quant à la création d’un consensus guerrier, et quant au mépris de la démocratie et de la liberté d’information.
Disqualifier l’information provenant de l’adversaire est la première cible :
Dans le domaine de la guerre informationnelle, l’avantage va à l’attaque ; une fois les vecteurs de contre-information identifiés, en amont ou lors du conflit, il convient de les cibler pour les décrédibiliser. Cela revient à lancer une machine de guerre de l’information pour préserver26 sa population et garder son attention. Cela peut passer par tout le spectre des vecteurs d’informations../..
Puis, exactement comme cela était envisagé plus haut, il convient de mystifier l’opinion quant aux perspectives de la guerre :
Afin de lutter contre la versatilité de l’opinion publique, il faut à la fois que la population se sente concernée et qu’elle croit (sic) en la possibilité de gagner dans un temps limité.
On explique ensuite doctement et en termes épurés la manière dont doivent être traités les oppositions, qu’elles soient politiques ou associatives et œuvrant pour la paix :
En interne, les médias traditionnels et les personnalités publiques joueront un rôle central, notamment s’ils cherchent à exacerber les fractures préexistantes sur la légitimité de l’engagement. Une multiplication de commentaires contradictoires ou une surmédiatisation de situations dramatiques peuvent décorréler l’image du conflit avec la réalité, avec un focus sur l’aspect émotionnel par rapport à la raison. Le tout alimentant une spirale démoralisatrice.
Inutile de souligner ici à quel point ces directives s’appliqueraient parfaitement à l’action de Jean Jaurès en 1914, et à celle de toute mouvance pacifiste, pendant toutes guerres récentes, coloniales ou néocoloniales, en France comme aux États-Unis. Avant de trouver leur place dans le contexte de la guerre d’Ukraine et très bientôt dans les conflits opposant l’Occident et la Chine.
Il est également intéressant de noter l’approche dissimulatrice qui est ici suggérée. Destinée à brouiller les pistes27 :
Afin de créer une résonance, il convient également de chercher le buzz, l’information facile, sans oublier le vecteur humoristique. Il s’agit donc de créer un véritable système de communication parallèle, décentralisé en apparence et difficilement attribuable. Cette communication officieuse est indépendante ../.. ignore la situation réelle et ne fait qu’attaquer les vecteurs informationnels adverses.
Enfin, on trouve dans ce texte l’explication du matraquage d’une information pro-guerre que l’on constate jour après jour dans tout l’univers médiatique :
Avec cette double stratégie de communication, via les relais officiels, mais également via des relais habituellement délaissés par l’État (réseaux sociaux, etc.), on touche également les citoyens qui n’ont pas confiance dans l’État. Globalement, cela passe par des manœuvres d’influence classiques, pour distiller ou marteler une information contrôlée ou orientée, et à l’image de la publicité ou du lobbying, cibler un type de population, une catégorie sociale. Un domaine dans lequel la France doit encore s’armer si elle souhaite rivaliser avec une puissance comme la Russie28.
Là aussi, il faut remarquer le cynisme du texte qui associe maintenant la « préservation » de la population au « martelage » publicitaire…
Last but not least, nous avons ici l’aveu de la confusion entre intérêt général et intérêt particulier de secteurs entrepreneuriaux. Les acteurs privés attendent de toute évidence des instances politiques qu’elles se mettent au service exclusif de leurs affaires, après avoir préparé le terrain de l’opinion à l’aide du « martelage » conseillé plus haut :
Je regrette que le thème de la guerre économique et de la compétitivité de nos entreprises exposées à l’international ait été absent une fois de plus de cette élection majeure qu’est l’élection présidentielle ../..
Je regrette qu’il n’y ait pas de passerelles concrètes et opérationnelles entre notre secteur privé et l’État.
Servir la France en matière d’IE, c’est mettre en place une machine de guerre à la hauteur des enjeux entre les acteurs public/privé, dans le respect des obligations légales29... (Hervé Séveno, Club défense de l’AEGE)
L’un des concepts mis en avant par cet essai « stratégique » est celui de Résilience30. Il s’agit évidemment pour nos penseurs en IE, de renforcer la « résilience » du peuple (français en l’occurrence), affaiblie par trop d’années de guerres de « basse intensité »31.
Mais bien entendu, lorsque nos brillants stratèges de l’IE parlent de résilience, c'est dans l’acception thatchérienne du terme, celle où il n'existe pas de société mais seulement des individus. La « faiblesse » du pays est alors la nôtre, pauvres humains trop protégés, trop assistés, si éloignés du poilu de 14, résistant en silence des mois entiers dans la fange sous les obus allemands...
Mais un seul d’entre eux parlerait-il de la résilience du modèle de société qu'ils s'acharnent à construire ? Un seul mettrait-il en cause la fragilité du monde d'où toute autonomie a disparu, où les bourses s'affolent à la moindre instabilité, où les usines travaillent à flux tendu avec deux jours de réserves, qui fonctionne à grand renfort de navires, d'avions, de camions et de machines gorgées de pétrole que nous n'avons plus, et où les actionnaires assèchent d’un clic de souris toute entreprise qui ne remplit pas ses objectifs et ne fournit pas assez de dividendes.
Un seul questionnerait-il la résilience d'un tel modèle ?
La nation doit-elle, peut-elle être sauvée par des individus ne craignant pas la souffrance alors que tout a été fait pour la priver de cette résistance ?
On peut noter que le discours de cette faction de l’Intelligence Économique est mené dans un strict cadre national, les mots « nationalisme » et « patriotisme » y sont d'ailleurs mentionnés, et le discours s’enorgueillit de « Servir la France ». Or ce discours serait à la rigueur compréhensible dans le cas d'une attaque imprévisible, traîtresse, visant à la destruction du pays et ne laissant pas de choix. Mais il est clair que cette question n'est pas posée dans l'analyse de la « résilience » : celle-ci est présentée comme une nécessité transcendante, la démocratie étant de toute évidence hors-jeu à ce niveau où seule compte la capacité des organes dirigeants à imposer, à isoler, à faire taire toute information contradictoire via des organes opaques...
Il paraît évident que les méthodes décrites pourront être mises en œuvre ad libitum, pour mener des conflits dont nous n'avons pas à connaître les raisons ; ceux-ci peuvent être de l'ordre d'un « intérêt supérieur ». Tellement supérieur qu'il n'a pas à s'encombrer de votes ni même de consultations.
Mais ils peuvent également – nous n'avons là non plus ni à en connaître, ni à en débattre – être de l'ordre d'intérêts privés32. A noter que l'analyse prévoit également la propagande en aval, c'est à dire le contrôle de ce qui pourrait être dit des conséquences de la guerre. Sait-on jamais.
