La réforme des institutions votée par l’Assemblée nationale (1) : encore sur la méthode
Dans quelques jours, le Sénat va discuter du projet de loi constitutionnelle pour réformer les institutions. Après l’Assemblée nationale. Suite de ce marathon parlementaire. Première partie sur (toujours) la méthode.
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Le 3 juin 2008, avec une semaine de retard, les députés ont adopté le projet de loi constitutionnelle visant à réformer nos institutions.
C’est maintenant au tour de Sénat de s’emparer du dossier et, là aussi, au pas de charge. Il a déjà auditionné un certain nombre de personnalités dont Édouard Balladur qui fut à l’origine de ce projet de loi constitutionnelle.
Après des travaux dans plusieurs commissions, principalement celle des Lois présidée par le sénateur de Seine-et-Marne, Jean-Jacques Hyest, qui a été aussi désigné rapporteur du projet de loi constitutionnelle le 30 avril 2008 (l’Assemblée nationale avait, elle aussi, choisi le président de la Commission des Lois pour rapporter ce projet), la réforme sera discutée en séances publiques du 18 au 23 juin 2008.
Enfin, en cas d’une seule lecture, c’est-à-dire si le Sénat adopte dans le texte dans son intégralité, le Parlement réuni en Congrès sera convoqué probablement le 21 juillet 2008. Une occasion pour nos parlementaires d’envoyer une nouvelle fois (après la ratification du Traité de Lisbonne) une enveloppe premier jour de Versailles.
Avant d’évoquer les principales modifications réalisées par l’Assemblée nationale par rapport au texte gouvernemental initial, énumérons quelques éléments conjoncturels.
1. Désintérêt médiatique total du sujet
Première inquiétude qui choque tout observateur : c’est justement le très faible nombre d’observateurs. Ne cessons de marteler que le sujet des institutions est essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie.
Le faible intérêt des citoyens pour ce sujet a de quoi inquiéter, puisque cela signifie un véritable chèque en blanc (médiatique du moins) laissé aux professionnels de la politique.
2. Le peuple privé de parole
Deuxième chose également choquante, la méthode.
D’un côté, on nous dit que cette prétendue modernisation des institutions est la plus profonde depuis 1962 (l’adoption du scrutin universel direct pour l’élection du président de la République).
Et, d’un autre côté, on nous dit qu’elle va être ratifiée sans référendum, en dehors du peuple qui, pourtant, devrait se prononcer sur tout changement substantiel de ses institutions.
Sans doute l’effet irréprochable de la démocratie qu’on cherche à atteindre.
3. Aucune urgence à tout bouleverser
Troisième réflexion, l’urgence du texte. En gros, entre poire et fromage (entre OGM et modernisation de l’économie), on nous sort ce projet de loi constitutionnelle alors que la réforme des institutions est loin d’être une urgence pour la France d’aujourd’hui, même si tous les grands candidats s’étaient prononcé pour une révision constitutionnelle rapide en un an, sans doute sous l’effet d’une mode même pas demandée par l’opinion publique.
Où se trouve l’urgence ? L’incapacité à gouverner ? Je crois que le président de la République, le Premier ministre et son gouvernement n’ont de soucis que de communication interne, mais ils disposent d’une large majorité tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Parallèlement à cela, il y a de nombreux autres chantiers : retraites, modernisation de l’économie, audiovisuel public… sans compter tous les chantiers "oubliés" comme la nécessaire refonte de la fiscalité.
4. Recueil de charabias juridiques indigestes
Quatrième remarque qui augure mal de la cohérence du projet de révision constitutionnelle. Pour qu’elle soit comprise, une réforme doit être simple et claire.
Certes, l’édifice juridique actuel, de plus en plus complexe, nécessite l’écriture d’un charabia incompréhensible au profane. Le Traité de Maastricht avait déjà été critiqué à l’époque pour cela. Celui de Lisbonne aussi, mais par ceux qui avaient refusé le Traité constitutionnel européen qui, justement, avait pour but de rassembler en un seul texte, tous les traités ratifiés depuis cinquante ans.
