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La réforme des collectivités territoriales ou le joug de l’Etat nouveau

Derrière le pétillement du vin nouveau se dresse aujourd’hui le postillonnage de l’Etat nouveau, l’Etat des Préfets, l’Etat des collectivités territoriales transformées en simples chambres d’enregistrement des décisions, la fin de la ruralité en tant que composante à part entière de l’Etat français.

Occultée par les manifestations contre la réforme des retraites, fort peu relayée par les médias, cette réforme de collectivités territoriales passe à peu près inaperçue du grand public. Et pourtant. La décentralisation de 1982 avait porté la démocratie au coeur des territoires. Les Conseils Généraux et Régionaux ont fortement facilité, notamment en milieu rural, l’émergence d’actions directes ou via le tissu associatif favorisant le développement local. Les choix politiques impactant directement les habitants étaient pris localement par des gens que l’on pouvait rencontrer. Bien sur rien n’est parfait, le fameux mille-feuilles institutionnel n’est pas nécessairement le plus efficace et les coûts de fonctionnement plus élevés mais il n’a jamais été dit que la démocratie ne coûterait rien.

Ces inconvénients sont officiellement à la base de la réforme voulue par ce gouvernement, maisi l’objectif réel est la reprise de contrôle des territoires, l’élimination des contre-pouvoirs et la fin de la ruralité – sans doute pas assez bling-bling. Il est vrai que les paysans du coin portent rarement une Rolex.

Les changements notables seront la transformation des quelques 5 660 conseillers généraux et régionaux en 3 471 conseillers territoriaux siégeant au niveau départemental et régional, l’obligation pour toute commune d’intégrer une communauté de communes (il existe encore 2600 communes autonomes, les “villages gaulois” du système français), une taille minimale de 12 000 à 15 000 habitants par intercommunalité (les plus petites devront se “désagréger” et leurs communes intégrer les intercommunalités voisines, ceci au plus tard pour juin 2013). Il sera impossible de créer de nouveaux Pays, même si ceux qui existent déjà pourront continuer à fonctionner si leur membres le désirent.

Le projet prévoit par ailleurs la création d’une nouvelle structure pour les zones urbaines de plus de 500 000 habitants, la “métropole”. Cette métropole se substituera sur son territoire aux collectivités préexistantes (communes, communautés et Conseil général) et percevra la totalité de la fiscalité locale et des dotations de l’État sur son territoire, sauf la taxe foncière.

Jusque là, pourquoi pas. Mais les choses se corsent quand on aborde la question des compétences. Actuellement les niveaux départementaux et régionaux, outres les compétences obligatoires (dites d’attribution) qui mangent l’essentiel de leurs budgets (services sociaux, voirie, collèges et lycées, etc..) disposent néanmoins d’une compétence générale leur permettant d’agir peu ou prou sur les secteurs ne relevant pas de leurs compétences obligatoires. Cette latitude permet de multiples financement croisés entre les différents niveaux au profit d’une même action (telle réhabilitation financée à 30% par la région, 30% le département, 30% la communauté de communes et 10% la municipalité locale, par exemple).

La réforme faisant que la seule compétence générale restera au niveau de l’intercommunalité, ces financements croisés seront dès lors interdits, à chaque niveau de se débrouiller. Qui plus est, l’exercice de la compétence générale sera soumis à l’approbation du préfet qui validera, ou pas, les décisions de financement ! L’Etat va donc s’immiscer jusque dans les décisions démocratiques des conseils municipaux et intercommunaux.

Exceptions à la règle, le sport et la culture qui, ne faisant partie d’aucune compétence obligatoire, pourront être financés par les différents niveaux – toujours sous le contrôle préfectoral. Et s’ils en ont les moyens, car la camisole de force financière constitutive du fait de la perte de leur principale source fiscale (TP) par les collectivités aura (et a déjà, en grande partie) transformé les élus en simples chambres d’enregistrement des décisions de l’Etat, les dotations étant dimensionnées afin de couvrir – après dégraissage annuel – les dépenses liées aux compétences obligatoires. On peut s’attendre à ce que les autres sources de fiscalité encore à leur portée, notamment la taxe foncière, subissent de conséquentes augmentations.

En fait financièrement parlant il s’agit ni plus ni moins d’appliquer la RGPP aux collectivités territoriales. Outre l’aspect financier, pour le gouvernement cette réforme bénéficie la démocratie du fait de l’élection directe des conseillers territoriaux au suffrage universel, mais les nouvelles contraintes institutionnelles et financières rendront ces conseillers essentiellement inopérants de toute manière.