Il ne s'agit là ni de paroles en l'air ni de politique-fiction, puisque de toute évidence la situation s'est déjà produite, et puisque la pression des intérêts privés sur le choix de la guerre n’est pas un fait nouveau33.
Noter au passage que la « propagande informelle » suggérée peut mettre à contribution des voix dont la force de conviction, la notoriété médiatique – sinon les preuves de compétence, d'objectivité et d'intégrité – sont notoires. Cela s'est vu sur nombre de plateaux de télé et dans nombre de studios de radio, et a joué un rôle déterminant dans les projets guerriers en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Libye, au Sahel.
La propagande, des sphères de pouvoir jusqu’aux média
Si l’on admet – les journalistes le répètent à l’envi – qu’aucun organe de presse, aucune rédaction de JT ou de radio ne reçoive jamais « d’ordre », (On se doute en tous cas qu’il n’en reste certainement aucune trace tangible), reste encore la question : « comment fonctionne la transmission des doxas propagandistes depuis les sphères de pouvoir jusqu’aux sphères médiatiques ? » Qu’est-ce donc qui permet, qui exige, que la majeure partie de la presse mainstream34 emboîte à l’unanimité le pas des donneurs d’ordre.
Cette transmission se fait-elle par une culture commune, par une consanguinité qui conduit aux mêmes intérêts et aux mêmes conclusions ? Ou bien par paresse intellectuelle, les communiqués officiels étant la matière toute préparée la plus facile à utiliser, comme l’explique F. Ruffin35 ; par l’une de ces convergences dont le libéralisme a le secret, qui fait que le plus vendable et le plus rentable est justement ce type d’information.
Alors on se prend à rêver que commentateurs vedettes et analystes en vogue manifestent intelligence, indépendance, probité et lucidité. Du professionnalisme en somme en place de servilité ou de paresse..
A ces méthodes de « fabrication du consentement », ils auraient en effet eu bien le temps de réfléchir depuis plus d’un demi siècle. Depuis que nos grands parents nous instruisirent des dialectiques ouvertes à la jointure du 19° et du 20° par l’affaire Dreyfus, par le « revanchisme », par le militarisme européen.
Ils auraient pu lire et relire les appels de Jaurès, le discours du pré Saint Gervais, le discours de Vaise. Ces magnifiques et pathétiques appels à la raison où Jaurès mettait en garde contre l’emballement guerrier imbécile et inconsidéré, contre la certitude d’être dans le droit, contre la diabolisation de l’ennemi36. Ils auraient pu s’inspirer de leurs Grands ancêtres qui surent se démarquer des pouvoirs établis37.
Mais jamais ils ne l’ont fait, ou ils ont mal lu. Ou bien ils ont été complices de la mystification.
3. Qu’a-t-on vu dans le cas de l’Ukraine ?
Alors, comment ce cadre général de la propagande de guerre peut-il éclairer ce qui nous a été, ce qui nous est décliné sans faiblir et sans correctifs au sujet de l’Ukraine, au sujet de cette guerre présentée comme la première du XXI° siècle se déroulant à nos portes ? Comment nous a-t-on raconté ce conflit dont la grande majorité des français ignoraient les tenants, les aboutissants et les origines historiques ?
Comment nous a-t-on convaincus, avec un succès étonnant38, qu’il était nécessaire d’y apporter notre contribution, que notre avenir d’hommes libres en dépendait. Comment a-t-on accrédité cette nouvelle coupure entre un monde libre et démocratique ne guerroyant qu’avec humanité pour la défense de belles valeurs, et un pouvoir du mal régnant sur un peuple asservi et coutumier des crimes de guerre ?
Certes, la Russie a pris l’initiative d’une guerre – et W. Poutine en est sans doute l’ordonnateur –déclenchant des destructions, occasionnant des milliers de victimes, foulant aux pieds les règles internationales, et mettant en danger les équilibres européens.
Mais nous savons tous qu'aucune guerre ne survient dans un contexte apaisé, dans un ciel serein. On ne peut faire abstraction des événements successifs qui ont conduit à cette invasion. On ne peut pas raisonnablement choisir le point de départ d'un conflit en faisant abstraction de ces conditions. Ni Pearl Harbour, ni Sarajevo ni la guerre d’Ukraine.
Or force est de constater qu’en dehors des sites d’information alternatifs et des forums des réseaux sociaux39, l’affaire est entendue : Poutine est un dictateur mégalomane et expansionniste, rien ne peut expliquer cette attaque sur l’Ukraine, et il convient que les nations libres mettent tout en œuvre pour repousser l’envahisseur et freiner ses ambitions dévorantes. Les couleurs ukrainiennes exhibées à toute occasion sont un indicateur bien visible du succès de cette vision des faits.
On peut résumer en quelques phrases le corpus de slogans qui a été plébiscité.
L’Ukraine, victime d’une attaque illégale et criminelle incarne la démocratie face à la tyrannie.
Les appétits de Poutine et de son « régime » ne s’arrêteront pas à l’Ukraine, et toute l’Europe libre est menacée. (Le précédent historique évoqué est transparent40.)
« Nous »41 devons donc déclarer urbi et orbi notre appui à l’Ukraine, en défense de nos valeurs et de manière à dissuader le tyran Poutine.
La défense de l’Ukraine exige la livraison d’armes nombreuses et modernes pour s’opposer aux divisions russes. En Ukraine bien entendu, mais aussi dans les autres nations de l’OTAN.
Nous devons également contrer la Russie par des sanctions de tous ordres, économiques, financières, diplomatiques, de manière à l’étrangler.
Afin de contrer la menace russe, nous devons réaffirmer la vocation de l’Ukraine à intégrer l’OTAN, à faire partie de l’UE, et pour parfaire le dispositif, étendre l’OTAN à toute la périphérie occidentale de la Russie.
Cependant, à aucun moment ne fut envisagé l’envoi de troupes42.
Mais les buts de guerre précis poursuivis par cette stratégie ne furent jamais explicités. On vit pourtant assez vite se dessiner l’objectif sous-entendu de parvenir à la chute du « régime » russe, ou à la destitution de W. Poutine. Voire celui d’une défaite totale de la Russie, et de « l’affaiblissement de ce pays ». Nonobstant le fait que le conflit deviendrait alors « vital » et patriotique.
La puissance du consensus doctrinal obtenu grâce à ces slogans est telle que le président Macron souleva une tempête médiatique en déclarant que « la Russie ne devrait pas être humiliée »…
Appeler à soutenir l’Ukraine, c’est joli, c’est démocratique, c’est la liberté, tout ce qu’on veut de bien, mais on ne peut pas le vouloir en faisant comme si on ignorait qu’appeler à soutenir l’Ukraine, ça veut dire alimenter une guerre. Envoyer des armes à l’Ukraine, si possible sans compter, ça veut dire faire durer cette guerre, la rendre plus violente.
