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La question du peuple ou le peuple en question

En période d’élection présidentielle, on parle beaucoup du peuple. Surtout, on prétend vouloir l’écouter, le courtiser ou le séduire. Dans certaines circonstances de campagne, l’homme politique va, sans la moindre hésitation, jusqu’à lui attribuer une grande sagesse. Il serait même, pour certains, pure transparence à lui-même, voire expert de sa propre vie. Mais enfin, qui est-il ? Suivons quelques pistes.

Première hypothèse : le peuple est multitude informe. Sans constituer un ensemble, il est pur agrégat dont on ne peut politiquement rien attendre, tant les risques d’anarchie qu’il suscite sont grands. Personne, alors, ne verra dans la bigarrure de la masse amassée les contours d’une spécificité politique quelconque. Si le peuple est multitude, il n’est point politique.

Deuxième hypothèse : le peuple est le petit peuple, le Tiers-état. En son sein, on trouve ceux que l’on ne respecte guère, les méprisés des puissants, les humbles, les exploités. Quand le marxisme-léninisme constituait encore une référence de l’action politique, on pointait la classe prolétarienne comme son identité. Sans nier que cette définition puisse avoir correspondu historiquement à des couches sociales produites par l’économie, reconnaissons qu’elle a de bien fâcheuses conséquences : dans la société, les peuples, bourgeois et prolétaire aux intérêts contradictoires, ne coexisteraient que dans l’aliénation du second par le premier. Ce qui est théoriquement, en pensée marxiste, insupportable. A cause de cette injustice historique du capitalisme, les communistes ont toujours considéré qu’un seul était Le Peuple légitime. Le peuple ouvrier était le genre humain. Unique, il devait triompher comme authentique, excellent, parfait, universel et objectif. On connaît par les génies de Soljenitsyne (1) ou de Grossman (2) l’aboutissement de cette prophétie dans la géographie de l’archipel du Goulag et dans les exactions du stalinisme...

Troisième hypothèse : le peuple naît par une volonté générale qui s’exprime lors des consultations électorales. Il est au fondement de la légitimité de la représentativité démocratique. Reconnaissons qu’il est certes un, mais aussi fort versatile, et que là encore, cette volonté se dit en plusieurs sens : le peuple, c’est le peuple de gauche, plus le peuple de droite... Jamais vraiment réconciliables. L’alternance, c’est justement ou l’un, ou l’autre dans une opposition traditionnelle, dans un rejet systématique de l’autre et sans surprise de dépassement...

On observera plutôt que dans les trois hypothèses, un présupposé n’est jamais critiqué ou même explicité : « le peuple existe ». Or, rien n’est moins sûr. Et si le peuple était une création artificielle des propagandes, une métaphore symbolique des idéologies, ou un effet du pouvoir démiurgique de la figure charismatique ?

Le premier cas ne nécessiterait guère d’argumentation tant il suffit de regarder les journaux télévisés ou les émissions politiques pour s’en convaincre. Tous les hommes politiques, qui, à un moment ou à un autre, prononcent la phrase fatidique « les Français savent bien que... » savent pertinemment que les Français ne savent pas, puisque pour vraiment savoir, il faudrait faire partie du sérail, ce qui est par définition limité au petit nombre des élites. Mais en attribuant le savoir aux Français, ils ne construisent pas tant un savoir qu’ils ne font naître des Français.

Ensuite, le peuple est symbole, ou représentation investie par des valeurs, qui renvoie à autre chose qu’à lui-même. Il est avant-garde de la révolution. Il est génie de la nation. Il est identité profonde d’une race, etc. On sent ici qu’il s’efface assez rapidement derrière la valeur qu’il est censé incarner, avec le déchaînement de violence que l’histoire nous a montré quand seules les idéologies gouvernent. Et il le paie très cher. Il est sacrifié au nom de la Révolution qui allait lui apporter le bonheur, trompé au nom de la Nation qui allait lui révéler sa place dans le monde, rendu sanguinaire au nom de la Race qui lui fixait un destin. Dans les filets de l’idéologie, le peuple reste prisonnier d’une transcendance, qui l’instrumentalise.

Enfin, il est la matière que crée le leader à partir de l’idée qu’il en a. « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France », disait la dernière de nos grandes figures charismatiques. C’est précisément à partir de cette idée que naît un peuple... et cette idée se forge aussi peu à peu dans les périodes troubles, dramatiques ou tragiques de l’histoire quand le leader le dessine dans le trouble, le drame ou la tragédie, toujours avec sa vision, prélude ou esquisse d’une grande coïncidence entre les individus et celui qui retraduit leurs aspirations, qui les élève au-dessus d’eux-mêmes. Un homme, des Français, une élection, nous rabâche-t-on d’une manière éculée ; certes, mais l’on est encore loin d’un président, un peuple, un choix. Nous vivons cette période comme celle de l’attente d’un peuple, c’est-à-dire de l’attente de la fabrication d’un peuple. Bref, le nôtre. Et cette espérance figure comme une ligne de fuite...

1- Alexandre Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch, Collection 10-18.

2- Vassili Grossman, Vie et destin, Le livre de poche.


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7 réactions à cet article    


  • (---.---.37.71) 21 février 2007 13:16

    Le peuple existe, puisqu’il à tuer 6,5 millions d’allemands en 40, et pas mal aussi en 14/18, mis à feu et a sang l’Europe sous la Révolution, etc...


    • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 21 février 2007 14:06

      Excellent article qui détaille les différentes acceptions du terme de peuple avec une grande finesse.

      Le problème que pose cette pluralité d’acception est que si cette idée de peuple est un idéal éminemment discutable en ses diverses, voire contradictoires, significations , il est vécu comme nécessaire à la vie publique afin de forger une solidarité de destin indiscutable dans la conscience d’une population diverse (multiple) aux intérêts opposés.

      Il convient donc de se demander si ne s’exprime pas au travers de cette notion, malgré et/ou plutôt à cause sa confusion apparente, une idée métaphysique en tant que fondement de la politique : celle-ci suppose, en effet, une unité introuvable pour exiger de chacun qu’il se soumette à ce qui est désigné par les autorités qui s’en réclament comme l’intérêt général.

      Sans peuple, pas d’intérêt général, et, sans intérêt général, pas de vie politique possible, ni pouvoir central ordonnateur, semble-t-il.

      Poser une notion de peuple comme fondement du vivre ensemble serait donc la part de religieux ou de transcendance unifiante (peuple d’un même Dieu pour tous ceux qui croient en lui) irréductible que pose toute collectivité politique pour justifier ce qu’elle exige de chacun en vue de la pérennité d’un ordre social pacifique, sinon cohérent.

      Mais c’est aussi, face aux résistances et oppositions voire aux menaces que génère la multiplicité des populations concrètes, poser la notion symétrique et indissociable d’ennemi du peuple intérieur et/ou extérieur et du coup faire le lit de l’exclusion, de la guerre civile ou extérieure, voire du massacre purificateur et sacrificiel que génère l’idée de pureté ethnique.

      On peut alors se demander si la démystification de cette idée en tant qu’elle serait de l’ordre d’une illusion (ou idéal inaccessible qui est prise pour une réalité existante et donc une vérité) dangereuse ne serait pas la fin de la politique comme communauté de destin. Peut-on, alors penser la multiplicité les électeurs comme source d’une politique individuelle et conflictuelle sans pour autant verser dans le chaos infra-politique et la guerre de tous contre tous ?

      Il me semble que oui, mais au prix d’un abandon de taille : celui de la politique qui vise à forger un peuple héroïque dans lequel chacun se valorise en s’identifiant aux autres. La politique sans peuple, mais non pas sans électeurs en démocratie , se contenterait de gérer pacifiquement , c’est à dire avec le moins d’injustice possible au regard des droits de chacun et des moyens de les exercer, les conflits entre les individus et les populations.

      C’est, me semble-t-il, ce qui est au coeur de l’évolution de nos démocraties en voie d’ouverture à la mondialisation ; ce qui ne va pas sans résistance violente venant des pôles théocratiques ou social-nationalistes de la pensée religieuse populiste.

      Comment alors pacifier ce qui est un conflit par nature violent dès lors qu’il fait de la violence la seule manière de s’opposer par la terreur à d’un individualisme pluraliste démocratique paradoxal qui substiturait à l’idée de peuple celui d’électorat à jamais désuni et versatile ?

      C’est le problème qui nous est posé aujourd’hui face à la violence terroriste à prétention tout à la fois révolutionnaire et réactionnaire.

      Lire sur AV l’article que j’ai publié et d’autres sur le même thème (chercher dans les pages des auteurs à sylvainreboul) L’idée de peuple contre la démocratie


      • Marsupilami Marsupilami 21 février 2007 14:29

        Excellent article, bien venu en cette période mais qui n’aura probablement pas un très grand retentissement... populaire.

        Je suis globalement d’accord avec le commentaire de Sylvain, à ceci près : le peuple en tant que collectivité nationale ou autre est certes une construction mythique et irrationnelle, mais il s’agit néanmoins d’une illusion réaliste, puisqu’elle naît de conditionnements socioculturels communs couplés à un spontané et rassurant besoin d’identification à une collectivité normative auquel bien peu cherchent à se soustraire. Ce besoin est certes irrationnel, mais l’irrationnel est au cœur de l’Homme, et aucun philosophe ne changera jamais cet état de fait que les populistes connaissent très bien.

        Voilà. C’était mon petit impair des peuples...


        • (---.---.37.71) 21 février 2007 14:43

          Le peuple (populus) , c’est l’ethnie française, rien de bien magique la dedans.

          Bien sur cette race est un peu contaminé par de l’ADN importé, mais c’est une autre question.

          S’imaginer que les français ne sont pas conscient de leur lien raciaux, c’est ne rien comprendre à l’émergeance du FN, qui lutte justement contre ceux qui ont oublié leur origine, ou la nie, on ne sait pourquoi.

          Quand au tier etat, à la populace, au plebs, (tous ca c’est pareil) ca n’a rien a voir.

          Prétendre que l’ethnie française n’exise pas, c’est comme de prétendre que l’individu n’existe pas, ceux à quoi se sont employé les intello pendant les année 60 et 70, sans aucun succé : Des conneries d’intellos.


          • LE CHAT LE CHAT 21 février 2007 17:07

            c’est le peuple qui a raison « vox populi ,vox dei »


            • (---.---.37.71) 21 février 2007 18:13

              Oui, mais lequel ? Senatus Populusque, ou populace des cité ?


            • (---.---.94.180) 22 février 2007 08:57

              Nornor can you hear me ?

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