La personne du roi est inviolable et sacrée
L’irresponsabilité présidentielle, prévue par l’article 67, est l’expression du caractère monarchique de nos institutions.
Le Collectif article 67 a déjà l’occasion de rappeler que la Constitution, dans sa rédaction actuelle, conférait au chef de l’Etat une irresponsabilité fonctionnelle, totale et absolue.
Alors que l’article 67 de la Constitution aménage une irresponsabilité pénale au bénéfice du Président de la République, empêchant toute instruction et toute poursuite pendant la durée de son mandat, l’article 68, qui prévoit la mise en jeu de sa responsabilité politique devant le Parlement, par la voie d’une procédure de destitution, est aujourd’hui inapplicable, faute d’une loi organique que la majorité actuelle a repoussé aux calendes grecques par pure opportunité.
Le Président de la République est donc aujourd’hui totalement irresponsable, bénéficiant d’une impunité civile et pénale qui le rapproche juridiquement des incapables et des déments. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes de son mandat que de voir que c’est le plus grand des irresponsables juridiques qui a souhaité que l’on juge les déments. Cette démarche politique insolite pourrait être lue et vue comme l’expression d’une jalousie mal placée d’un potentat à l’égard d’une plèbe insensée, souhaitant conserver pour lui seul le privilège absolu d’une irresponsabilité totale.
A n’en pas douter, le Président de la République est un monstrum juridicum, qui bénéficie d’un statut unique, exorbitant du droit commun, emportant une impunité sans égale et sans partage. Aucun citoyen doué de raison et de discernement ne peut échapper à sa responsabilité, à l’exception de celui qui a été élu aux plus hautes fonctions de l’Etat par le suffrage universel.
Cette monstruosité judiciaire et institutionnelle est l’expression la plus aboutie du caractère monarchique de la cinquième République, tant il est évident que l’impunité présidentielle participe des attributs de droit divin que le sacre conférait autrefois à nos rois.
« La personne du roi est inviolable et sacrée » rappelait la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, ses ministres seuls étant responsables. Tout aussi inviolable, intouchable, et sacrée est aujourd’hui la personne du Chef de l’Etat, l’élection au suffrage universel ayant symboliquement et structurellement remplacée l’apposition du Saint Chrême lors du sacre.
Toutefois, ce qui semblerait distinguer, sur le terrain de la responsabilité, notre monarchie républicaine de l’ancienne de droit divin, c’est le caractère temporaire des attributs sacrés attachés à la fonction présidentielle. L’irresponsabilité prévue par l’article 67 de la constitution a vocation à disparaître, un mois après la fin du mandat présidentiel : l’ancien chef de l’Etat redevient alors un citoyen ordinaire, après avoir joui d’un statut extraordinaire. Il est alors susceptible de répondre de ses actes, qu’ils aient été commis avant ou pendant son mandat, devant les juridictions de droit commun.
Il y a là une imperfection constitutionnelle, qui est en soi un sacrilège : comment concevoir en effet qu’un politique, investi de la responsabilité suprême, par l’expression de la volonté générale et populaire, puisse choir dans le droit commun à l’expiration de son mandat ?
Les acteurs de la Vème République ont bien compris que ce retour au droit commun du monarque républicain constituaient une incohérence du système, et susceptible de nuire à la fonction elle-même, et qu’il convenait d’éviter en instituant une irresponsabilité de fait pour l’ancien président de la République, qui ne serait plus en fonction et qui serait inquiété par l’obstination du pouvoir judiciaire.
L’épouse d’un Président de la République avait eu l’honnêteté de formuler publiquement son indignation à l’égard de cette entorse portée au caractère divin de la personne présidentielle, après que son mari avait été renvoyé en correctionnel. L’accord passé, tout aussi publiquement, entre la Ville de Paris et le parti de la majorité manifeste cette volonté de parfaire le système d’impunité aménagé par notre constitution, en tentant d’empêcher les poursuites contre un ancien chef de l’Etat, à tout le moins de les rendre inoffensives.
Cette transaction, qui est un acte juridique, est la traduction de l’attachement des acteurs politiques de la cinquième République au principe de l’inviolabilité du monarque républicain : elle est symptomatique d’une certaine idéologie, qui transcende les clivages archaïques gauche/droite et qui voudrait, sous prétexte de l’onction du suffrage universel, que la fonction pût primer toujours la responsabilité. Il est amusant d’autre part de voir que c’est le droit qui permet à un ancien « responsable » politique d’échapper justement au droit.
La complaisance actuelle de la majorité de la classe politique, à l’égard de la fonction présidentielle et de ses attributs, se manifeste tout autant dans son indifférence vis-à-vis du scandale démocratique que constitue l’irresponsabilité totale et absolue aménagée par l’article 67, dans son peu d’empressement à voir venir devant les assemblées le projet de loi organique permettant la mise en œuvre concrète de la procédure de destitution, et enfin, dans le ménagement constant dont bénéficie cet ancien chef de l’Etat renvoyé en police correctionnelle.
Formée pour la grande part au sein de l’Ecole nationale d’administration, cette oligarchie n’est pas vraiment disposée à remettre en cause le fonctionnement général de la cinquième République, et ne peut envisager de réformer le statut du Chef de l’Etat, sans avoir la crainte d’en perturber durablement l’économie générale, tant il est vrai que la fonction monarchique est consubstantielle à nos actuelles institutions.
Toutefois, il existe un hiatus grandissant entre nos institutions et les revendications démocratiques de nos concitoyens.
L’impunité du chef de l’Etat est vécue comme un scandale, par le citoyen lambda, qui doit quotidiennement faire face à des difficultés croissantes, sans espérer pouvoir bénéficier d’aménagement de faveur, et qui doit répondre de ses actes, lorsque sa responsabilité est engagée, devant les juridictions civiles et répressives de son pays.
Et d’ailleurs, ce n’est pas faire le jeu de l’extrême droite, comme le hurlent volontiers les oligarques, que de réclamer que la justice soit la même pour tous, y compris pour le Chef de l’Etat : c’est bien au contraire rappeler une exigence démocratique, et revendiquer cette souveraineté, captée par un petit nombre d’initiés, qui n’appartient qu’au peuple.
L’impunité présidentielle n’est pas un dysfonctionnement institutionnel : elle est l’expression symptomatique du caractère monarchique de nos institutions, et il est surprenant que constater que les parlementaires qui ont modifié en 2007, pour des raisons de pure circonstance, le statut pénal du chef de l’Etat, n’aient pas eu conscience que cette réforme allait mettre crument à jour tout ce qu’il y avait de peu démocratique dans la Constitution de 1958.
Car il fait aujourd’hui peu de doute que la mise en cause de la responsabilité du chef de l’Etat, ou l’impossibilité de la mettre en cause si les circonstances l’exigeaient, pourrait être le signe annonciateur d’une nouvelle République, plus conforme aux exigences démocratiques d’une société moderne.
Philippe GONZALEZ de GASPARD, membre fondateur du Collectif article 67
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