Alors, comment est-on parvenu à faire admettre tout cela aussi aisément et largement ?
Les éléments réunis au paragraphe précédent suggèrent que l’information relative aux événements d’Ukraine pourrait n’être que la traduction en clair des intentions qu’ont les classes au pouvoir quant à la maîtrise de l’opinion43. Et faire partie intégrante d’une marche progressive vers des conflits armés.
Or il est évident que les investissements nécessaires et les confrontations éventuelles nécessitent l’appui – ou au minimum la résignation – des opinions publiques, et cela particulièrement dans les démocraties.
Nous en sommes très certainement à cette phase préparatoire, où nos dirigeants mesurent leurs forces et tentent d’en démontrer la prééminence aux yeux des adversaires potentiels. Et parmi ces forces, comme nous l’a enseigné l’EGE, le monolithisme des opinions et la résilience de la population jouent un rôle central.
On44 peut donc présumer sans grand risque d’erreur que l’un des défis de cette période est précisément de préparer les peuples à accepter ces confrontations, éventuellement « de haute intensité » ; et que le cas de l’Ukraine n’est qu’un galop d’essai.
Et pourtant il ne s’agit pas d’emblée de guerres qui nous seraient imposées, mais bien de choix belliqueux dans le cadre d’une concurrence économique que l’occident a portée au pinacle, et qui conduit tout droit à la guerre tout court, prolongement « par d’autres moyens » de cette conception du monde45…
La guerre d'Ukraine ne nous est pas imposée. La Russie ne nous a pas déclaré la guerre, et l'Ukraine n'est pas dans l'Otan. L’implication dans la guerre d'Ukraine, qui nous mène à la frontière juridique de la belligérance, est un choix46. Certes il y a quelques arguments idéologiques et moraux en faveur de ce choix, mais ils sont faibles, contestables, et probablement insincères.
On ne peut croire une seule seconde que des nations dont les postures géostratégiques ont conduit à mener tant de guerres et à ravager tant de pays47, ne fassent ce choix que par conviction humaniste et démocratique.
En conséquence de ce choix, on voit surgir de toute part des programmes d'armement pharaoniques48 des restrictions rappelant les grandes guerres, tandis que des marchés gigantesques changent de main (gaz de schistes) ; et il faudra bien faire accepter aux peuples ces conséquences néfastes.
Et en effet, l’épisode de la guerre en Ukraine qui s’amorce peu avant l’invasion russe de février 2022, est un exemple assez stupéfiant, au cœur du XXI° siècle, d’une information biaisée, tronquée, unilatérale et partisane, qui ressuscite les meilleurs moments de propagande des guerres du XX°. Au point d’en être parfois pathétique par les inepties et les contradictions distillées en continu, sans jamais le moindre correctif ni mea-culpa.
On y trouve tous les ingrédients connus ; l’affaire était entendue avant même que notre pays soit mêlé au conflit.
Les « informations » sur les combats mêlent ainsi, au mépris de toute cohérence, la dénonciation d’un adversaire tout puissant à la démonstration de son incapacité sur le terrain.
On nous expliqua longuement que la Russie avait évidemment ourdi de très longue date l’invasion de l’Ukraine – voire, connaîtra-t-on jamais les ambitions de V. Poutine – de l’Europe entière. Elle avait massé aux frontières ses chars et ses armées et préparé son aviation ultra-moderne…
Puis, dès les premières semaines de combat, on nous apprit avec satisfaction et au mépris de toute cohérence, que ses hordes piétinaient, que ses chars n'avançaient pas, que son aviation impuissante était clouée au sol, que sa logistique ne parvenait pas à faire face… alors que les combats se déroulaient à quelques dizaines de kilomètres de la frontière. Mais jamais on ne fit l’effort de confronter ces deux versions incompatibles.
Des reporters casqués et portant gilet pare-balles nous parlèrent de la guerre totale dont la Russie écrasait l’Ukraine… s’exprimant en direct depuis des gares de chemin-de-fer intactes où les réfugiés attendaient leur train en devisant.
Les mêmes reporters expliquèrent que toute communication était impossible autour de Kiev… sauf par l’autoroute où l’on voyait en arrière-plan rouler automobiles et camions.
Les Russes semblaient donc ignorer ce que peut être une guerre totale.
Plus récemment, les média firent leur miel des menaces pesant sur la centrale de Zaporija. Et là encore, contre toute logique, ils renvoyèrent dos à dos les suspicions à coups de conditionnels dont ils ont le secret. Il « serait » évidemment tout à fait plausible que l’armée russe, qui dans sa lâche perversité avait conquis le périmètre de la centrale, se mette derechef à la bombarder…
Nous sommes donc sommés de croire, comme toujours, à un adversaire impitoyable, surarmé, déterminé, avide de conquêtes, mais incapable, imprévoyant, promis à une défaite certaine et toute proche.
Renforçant cette belle certitude, des communiqués rassurants nous apprenaient au fil du temps que cet adversaire s’effondrerait bientôt de l’intérieur, le peuple russe se mobilisant contre le dictateur honni. Et puis, bien vite, d’autres raisons de croire en une victoire rapide et facile due à notre sagacité nous furent exposées.
Car la Russie serait bientôt étranglée par le blocage de l’accès au fameux réseau bancaire « Swift ». Et les éditorialistes de se régaler du concept « d’arme nucléaire financière », une arme que dans son infinie bêtise la Russie de Poutine n’avait pas considérée… las, la Russie franchit allègrement l’obstacle.
Mais elle ne parviendrait pas, c’était certain, à survivre au boycott de ses produits gaziers ! Ah, ça c’était vraiment la mesure de rétorsion imparable, et Poutine viendrait bientôt à genoux mendier notre clientèle… las, ce fut au contraire l’UE au grand complet qui trembla bientôt à l’idée d’affronter l’hiver sans ce si précieux gaz, indispensable au confort domestique autant qu’à l’industrie… tandis que les coffres-forts de la Russie s’emplissaient au fur et à mesure de la montée du cours des hydrocarbures… Et l’on accusa alors Poutine, sans la moindre crainte du ridicule, de se servir de « l’arme du gaz » !
Cependant, résistant à cette offensive, l’Ukraine fut décrite comme une petite nation paisible, avide de démocratie, rêvant d’intégrer l’Union Européenne et de renforcer le monde libre de sa présence. Elle devait donc évidemment recevoir l’aide cruciale des démocraties, et le plus tôt possible la protection bienveillante de l’Otan. C’était une nation courageuse dont on minimisa la corruption, l'accaparement des richesses et des terres par des oligarques, la dimension nationaliste. Et l’on mit en sourdine la guerre du Donbass qui fit elle-même de nombreuses victimes civiles, ne voulant retenir que le fragile aspect démocratique.