Pour Claudy Lebreton, Président de l’Association des Départements de France, je cite :

“… force est de constater que l’oeuvre de simplification et de modernisation de nos institutions locales annoncée par le Président de la République a échoué. Ce texte complexifie au contraire notre organisation territoriale. De l’aveu même des deux présidents des assemblées parlementaires, il est devenu « inapplicable ».

Il contient en l’état plusieurs dispositions extrêmement dommageables pour les collectivités territoriales qui subiront à un moment ou à un autre les effets de cette réforme conçue à la hâte et sans consultation approfondie.

Dans ce contexte, la création du conseiller territorial vise, sans le dire, à favoriser une fusion à terme des départements et des régions comme le martèle Jean-François COPÉ. Ce processus de rapprochement est une erreur qui va rendre improbable la gestion quotidienne de ces deux échelons institutionnels aux responsabilités bien différentes.

Enfin, la quasi suppression de la clause générale de compétence pour les régions et les départements (et par prolongement l’encadrement drastique des financements croisés) met en cause l’efficacité des politiques menées par ces collectivités. Elle fait fi de l’exigence de solidarité territoriale qui caractérise leur action et de la nécessité de préserver le maillage de services publics locaux développé patiemment au fil du temps.”

Fin de citation.

Pour conclure cette description certes sommaire de la réforme en cours, on peut voir que les grosses agglomérations y trouveront sans doute leur compte (autonomie politique et financière accrue) dans une logique de compétition réglementaire et fiscale. D’ailleurs les élus socialistes maires de grosses agglomérations sont tout à fait d’accord avec ce volet-là de la réforme. Par contre les territoires ruraux sont de facto mis sous la houlette préfectorale et sont destinés à servir de grenier à blé et de réserve indigène pour urbains en quête d’exotisme. 

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11 réactions à cet article    


  • Michel DROUET Michel DROUET 13 octobre 2010 16:07

    Si l’on fait abstraction des débats politiciens autour de ce projet (et il y en a), on constate le peu d’empressement des parlementaires de tous bords pour voter un texte qui les priverait des joies du cumul des mandats.
    Pour ma part, je persiste à penser qu’il y a un niveau de collectivité en trop dans le paysage (le Département en l’occurence).
    Depuis plus de vingt ans on a créé des collectivités territoriales décentralisées et des structures intercommunales (Communautés, Pays, Syndicats) qui sont devenues autant de féodalités que se disputent les partis politiques.
    Cela coûte cher car les politiques mises en oeuvre le sont parfois dans le but de créer des obligés pour les éléctions locales et ne répondent pas toujours à des besoins criants de la population.
    On a créé ainsi toute une bulle économique (dans le B.T.P., notamment)
    L’Etat diminue actuellement les subventions versées aux collectivités. Celle ci doivent actionner de plus en plus souvent le levier de l’impôt pour pouvoir continuer à tenir leur rang.
    Jusqu’à quand pourra-t’on continuer dans cette voie ?.
    Il devient urgent d’organiser l’intégration des départements dans les régions et de favoriser le regroupement des intercommunalités pour atteindre un seuil critique (une communauté de communes de moins de 5000 habitants est-elle viable ?)


    • George Taylor George Taylor 7 avril 2011 08:46

      Je ne partage pas votre point de vue quant à l’existence d’un niveau de trop : tous les pays comparables (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pologne) ont une administration territoriale à trois niveaux. Le problème en France est la concurrence stérile entre régions et départements qui découle de la trop grande proximité entre les 2 collectivités : 4 départements par région en France contre 25 kreis par Land en Allemagne. Plutôt que de les fusionner, une piste consisterait à les éloigner en élargissant les régions à un niveau comparable aux laender allemands et en divisant les départements les plus peuplés.

      C’est plutôt au niveau microlocal que des suppressions sont à envisager. La France compte 57 797 structures locales (communes, EPCI), soit une pour 1 132 habitants, un cas unique en Europe, et ce sans compter 26 792 sections de communes héritées de l’Ancien régime....


    • Login 13 octobre 2010 16:15

       Simplifier, oui en étendant l’autonomie et les compétences des territoires et non l’inverse !

      • georges94 13 octobre 2010 16:57

        Cette réforme ne va pas assez loin.
        Plus on diminueras les compétences des collectivités territoriales et mieux ce sera.
        Celà permettra de mettre fin à la gabegie avec nos sous.
        Comme cette piste cyclable réalisée près de chez moi qui a couté 700 000 euros et qui est impraticable vu la pente ( dixit une personne qui va travailler à vélo tous les jours).
        D’ailleurs j’ai toujours trouvé curieux qu’on fasse la décentralisation à un moment où elle ne servait plus à rien vu les moyens de communications qui commençaient à se développer et qui depuis ont pris leur essor ( TGV, Internet)
        La seule chose que ça a apporté c’est la mise en place de potentat locaux et accessoirement le rétablissement du droit de cuissage.
        Bonne journée.


