La précarité de l’alliance entre les Verts et les Socialistes
Les Verts doivent-ils rester au Gouvernement ? La question a fait surface depuis quelque temps et il est probable que cette interrogation se répète plusieurs fois avant de se trancher au hasard des humeurs, des événements, ou des affres de l'opportunisme électoral. La coalition est compréhensible, mais l'alliance repose sur un compromis superficiel.
Tout donne l'impression que la différence entre les socialistes et les écologistes est une question de degré, et qu'il y a une proximité naturelle entre les deux groupes politiques. Ils sont alliés, il y a de nombreux transfuges entre le Parti Socialiste et Europe Écologie, dans les deux sens. Pourtant, il y a des soubassements profondément différents entre les roses et les verts. Il y a peut être une culture gauchiste chez les militants verts, mais quand on creuse un peu on découvre vite que les écologistes considèrent qu'il y a une véritable mutation entre l'approche écologiste qui rejette l'opposition entre les libéraux et les socialistes dans un passé où les rivaux qui ont dominé le XXème siècle avaient exclu la Nature et ses limites de leur pensée économique et politique.
La principale opposition concerne la croissance économique. Apparemment, les uns veulent donner la priorité à la croissance pour lutter contre le chômage, redresser les comptes publics et sociaux et insuffler une meilleure politique environnementale à l'occasion, les autres pensent que la croissance est au cœur même de la crise et qu'il faut tenir compte des aspects sociaux pour rompre avec une économie insoutenable (au sens d'insustainable).
L'efficacité idéologique est atteinte quand l'évidence est invisible. Or, on peut se demander si les écologistes ne sont pas dans une impasse qu'ils n'ont pas encore véritablement comprise eux-mêmes faute d'avoir véritablement perçu les conséquences de la position d'acteur économique de l'État. Ce qui pourrait constituer un motif de divorce autrement plus puissant que les rodomontades dont quelques parlementaires écolos nous ont gratifié ces derniers temps, versus social et soutien aux travailleurs.
L'évidence invisible, c'est que les élus politiques de ce pays ne sont pas seulement des décideurs politiques qui pèsent sur les choix sociétaux, économiques et sociaux, mais ils sont aussi les gestionnaires d'une grosse machine administrative avec les fonds publics qui y sont attachés. En conséquence, nos écolos au pouvoir se trouvent avec le gros agent économique étatique dans les mains, lequel n'est pas moins dopé à la croissance que les autres.
Les impétrants aux fonctions publiques évoluent tous sous la même pression tendancielle : ils arrivent avec des idées politiques pour la société, ils découvrent vite les limites de leur potentiel d'action après être entrés dans l'institution, mais ils investissent les recoins insoupçonnés des pouvoirs d'un gestionnaire avec les administrations qu'ils peuvent contrôler. C'est vrai depuis le conseil municipal jusqu'à l'Union Européenne. Cela pourrait bien se voir aussi au ministère du Logement.
Les modèles BBC et Earthship
- Un earthship en construction
Et là, on risque fort de se trouver avec la difficulté formulée par un certain Upton Sinclair : « il n'est pas facile de trouver un homme capable de comprendre quelque chose quand son salaire dépend de son incompréhension » (1). L'État a besoin de TVA, de travail et de transactions déclarées. Pour faire du bâtiment basse consommation (BBC) quand on est au Gouvernement aujourd'hui, il faut former des artisans, agréer des entreprises, favoriser le développement des nouvelles énergies et protéger leurs brevets, lutter contre le travail au noir, développer toute une nouvelle économie de la construction... L'État est en réalité fondu par de multiples liens, en tant que grand agent économique, dans l'économie capitaliste qui ne se maîtrise plus au niveau national.
Quand on est écologiste, on dit qu'il faut faire des earthship ! Et là, c'est une autre histoire, on dit qu'il faut des échanges de savoir-faire, s'affranchir des règles d'urbanisme inadaptées (ou renoncer), récupérer les matériaux, l'eau, l'énergie, dépenser le moins possible ! Cela donne des bâtiments à énergie positive, dans tous les sens du terme d'ailleurs.
A mon sens, la divergence entre les écologistes et les socialistes est profonde. Les écologistes pensent que la croissance capitaliste n'est pas soutenable, et les socialistes pensent qu'aucune politique sans croissance n'est tenable. Donc l'alliance est précaire.
(1) « It is difficult to get a man to understand something when his salary depends on his not understanding it. » cité par http://etienne.chouard.free.fr/Europe/En_Vrac.pdf (page113)
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