L’occultation du récit de la partie adverse, pendant ce temps, battait son plein49.
Et la quasi unanimité de la presse, s’appuyant de manière caricaturale sur cette vision unilatérale, nous inonde dès l’origine de communiqués signés du président ukrainien, excellent comédien par elle même érigé en Jeanne-d’Arc de la résistance démocratique et en héros de guerre.
Jusqu’à notre prestigieux quotidien de référence qui titre en continu et sans hésitation des slogans percutants et définitifs n’ayant d’autre légitimité que l’image construite de ce personnage, complaisamment invité sur les télévisions de la planète entière50.
Voici quelques titres du quotidien Le Monde, dont la source essentielle semble être V. Zelenski :
Guerre en Ukraine en direct : les Russes « tuent délibérément », déclare Volodymyr Zelensky après les frappes meurtrières sur Tchassiv Yar
En Ukraine, la Russie intensifie ses frappes meurtrières, selon Volodymyr Zelensky. (11 juillet 2022)
Volodymyr Zelensky a appelé à la création d’un « tribunal spécial » international pour juger les crimes commis en Ukraine. (16 juillet 2022)
Guerre en Ukraine, en direct : « La Russie veut détruire toutes les villes du Donbass », déclare Volodymyr Zelenski
Guerre en Ukraine, en direct : l’armée ukrainienne reprend des territoires, selon Volodymyr Zelenski.
Cette volonté est bien entendu une stratégie assez attendue de la part du pouvoir, renvoyant peu ou prou à la défense de la « nation en danger ». A ceci près qu’à cet instant – la tentative d’occupation du Donbass en guerre déjà depuis de nombreuses années – notre nation n’est pas en danger. A ceci près aussi que cette précipitation fait très vite ressembler l’information qui nous est délivrée à celle qui est reprochée à la dictature de Poutine51…
A ceci près encore qu’en privant la population de toute information sur la partie adverse, on lui retire également tout moyen d’apprécier la situation, tout moyen de comprendre l’évolution réelle et potentielle du conflit. On lui retire tout espoir de comprendre les buts poursuivis par la Russie ou par son dictateur, d’envisager les issues possibles au conflit, hormis la défaite totale de la Russie. Or, vouloir « mettre la Russie à Genoux », tout au moins afficher ce projet, c’est évidemment l’acculer à la guerre totale. Pour toute nation, dirigée ou non par un tyran démoniaque, c’est ne pas lui laisser d’autre choix que la guerre totale.
Les opinions des pays démocratiques furent donc, et restent dans leur grande majorité dans l’incapacité de comprendre ce qu’il se passe en Ukraine.
La nation quasi entière devient le jouet des projets, des ambitions, des buts réels et méconnus de ses chefs militaires, de ses dirigeants politiques et des ses grands acteurs économiques52. Elle n’a plus droit qu’à écouter des bulletins d’information qui ne sont que les copies des communiqués construits et filtrés par l’Élysée.
On peut encore mentionner l’inévitable chapitre sur les crimes de guerre et sur les ventes d'armes à l’ennemi.
Un tir de missile russe sur une gare a tué au moins quinze personnes, annonce Volodymyr Zelensky. (Le Monde, 25 août 2022).
Il est en effet bien connu que dans une guerre, on respecte les gares et les voies de chemin-de-fer.
La boulangerie industrielle détruite, des blessés et des morts civils, un passant en vélo tué par un soldat russe, un centre commercial touché par un missile…
Une chaîne de télé a même parlé de braves soldats ukrainiens odieusement surpris pendant leur toilette !
L’affaire des labos biologiques, démentis, puis reconnus53
La volonté de faire porter à la Russie l’ensemble des « crimes de guerre fut telle qu’elle déclencha une violente polémique au sein de la respectée Amnesty International , coupable d’avoir mentionne des « Tactiques militaires ../.. qui menacent les civils »54
Tout cela ne devrait donc pas se produire pendant une guerre ? Pendant une guerre juste ?
On fournirait à satiété des armes à l’Ukraine, et il n’y aurait pas de morts ? On enverrait des canons « Cesar » aux ukrainiens et les canons russes se tairaient en les écoutant religieusement ?
Les obus Ukrainiens fabriqués par nous atteindraient toujours leurs cibles sans bavures ? Il n’y aurait jamais de victimes amies ?55
Une information objective et lucide ne devrait-elle pas plutôt rappeler que dans TOUTE GUERRE, pour vaincre – puisque là est l’objectif56 – TOUT est soudain permis. TOUT le pouvoir de destruction dont chaque belligérant est capable DOIT être mis en œuvre57. Toute la science, toute la logistique, toute la technologie – fut-elle barbare – est bonne à prendre, doit être mobilisée quoi qu’il en coûte. Si l’adversaire infâme emploie des armes ou des méthodes odieuses, nous DEVRONS pour le vaincre et faire triompher nos belles valeurs, utiliser les mêmes ou en créer de pires. N’oublions ni l’huile bouillante, ni les gaz de combat, ni les lance-flammes, ni les bombes au phosphore, ni les sous-munitions, ni les bombes à billes de plastique indétectables sur les radiographies…
Ni bien sûr Tokyo, Hiroshima, Nagasaki58... Aucune « innovation » susceptible de fournir un avantage n’a jamais été négligée, toutes ont été avidement recherchées quoi qu’il en coûte. Souvenons-nous aussi que ce ne sont pas seulement les diaboliques ennemis de la démocratie, sans foi ni loi, qui les inventèrent et les utilisèrent. Car bien sûr, pour vaincre ces forces du mal, il fallait bien les surpasser en armement, quelle que soit sa dangerosité.
N’oublions pas que la conduite de la guerre exige même de détruire ses propres richesses pour les soustraire à l’adversaire, de détruire ses propres infrastructures pour des raisons tactiques. Brûler ses propres récoltes, incendier ses propres villes, inonder ses propres campagnes en détruisant barrages et digues, saboter ses propres voies ferrées, dynamiter ses propres ponts59. Rien n’échappe à l’ogre.
Il faut cesser de dévoyer la notion de « crime contre l’humanité », cesser de l’appliquer à toute action de l'adversaire ayant atteint une cible innocente. Non pas que la notion doive être abandonnée, mais elle ne doit jamais être dévoyée. Or pour des raisons de propagande, pire, pour des raisons éditoriales, le terme en est venu à désigner des faits de guerre.