        • Michel DROUET Michel DROUET 13 octobre 2010 17:24

          L’exemple de la piste cyclable illustre mon point de vue sur les travaux inutiles commandés aux entreprises de BTP uniquement pour qu’elles conservent un niveau d’activité et une rentabilité acceptable pour les actionnaires, sachant qu’en cas de baisse de la commande publique ces entreprises s’empressent de faire du chantage à l’emploi aux élus.

          Pour le reste je suis d’accord sur la notion de potentats locaux mais je ne comprends pas l’allusion au rétablissement du droit de cuissage...


        • LE CHAT LE CHAT 13 octobre 2010 23:35

          les intercommunalités permettent à des personnages douteux de se remplir les poches , mais il a au moins demandé aux gens du coins s’ils voulaient être bouffés par une plus grande métropole .
          Les gens plébicitent des structures plus proches d’eux ,assurément !


          • Tietie007 Tietie007 14 octobre 2010 07:49

            Il y a un échelon en trop, dans le paysage institutionnel français, et fondre le CR et le CG m’a l’air d’une bonne chose. Le problème des moyens financiers de cette nouvelle collectivité relèvent d’une autre problématique et la fin de la TP va être terrible !


            • Vincent Verschoore Vincent Verschoore 14 octobre 2010 12:56

              La complexité du mille-feuilles institutionnel et les manoeuvres clientélistes qu’il permet parfois de cacher sont bien sur des arguments tout à fait pertinents, malheureusement la corruption et le clientélisme se portent très bien au sein même de l’Etat donc rien ne devrait changer sauf les bénéficiaires des magouilles. Dans une optique européenne, l’échelon pivot est la région. Entre des intercommunales de 15 000 habitants et les régions, se pose clairement la pertinence du département. Ce qui m’ennuie n’est pas la simplification du mille-feuilles en soi, mais la perte du contre-pouvoir territorial (qui malgré ses défauts a au moins le mérite d’exister) vis-à-vis d’un Etat aujourd’hui indigne de confiance, violent et corrompu. Le retour du droit de cuissage préfectoral dans les zones rurales n’augure rien de bon.


              • Michel DROUET Michel DROUET 14 octobre 2010 20:35

                Le contre pouvoir territorial dont vous parlez commence vraiment à coûter très cher aux contribuables : impôts fonciers et taxe d’habitation ont augmenté de 20 à 30 % entre 2004 et 2009.
                Il ne fait aucun doute que l’Etat étrangle financièrement les collectivités locales en ce moment, mais ces mêmes collectivités ont cru que l’âge d’or allait durer éternellement et ont investi et subventionné au delà du raisonnable, souvent avec des arrières pensées électoralistes.

                Autre chose : pouvez vous m’expliquer ce que vous entendez par « droit de cuissage préfectoral » (terme également utilisé dans un autre commentaire) ?


              • Michel DROUET Michel DROUET 17 octobre 2010 09:26

                La corruption n’existe pratiquement plus et les rares imbéciles qui mettent la main dans le pot de confiture savent très bien ce qu’ils risquent.
                Cette pratique a été remplacée par le clientélisme qui consiste à faire plaisir soit à des groupes de particuliers (associations, par exemple) ou a des entreprises ou groupements (B.T.P. par exemple) en leur maintenant un niveau d’activité élevé même si l’utilité des équipements réalisés n’est pas avérée (je pense aux aménagements routiers par exemple).

                Et encore je ne suis pas certain que l’on puisse encore parler de clientélisme pour le BTP : dans ce domaine c’est le chantage à l’emploi qui pèse sur les élus.

                En conclusion plus besoin de corrompre ni même de parler de clientélisme, puisque les entreprises ont trouvé un moyen plus sûr d’arriver à leurs fins et de faire plaisir aux actionnaires en pratiquant le chantage économique : c’est beaucoup plus efficace que de donner des enveloppes pour financer les campagnes électorales.

                Le système UMP (cf affaire Bettencourt) se distingue de tout cela puisqu’il s’agit de préserver un système idéologique avant tout.


              • Vincent Verschoore Vincent Verschoore 18 octobre 2010 00:03

                @Michel Drouet

                Droit de cuissage : la droit de regard - et de véto - préfectoral sur les décisions prises par les collectivités.
                Je ne partage pas votre avis sur la quasi-disparition de la corruption au sein de l’Etat, mais j’inclus le lobbying dans ma définition de la corruption, ce que vous ne faîtes peut être pas. Et même sans corruption la bêtise et la violence de l’Etat, du sommet jusqu’au flics tabasseurs d’ados, suffisent pour considérer l’Etat comme un problème et non comme une solution.

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