La laïcité en péril
Une interview de Christine Sampéré, adjointe au maire de La Seyne-sur-Mer, chargée de l’Education scolaire à propos des attaques en règle de la droite au pouvoir contre l’Ecole publique qui s’ajoutent à toutes les autres mesures conduisant à la privatisation de nos services publics.
-A celles et ceux qui pensent que la défense de la laïcité serait un combat d’arrière-garde, que répondez-vous ?
C.S : Qu’il n’y a jamais eu autant de remises en cause de la laïcité qu’en ce moment ! On assiste à une offensive sans précédent visant à affaiblir l’enseignement laïque et républicain au profit de l’enseignement privé et confessionnel.
La République « ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». En coulisse, tout est fait pour torpiller l’esprit de cette loi dès qu’il s’agit d’éducation nationale.
Tout un pan du discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran vient d’entrer en vigueur. On se souvient que le président plaçait le prêtre au-dessus de l’instituteur « dans la transmission des valeurs ». Ce que son gouvernement applique à la lettre.
Dans ce discours, le président regrettait que la République ne reconnaisse pas la « valeur des diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholique ». On pensait à la reconnaissance du diplôme de théologie… Ils n’ont pas à être validés par la République puisqu’elle ne « reconnaît aucun culte ». Mais le président s’obstine. Tout en tuant à coup sûr l’esprit de la loi de1905.
L’affaire est plus grave qu’il n’y paraît. Les décrets de cet accord – signé en catimini entre la France et le Vatican le 18 décembre 2008 – viennent de tomber. Ils prévoient la « reconnaissance mutuelle des diplômes de l’enseignement supérieur délivré sous l’autorité compétente de l’une des parties ». Or cette « reconnaissance » ne vaut pas seulement pour les matières théologiques mais aussi profanes. Autrement dit, le baccalauréat ou d’éventuels masters.
-Oui mais n’est-ce pas aussi la mise en œuvre d’une directive européenne sur la reconnaissance des diplômes étrangers ?
C.S : C’est le prétexte en effet mais cet accord change de nature à partir du moment où il est signé avec le Vatican, pour « reconnaître » des diplômes délivrés sur le sol français par des établissements de l’Eglise. Ce qui revient non seulement à casser le monopole des diplômes qu’avait l’Etat depuis 1880, mais aussi l’esprit de l’article 2 de la loi de 1905.
Jusqu’ici, les établissements catholiques privés pouvaient parfaitement préparer des élèves au bac, mais ceux-ci devaient passer leur diplôme avec tous les autres.
On connaît l’astuce : de nombreux établissements privés choisissent de ne présenter que les meilleurs élèves sous leurs couleurs et d’envoyer les autres en candidats libres pour améliorer leur score de réussite au bac. Appâtés par des pourcentages tournant autour de 100 %, de plus en plus de parents se tournent vers ces établissements au détriment de l’école publique.
Le gouvernement fait tout pour encourager ce choix : démantèlement de la carte scolaire, baisse du nombre de professeurs dans le public, qui ont pour conséquence directe les fermetures de classes voire d’écoles, les classes surchargées, au profit de financement toujours plus généreux pour les établissements privés !
La Loi Carle de 2008 va entrer en application : elle instaure un principe dans le financement des écoles privées que l’on ne trouve nulle part dans la Constitution : le principe de parité public/privé, avec la mise en place d’un véritable « chèque éducation » qui relègue l’enseignement à un vulgaire bien de consommation et réduit le citoyen au rôle de simple consommateur.
-Avez-vous des exemples de ces financements publics d’établissements privés confessionnels ou non ?
C.S : Les jardins d’éveil financés par la CAF au profit du privé y compris confessionnel, avec l’objectif de voir disparaître les petites sections de maternelle et, comme l’écrit si bien la FNOGEC (fédération nationale des organismes de gestion de l’enseignement catholique), pour « fidéliser les enfants dès 2 ans » !
Le plan banlieue est à sec, mais on racle les fonds de tiroirs pour financer – sur fonds publics – l’ouverture de 50 classes privées catholiques dans les quartiers populaires.
Un collège tenu par l’Opus Dei est déjà sous contrat : Sartrouville a inauguré un lycée privé catholique baptisé « Jean Paul II » en présence de l’évêque de Versailles, du Président du Conseil Régional PS et du député-maire UMP.
Cet établissement a reçu près de 2 millions d’euros de subventions du Conseil Régional d’Ile de France. Les travaux d’aménagement représentent 860 000 € du budget communal de Sartrouville.
Et le gouvernement veut aller encore plus loin : en finir avec les diplômes d’Etat ! Cela au moment où il annonce vouloir supprimer les IUFM et remplacer leur formation par un master que pourrait préparer n’importe quel établissement privé. Comme ça, en plus de délivrer le baccalauréat, le Vatican pourra ouvrir des masters destinés directement aux futurs enseignants.