Si l'on désigne comme « crime contre l'humanité » tout événement ayant abouti à la mort de civils, il faut alors avoir l'honnêteté (en faisant un tout petit effort de mémoire et de raison) de reconnaître et de dire que TOUTE guerre ne peut que produire des crimes contre l'humanité, dans le camp des bons comme dans celui des mauvais.
En mars 2022, l’ONG Disclose publiait une enquête, qui révélait que la France avait livré du matériel militaire à la Russie entre 2015 et 202060. Et les média d’être horrifiés.
Tiens donc ? La France aurait vendu des armes à la Russie ? Au nom de quelle loi du marché les marchands d’armes ne vendraient-ils des armes qu’aux bons démocrates61 ?
Au nom de quelle logique les armes ne tomberaient-elles jamais entre les mains ennemies ? Entre des mains inconscientes ?
4. Et si la manipulation était plus vaste que ça ?
Et voici que l’ampleur de la propagande autour de la question ukrainienne, sa durée, son obstination, ainsi que la résurgence des mêmes méthodes plus récemment autour de Taïwan, suggèrent une causalité beaucoup plus ample que la confrontation de l’Otan et de la Russie.
Il existe en effet d’autres tensions de plus en plus perceptibles, dans d’autres lieux de la planète, qui sous-tendent également des prolongements armés. Du Sahel au Moyen-Orient ou à la mer de Chine, toutes dessinent les contours des sphères d’influence qu’avait acquises l’occident, qui sont de facto menacées, et que ses dirigeants entendent préserver, voire consolider. Toutes évoquent des échos guerriers, chiffrés par les media en termes de bases navales, d’avions de guerre, d’unités aéroportées, de systèmes de surveillance...voire pire.
On perçoit une sorte d’affolement du côté des dirigeants politiques et de leurs relais médiatiques. Et celui-ci fait indéniablement écho à la perception par les opinions occidentales d’une sorte de faillite générale du modèle civilisationnel. La crise climatique fait écho à la boulimie d’énergies, tandis qu’aucune solution n’est envisageable sans remise en cause du partage des richesses produites, comme l’a montré la crise des Gilets Jaunes, premier grand coup de semonce dans le ciel sans nuage de M. Macron.
L'enjeu est tel, pour les classes possédantes, que les choses ne peuvent être laissées au hasard.
Il s'avère en effet que c'est à un niveau bien différent que se trame aujourd’hui la propagande. Elle dépasse largement, le cas de l’Ukraine, et se soucie comme d’une guigne de la démocratie, comme de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La déroute à la fois économique, politique, et pourrait-on dire civilisationnelle du modèle néolibéral qui fit la puissance de l’occident est parfaitement perceptible dans l’opinion. (crise économique, crise de l’énergie, doutes quant à la préservation des équilibres naturels et des ressources de la planète, échecs politiques patents, migrations, surgissement d’acteurs nouveaux dotés de systèmes politiques différents, machinerie de répartition des richesses totalement délirante, qui met entre les mains de quelques mégalomanes un pouvoir de décision aussi grand que celui d’un état… Les bases mêmes de cette « mondialisation heureuse » tremblent : énergie et matières premières obtenues à bas coût grâce à des vassaux aux ordres, puissance militaire inégalée, omniprésence sur la planète, démonstration par la croissance de la supériorité du modèle politique, main d’œuvre malléable et bon marché…
Cette situation périlleuse n’échappe évidemment pas aux élites dirigeantes et à leurs « think tanks »62.
Et bien évidemment, cela fait ressurgir la nécessité de pouvoir mobiliser les peuples contre tout modèle de société alternatif, contre tout changement de « l’ordre du monde ». La préoccupation principale des sphères de pouvoir, et de toute l’oligarchie pensante et agissante, est alors de régenter l’opinion, de garder en mains les leviers de manipulation des populations, par la propagande tout d’abord, par la force si nécessaire63. Et en arrière plan, comme on l’a vu plus haut, par la préparation à la guerre, froide dans un premier temps, de « haute intensité » si nécessaire.
Bien entendu, l’occupation de l’Ukraine pose la question lancinante de savoir si une tyrannie, une oppression, une invasion, sont pires ou non que la guerre, et si la lutte contre cette tyrannie vaut la guerre. Vaut quelle guerre, on ne peut jamais le savoir d’avance, surtout dans un monde nucléarisé
On ne peut savoir si cette bataille, implicitement comparée à l’affaire de Munich64, mérite cette fois de frôler une guerre mondiale, pour la beauté du sauvetage de la démocratie en Ukraine, voire de nos régimes politiques auto-légitimés par leurs institutions démocratiques. La réponse n'est évidente que pour ceux qui ne la font pas et ne la subissent pas directement. Pour ceux aussi qui ne savent rien de la guerre, et n'en ont que les images d'Épinal de la propagande belliqueuse.
Elle l'est peut-être aussi pour ceux qui subissent la tyrannie ou l'invasion. Mais qui peut en juger ?
On ne peut non plus présumer de notre capacité réelle à mener ce type de guerre, et la France est coutumière de l’incapacité à mesurer ses forces65.
Et chacun sait que la logistique moderne, la puissance productive, les systèmes d’alliances, sont susceptibles de faire durer un conflit armé durant des années voire des décennies, produisant des destructions jamais connues auparavant, annihilant des pays entiers. Et nourrissant pendant tout ce temps les profiteurs de guerre. Pour ceux-ci (ils existent évidemment, et certains disposent de puissants leviers d'influence), la poursuite de la guerre en Ukraine est une aubaine, et ils agiront pour qu'elle dure66.
Conclusion
Le XX° siècle avait été celui de la désillusion de la modernité.
Avec la Grande Guerre d’auto destruction de l’Europe, ce n’était plus seulement la destruction industrialisée de sa jeunesse dont il s’était montré capable, mais aussi celle de toutes ses valeurs.
Puis avec la bombe atomique et la Shoah disparaissait le mythe de la civilisation européenne, de sa culture humaniste et éclairée, de sa rationalité, de sa maîtrise de la science. De sa capacité à « civiliser le monde » et à le guider vers le progrès.
Cette leçon conduisit rapidement à l’explosion des empires qui dominaient le monde depuis quatre siècles (?).
Alors, mettant à profit ce terrible changement, l’empire américain naissant se saisit de tous les leviers d’une suprématie nouvelle, qui devint bientôt unipolaire (monopolistique ?) avec la chute de l’URSS. La voie était alors libre pour une Ère Moderne.
Et ce fut l’occasion de la naissance d’un nouveau récit de progrès.
Les dirigeants du monde de l’après-guerre se voulurent pleins de sagesse. Ils prônèrent urbi et orbi une nouvelle organisation des « Nations Unies », plus forte et plus lucide.
Mais surtout, ils construisirent un nouveau credo : celui de la Paix par le Marché Libre et non faussé, par la prospérité découlant de la croissance, et promirent la naissance d’un monde plus serein et plus homogène grâce aux échanges marchands ainsi libérés.
L’embellie économique de la seconde moitié du siècle sembla donner corps à ce récit, et démontrer la supériorité des régimes « démocratiques » qui l’avaient promu. Les élites politiques de ces nations pouvaient dormir tranquilles, leur légitimité brillait aux yeux de la planète entière, et leur enrichissement déraisonnable n’était qu’un bien dérisoire effet de bord.
Las, bien vite les nuages s’amoncelèrent.
Voici que la fameuse croissance semblait être responsable d’un probable cataclysme climatique67. Mais ça, c’était pour une échéance encore lointaine et incertaine.
Dans le même temps il semblait malheureusement que les « crises économiques » se répétaient avec obstination, et la folle financiarisation du Monde ne paraissait plus de si bon augure68.
Les modèles économiques et leurs gourous bégayaient ; Joseph Steiglitz, encore tout auréolé de son « Prix de la banque de Suède » (2001), brûlait les conséquences de ce qu’il avait contribué à construire69, et l’on eût de plus en plus l’occasion de douter de la capacité des savants à domestiquer leur monstrueuse créature.
Cependant, la marche en avant de l’humanité ne semblait pas vraiment remise en cause. L’innovation fournirait bien sûr des parades, et nous devions continuer dans la même voie.
Mais voici que soudain LE virus nouveau arriva. Et l’humanité ébahie découvrit non seulement son dénuement face à une pandémie, mais aussi la responsabilité évidente de la « mondialisation » dans la dispersion éclair du virus et les effets néfastes de la « délocalisation » et des impératifs de profits.
Mais il ne fallut que deux ans de plus pour que ressurgisse le spectre de la guerre en Europe, narguant les assurances de ses pères fondateurs.
Il semble donc indispensable de se demander si cette régression peut être le fait d’un hasard malveillant, ou si au contraire le monde construit par le capitalisme néolibéralisé en est le mauvais génie « systémique ».
Il semble donc indispensable de se demander si les « élites » sorties des mêmes moules, voués à une pensée unique et ne connaissant qu’un modèle du monde sont à même de sortir de cette désespérante impasse70.
Et en particulier, il semble nécessaire de se demander s’ils ne peuvent pas être tentés, comme cela s’est vu si souvent dans l’histoire, de chercher dans la guerre l’issue de leurs erreurs.
Malheureusement, l’obstination avec laquelle les dirigeants occidentaux – et les E.U. en tête – manipulent l’opinion et accumulent les tensions est de fort mauvais augure.
Les peuples du monde sauront-ils cette fois s’émanciper de cette propagande, de cette mainmise des élites sur leurs esprits ?
Il semble hélas que le récit imposé par les médias dominants recueille une forte audience ; les voix de paix sont bien peu nombreuses et bien peu répercutées, et les forces « de gauche » aussi bien que certains mouvements pacifistes sont bien nombreux eux aussi à réclamer l’aide militaire à l’Ukraine et la défaite de la Russie plutôt que la recherche obstinée de voies de conciliation71.
G. Collet, septembre 2022
1Si toutefois ceci a jamais constitué un objectif.
Voir : https://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/shock-therapy-242918
2Ces formalismes, s’ils sont mis en œuvre, n’ont en tous cas pu freiner aucune des ardeurs guerrières mentionnées, ni mener à l’ouverture de réels débats publics. Et encore moins conduire à la moindre analyse critique de leurs conséquences.
3On y à l’OTAN défend officiellement le Monde Libre et l’État de droit, mais la seule présence, dans cet aréopage, du Portugal alors dirigé par le dictateur Antonio de Oliveira Salazar suffit à comprendre que le but n’est pas là. (Manières de voir N° 183, juin-juillet 2022, p7).
4On sait que dans le cas de l’Ukraine, le « consensus des nations » quant aux mesures de rétorsion contre Moscou n’a pas réuni la moitié des nations.
5On en verra plus loin une démonstration assez flagrante, montrant qu’il ne s’agit pas là de délires « complotistes ».
6On peut se référer à ce sujet aux mises en scènes, dissimulations, euphémisations, mensonges et glorifications qui semblent nécessaires au pouvoir à la moindre escarmouche grave. Voir : https://www.lepoint.fr/monde/soldats-francais-tues-au-sahel-deux-commandos-de-la-marine-nationale-10-05-2019-2311865_24.php
7Il est du reste bien difficile de percer les mystères des multiples rapports de forces qui font circuler les décisions et les « éléments de langage » de cette propagande depuis les instances de l’Otan (et sans doute des États-Unis) jusqu’aux instances européennes et aux pouvoirs nationaux, leur imposant des choix qui pour certains analystes semblent contraires à leurs intérêts.
8Et la guerre, qui est redevenue une possibilité, est l’un des moyens traditionnels de règlement des crises du capitalisme. Voir : https://www.politis.fr/articles/2022/07/jean-luc-melenchon-je-lutterai-jusqua-mon-dernier-souffle-44685/
9Certes, il y a l’hypothèse de la défaite. Mais même celle-ci ne se retourne pas souvent contre les dirigeants guerriers. Ni l’empereur du Japon, ni les chefs militaires n’eurent à répondre de la guerre.
10On le perçoit dans les réseaux sociaux, la presse alternative, mais aussi dans les résultats électoraux et l’abstention.
11Concentration industrielle, pouvoir financier, technologies numériques, internet...
12Credo de M. Madelin, par exemple, contestant l’idée de « partager le gâteau », et conseillant de l’agrandir.
13Voir : https://www.territoires-memoire.be/aide-memoire/aide-memoire-70/aide-memoire-70-la-propagande-de-la-grande-guerre-aux-origines-de-la-propagande-moderne.html
14« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts »… « Il ne manque pas un bouton de guêtre »… la liste est interminable.
15Inutile de rappeler la campagne présentant Jaurès comme un suppôt de l’Allemagne...
16l’interdiction des média russes dès le début de la guerre d’Ukraine est un exemple, alors même que le fait que la Russie fasse taire les radios occidentales est donné comme preuve de sa nature diabolique.