-Que reproche-t-il aux IUFM qui ont succédé aux Ecoles Normales ?
C.S : Sans doute de former des enseignants laïques, c’est-à-dire respectueux de toutes les religions mais ne dépendant d’aucune qu’ils soient athées ou croyants eux-mêmes. Et attachés aux principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité…
Je n’hésite pas à le dire : l’Education nationale, née de l’idéal laïque, gratuite et obligatoire, est en danger de mort. Tout est fait pour détourner l’opinion de cet enjeu majeur que constitue la laïcité qu’ils prétendent vouloir préserver, la main sur le cœur, alors qu’ils la vident de son sens, répondant aux vœux des franges catholiques les plus intégristes et des mouvements ultra-libéraux, qui sont au coeur de la réforme économique et idéologique menée par l’actuel gouvernement. Il est urgent de s’interroger sur ce que contient le discours de Nicolas Sarkozy au Latran.
-Ne craignez-vous pas que l’on vous reproche de réactiver la théorie du complot et de relancer la guerre scolaire ?
C.S : Pas du tout. Il ne faut pas inverser les rôles. Un certain nombre d’associations agissent avec un objectif clairement établi : démanteler l’Education nationale. En voici quelques-unes : « Enseignement et libertés », « Créateurs d’écoles »( Darcos en est le co-fondateur), l’« OIDEL », « SOS Education », « FSP- Fondation de service politique », « Créer son école », « CLE- Catholiques pour les libertés économiques », « ILFM : Institut libre de formation des maîtres », « Fondation pour l’école », « Famille et libertés », « Mission pour l’école catholique »… ou encore, l’ALEPS, « association pour la liberté économique et le progrès social », filiale ultra-libérale du MEDEF, créée dans les années 60...
Leurs penseurs, leurs activistes s’inscrivent dans la mouvance des idées agitées dans les « think tanks » de l’extrême droite, au sein du Front National, du Club de l’Horloge voire, pour certains… de l’Opus Dei.
Toutes réclament, à corps et à cris, l’avènement de la « liberté de l’enseignement » en France. Qu’entendent-elles par « liberté » ? Il s’agit en fait, d’organiser la mise en concurrence des établissements scolaires, dans une optique de concession de service public voire de marchandisation de l’école.
-Est-ce une alerte à la veille des élections régionales à forte connotation politique ?
C.S : Je suis moi-même candidate (Front de Gauche) dans le Var et je pense en effet que les régions et les futures majorités de gauche ont à prendre cette question avec beaucoup plus de conviction et de vigilance qu’elles ne l’ont fait jusqu’alors.
En affirmant d’abord que le principe fondamental de la laïcité est un des piliers de la République, né de la Révolution française de 1789 comme la liberté de conscience et de culte inscrite dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, principe fondateur de l’enseignement public de Jules FERRY, rappelé en 1905 avec la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, et réaffirmé par le Conseil National de la Résistance à la Libération pour qu’il soit inscrit en préambule de la Constitution de 1946.
En agissant pour sauvegarder et développer un service public d’éducation de qualité et de proximité, un service public de formation tout au long de la vie,
En soutenant les collectivités territoriales, les enseignants, les parents d’élèves contre toute fermeture de classe, contre tout financement autre que ce que la loi leur impose.
Les régions doivent s’impliquer plus activement contre la réforme des IUFM, exiger l’abrogation des lois anti-laïques (loi Debré, loi Carle..), soutenir le recours en Conseil d’Etat contre l’accord Vatican-Kouchner…bref, être aux avant-postes pour sauver l’Ecole de la République.
Bien entendu cette question n’est pas exclusive de toutes les autres qui appellent des ruptures avec les politiques libérales et des initiatives fortes pour ouvrir une véritable alternative.
Propos recueillis par
René Fredon
Quelques sites édifiants
Pour remplacer l’école publique responsable de tous les maux de la société, une association propose ses services pour aider à créer son école entièrement libre, programmes compris… avec toutes les astuces, tous les liens :
http://www.creer-son-ecole.com/index.php?page=1
Page qui donne des liens sur d’autres sites :
http://www.creer-son-ecole.com/index.php?page=16
dont le site « SOS éducation » qui a proposé des actions telles que la suppression des postes des enseignants détachés dans les associations d’éducation populaire qui seraient des « groupes de pression », le retrait de livres scolaires jugés pernicieux et de soutenir le Ministre de l’éducation contre les enseignants « désobéisseurs » !…
La « fondation pour l’école » propose aussi ses services pour créer une école « indépendante » et lance un appel à partenariat avec une réduction d’impôt sur l’ISF de 75 % !
http://www.fondationpourlecole.org/mission.html
On peut aussi consulter le blog de l’association « enseignement et libertés »où l’on peut lire que le système scolaire français est un « fiasco » et que l’enseignement privé catholique doit s’affranchir d’urgence des contrats avec l’Etat !
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