17Et la propagande fonctionne assez bien et fait aimer les armes. Si l'on en croît la gentille présentatrice du JT du 14 juillet, « Les gens sont contents de voir le nouveau drone (américain) de l'armée de l'air dans le ciel de Paris »...
https://www.bfmtv.com/societe/en-direct-14-juillet-un-defile-militaire-sous-le-signe-de-la-guerre-aux-portes-de-l-europe_LN-202207140041.html
18Certes, le para dans l’âme, le baroudeur né, le fanatique du commando mettront en exergue les valeurs exaltées par la guerre : le courage, la fraternité d’armes, le don de sois, et certes cela existe. Mais cela ne change rien à l’affaire. Dans tous les cas il s’agit bien d’un naufrage civilisationnel ; et sans réflexion forte sur la guerre, ce courage et cette abnégation sont vains et gaspillés. C'est par ailleurs oublier que si la gloire, le courage et l'abnégation honorent le combattant, ce n'est pas le cas des populations prises dans la guerre. Qui aujourd'hui sont 90 % des victimes...
19Dieu, ou toute autre idole lorsque celle-ci est par trop élimée… le progrès, la civilisation, la démocratie...
20Formule consacrée des journaux télévisés.
« Pour les photojournalistes présents sur le terrain, une question se pose : comment documenter le réel, sans choquer gratuitement ? » (Le Monde, 12 avril 2022)
21Les propagandistes savent parfaitement l’effet qui peut être produit sur les peuples par les vraies images de guerre. Ils savent, avec cynisme, nous cacher la réalité des guerres que nous acceptons.
22Le mot est à interpréter au sens anglo-saxon, celui de l’Intelligence Service, et de la C.I.A.
23L’amiral Lacoste fut par exemple chef du cabinet militaire de Raymond Barre, directeur général de la DGSE, président du Comité national de liaison « Défense - Armée - Nation » pour le Centre d'information civique.
Rémy Pautrat est un ancien préfet de région et un ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST).
Robert Guillaumot est Issu du renseignement militaire, et occupe actuellement les fonctions de Président de l'association IDEE et d’animateur des centres d'intelligence économique du MEDEF.
Bernard Carayon fut chargé de mission au cabinet du ministre délégué à la Sécurité (Robert Pandraud), rapporteur spécial du budget du Secrétariat général de la défense nationale et du renseignement, puis placé auprès du ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales (Nicolas Sarkozy).
Franck Bulinge est Expert auprès de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice, et du Centre des hautes études du ministère de l’intérieur ; il intervient auprès de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, il dirige l’ouvrage « Management stratégique de l’information » aux éditions WEKA...Etc...
24L’École de Guerre Économique est l’un des contributeurs réguliers du portail.
L'École de guerre économique est créée en octobre 1997 par Jean Pichot-Duclos, général et ancien directeur de l'école interarmées du renseignement reconverti auprès de la société-parapluie du Ministère de la Défense, Défense conseil international, où il a créé la branche d'intelligence économique (Intelco-DCI). Il cofonde l'école au sein-même de la DCI avec Christian Harbulot, alors directeur opérationnel d'Intelco-DCI. (Wikipedia).
L'EGE organise les premiers états généraux de l'intelligence économique au sein de l'École militaire, sous l'égide du Ministère de l'Intérieur. Le directeur, Christian Harbulot, est élevé en 2008 au grade de lieutenant-colonel de réserve par le ministre de la Défense, et chargé de cours en intelligence économique pour l’état-major de l’armée de terre.
26On peut noter au passage le charmant euphémisme « préserver sa population », comme on surveille les lectures de ses enfants.
27Alimentant ainsi à terme le complotisme.
28Et l’on s’approche à grands pas de la propagande de guerre aux E.U. en 1916, de celle pour la guerre en Libye ou en Irak, et l’on ne peut s’empêcher de penser au modèle du genre dans l’Allemagne des années 1930.
29Tout de même...
30Emmanuel Macron a lâché ce mot cabalistique en mars 2020 : il nous enjoignait de retrouver la « résilience » qui nous permettrait « de faire face aux crises à venir ». Issu de la résistance des matériaux, ce concept est cher aux militaires et aux économistes.
Ch. Dessertine, à l’antenne de C dans l’air, reprend cette brillante idée de résilience.
31Et l’on retrouve sous la plume de ces penseurs novateurs la vieille antienne : « Il leur faudrait une bonne guerre » !
32L’École de Guerre Économique ne fait pas mystère de la concordance entre intérêts privés des entreprises et décisions régaliennes.
33L’EGE est évidemment bien placée pour ne pas l’ignorer. On peut lire à ce sujet sur son site web une analyse des rapports entre Intérêts pétroliers privés et politique de puissance américaine… américaine, car il est toujours plus confortable de voir la paille dans l’œil de l’autre….
https://www.ege.fr/infoguerre/interets-petroliers-prives-et-politique-de-puissance-americaine
Lire également : Guerre et opinion publique : communiquer, informer, désinformer :
https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2014-3-page-68.htm
34Depuis les journaux, télés et radios classés « de droite », jusqu’au média classé comme critique et plutôt « de gauche » qu’est Mediapart.
Ne restent alors pour s’informer autrement et de manière plus contradictoire, que des publications alternatives, et les réseaux sociaux. Qu’il est alors aisé de disqualifier en les accusant systématiquement de complotisme… ou d’intelligence avec l’ennemi.
35Lire l’irremplaçable ouvrage : Les petits soldats du journalisme, François Ruffin, Les Arènes, 2003.
36Mais hélas, on passa davantage de temps à glorifier l’armée française, ses chefs, et l’abnégation – forcée – des poilus qu’à souligner le suicide collectif que fut cette Grande Guerre.
37L’Aurore évidemment, publiant le célèbre « J’accuse ! », symbole du pouvoir de la presse au service de la défense de la vérité ; plus près de nous, l’Express publiant le témoignage de J.J. Servan-Shreiber sur la guerre d’Algérie… et déclenchant l’ire du Ministre de la Défense....
38Le quasi consensus s’étend jusqu’à une grande partie de « la Gauche » – même radicale – et des milieux pacifiques.
39Sans parler bien entendu des sites « complotistes ».
40La référence sous-jacente à toute la rhétorique sur le soutien inconditionnel à l’Ukraine est évidemment la reculade des démocraties face à Hitler lors de la conférence de Munich en 1938. Or la supposée « lâcheté » de Munich ne peut pas servir de grille de lecture éternelle et unique pour décrypter tous les événements internationaux.
Il n'existe évidemment aucune preuve que le fait de s'opposer à Hitler aurait alors arrêté la marche en avant de l'Allemagne, un élan qui dépassait de loin cet événement contingent.
Aurait-il été vraiment utile à ce moment, comme en 1870, comme en 1914, comme en 1938, de prendre l’initiative d’une guerre que l'on n'avait de toute évidence pas les moyens de gagner ?
Seuls des militaires inconsistants et des politiques aveugles ont pu faire ce pari.
41Ce « nous » incarne l’ « union sacrée » nationale en cas de guerre.
42Ce qui fit dire à certains que les États-Unis comptaient lutter contre l’invasion « jusqu’au dernier ukrainien ».
43L’information « mainstream » des organes publics et de ceux appartenant aux groupes de presse monopolistiques, mais aussi l’information « non officielle » des ténors de plateaux, selon les conseils avisés de l’EGE. (Chapitre 2).
44Le « On » présume ici l’existence de personnes s’efforçant de garder un regard critique sur la situation. Certaines des hypothèses de ce « on » ont une solide existence objective.
45En position de force, « l’Occident » – et singulièrement « L’Empire américain » – aurait pu opter pour une conception plus équitable des rapports mondiaux ; mais il a systématiquement choisi la confrontation et entretenu sa supériorité militaire dissuasive, ne laissant pas d’autres choix aux autres puissances que de s’armer à leur tour. Le cas de l’OTAN survivant à la disparition de l’URSS, et tenant en respect ses débris est éclairant.
La dimension « productiviste » et la nécessité de croissance infinie inhérentes au capitalisme néolibéral amplifiant évidemment les tensions autour des approvisionnements stratégiques.
46La fourniture d’armes à un belligérant peut dans certains cas être considérée, en droit international, comme un acte de guerre.
47Le Vietnam et ses voisins, l'Irak, l'Afghanistan, la Libye… la liste est longue et douloureuse.
Voir l’article de J. Pilger pour le Guardian :
https://www.les-crises.fr/les-etats-unis-nous-entrainent-dans-une-guerre-contre-la-russie/
48Voir par exemple le réarmement de l’Allemagne :
https://www.contretemps.eu/rearmement-allemagne-guerre-ukraine-russie-streeck/
49Car l’adversaire mentait, évidemment. Inutile ici de revenir une fois de plus sur les dissimulations, arrangements et silences dont se sont rendues coupables les puissances démocratiques lors des guerres qu’elles ont entreprises. Certains de ces mensonges diffusés à l’échelle planétaire resteront historiques.
50https://www.lemonde.fr/international/live/2022/05/13/guerre-en-ukraine-en-direct-incomprehension-entre-zelensky-et-macron-kiev-va-recevoir-une-nouvelle-assistance-militaire-de-l-union-europeenne_6125909_3210.html
51Pire encore, les événements de mai à juin 1940 nous rappellent que la « faiblesse de la nation » réside en dernier ressort dans ses élites, qu’elles soient politiques ou militaires, qui peuvent parfaitement tout céder à l’adversaire – non sans avoir envoyé à la mort des contingents entiers – afin de protéger des intérêts et des valeurs qui leur sont propres. La « résilience » prônée par l’IE devrait donc être recherchée principalement du côté des oligarchies économiques et militaires, et non pas seulement du côté des peuples.
52« Comme l’a bien montré Marc Ferro, la guerre moderne n’est plus tant celle du journaliste-soldat de l’information, que celle d’un complexe mondial militaro-industriel tentant de gagner discrètement à sa cause ../.. le complexe des industries culturelles : les journalistes feraient-ils donc de la « désinformation malgré eux » ? (L’Information en guerre, Nicolas Pélissier, pp 209, 221.) https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000263
Voir aussi la mise en garde de D. Eisenhower : https://exoconscience.com/lavertissement-deisenhower-sur-le-complexe-militaro-industriel-est-toujours-valable/manipulations-gouvernance-mondiale/
53https://www.francesoir.fr/politique-monde/les-etats-unis-reconnaissent-avoir-finance-des-laboratoires-biologiques-en-ukraine
55Voir aussi : Guerre en Ukraine : les alliés s’inquiètent de la dissémination des armes livrées, https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/28/ukraine-les-occidentaux-s-inquietent-de-la-dissemination-des-armes_6136481_3210.html
56Il s’agit bien aujourd’hui, selon Joe Biden, de « mettre la Russie à genoux ».
57Inutile de mentionner des exemples. Anciens ou récents, ils sont à l’esprit de tous et concernent tous les belligérants.
58Le dit « équilibre de la terreur » repose sur ce constat : tout conflit majeur – touchant des intérêts vitaux, comme par exemple visant à mettre la Russie « à genoux » – concernant des pays possédant l’arme atomique terminerait en apocalypse. On sait qu’États_Majors et exécutants y sont préparés, les ordres sont sous enveloppes, les procédures rodées… La seule leçon qu’en ait tirée les pays possédant cette arme étant que les autres ne devaient pas l’avoir. La justification étant que les premiers possesseurs étaient des puissances du bien. Mais jusqu’à quelle surprise électorale ?
59Les combats autour de Zaporija nécessitent aussi la participation des deux camps...
61Ont-ils tous oublié qu’en 14-18 déjà, tandis qu’on soutirait aux familles décimées « l’or de la victoire », le commerce continuait entre les maîtres de forges et les aciéristes des nations belligérantes ?
62le chef de l’État a ainsi évoqué le 24 août 2022 la « fin de l’abondance, de l’insouciance et des évidences » dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine et la hausse des coûts de l’énergie.
63M. Didier Lallement est parti, mais rien n’est changé pour autant, et la police vient de faire l’acquisition de véhicules armés de mitrailleuses lourdes… sait-on jamais ?
https://www.politis.fr/articles/2022/07/maintien-de-lordre-des-mitrailleuses-sur-90-blindes-commandes-par-la-gendarmerie-44723/
64cf. note 35.
65Sur l’impréparation de l’Europe, voir : https://www.legrandsoir.info/ce-que-la-guerre-en-ukraine-nous-revele.html
66Lire à ce titre l’édifiante description du rôle de la Banque d’Indochine dans la guerre contre le Viêt Minh : Une sortie honorable, Eric Vuillard, Actes Sud, pp 185 - 191.
67Le coup de tonnerre du Rapport Meadows date de 1972.
Voir : https://mrmondialisation.org/le-premier-rapport-sur-les-limites-de-la-croissance-a-50-ans/
Voir aussi : https://reporterre.net/Le-rapport-au-Club-de-Rome-stopper-la-croissance-mais-pourquoi
68Wikipedia en recense 20 de 1637 à 1966, et 35 de 1971 à 2020.
69Voir ses ouvrages sur les dysfonctionnements notoires du néolibéralisme, après quarante ans de destructions sociales et environnementales.
Voir : https://blogs.mediapart.fr/hanscova/blog/171019/au-dela-du-capitalisme-neoliberal-discussion-autour-de-joseph-stiglitz#_ftn2
70La dévotion désormais bien connue de M. Macron pour les vertus de l’Uber Monde est un exemple frappant de cette pensée figée.
71C’est généralement avec un adversaire qu’on négocie, et il existe toujours de voies de conciliation… sauf si l’on recherche l’anéantissement de cet adversaire...
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