Le charabia, c’est le fait de dire : j’annule l’alinéa 3 de l’article 15 de la loi du 31 novembre 1816, je rajoute une virgule, je le remplace par les mots « et la Communauté » et je mets au pluriel la dernière phrase.
J’exagère à peine (il suffit de lire le projet, voir en fin d’article), et cela nécessite, pour comprendre la portée de telles modifications parfois totalement mineures (comme le fait de remplacer les mots « Communautés européennes » par « Union européenne » qui n’est qu’un ravalement de surface, ou majeures (le moindre mot a son importance juridique), de connaître toutes les lois qui s’y rapportent.
Heureusement ici, en général, il suffit d’avoir sous les yeux le texte de la Constitution amendée vingt-trois fois depuis 1958 (voir en fin d’article).
5. Fourre-tout versus simplicité et clarté
Cinquième idée toujours sur la clarté. Une idée simple s’énonce simplement et chaque citoyen peut ensuite comprendre s’il est d’accord ou pas d’accord avec celle-ci.
Mais si on décide de faire de la réforme un fourre-tout que même les constitutionnalistes les plus chevronnés (comme l’ancien président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud) ne retrouvent plus leurs petits, l’irréprochabilité de la démocratie restera encore à prouver.
Un fourre-tout inquiétant dont la tumeur enfle encore après la première lecture à l’Assemblée nationale puisqu’on y a rajouté une défense des langues régionales, et quelques autres bricoles qui n’ont pour effet que de rendre encore plus confus le texte.
Une incapacité du gouvernement à rester sur l’essentiel et à élaguer le superflu.
6. Absence de réflexions approfondies
Sixième constat. La rédaction de plusieurs articles a été bâclée. Ou, tout au moins, n’a pas pris la peine d’avoir une réflexion prolongée sur sa signification à long terme.
Par exemple, le fait de vouloir rendre le président responsable de la définition de la politique de défense nationale réduisait à néant toute flexibilité en cas de cohabitation (encore possible malgré le quinquennat). Heureusement, cette disposition a été supprimée par les députés.
7. Autre chèque en blanc avec l’inconnue des lois organiques ultérieures
Septième point concernant le chèque en blanc. Il n’y a pas que le citoyen qui a donné carte blanche et qui fait sous-traiter ce sujet (en fait, il n’a pas beaucoup le choix, puisque la voie référendaire a été exclue). Il y a aussi le parlementaire.
Pourquoi ? Parce que pour de nombreux cas (plus d’une dizaine de fois), les dispositions précises sont renvoyées dans une loi organique votée ultérieurement, mais dont on n’a pas encore connaissance du contenu.
Comme par exemple les prérogatives du nouveau Défenseur des droits du citoyen. Il est clair que la dissolution de la CNIL ou du Médiateur de la République, deux institutions qui avaient fait leurs preuves, notamment la CNIL qui avait eu des habilitations spéciales, serait un recul gravissime dans la défense de nos libertés.
8. Vocabulaire équivoque
Huitième confusion. Celle du vocabulaire. Dans trois cas au moins, l’absence de définition claire de certains mots ou expressions rend complètement opaque la réforme des institutions.
Introduction sournoise de la rétroactivité de la loi
8.1. Dans l’article 11 du projet, il est explicité « Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. ». Que signifie donc « motif déterminant d’intérêt général » ?
L’excellent film de Costa-Gavras Section spéciale de 1975 (rediffusé sur France 2 le 8 juin 2008) montre à quel point l’intérêt de l’État peut être dévié (il s’agissait d’abord de décider six condamnations à mort en 1941, et de trouver ensuite les malheureux prévenus afin de les juger selon un vague formalisme juridique).
Contrairement à ce que tend à faire croire l’article, la rédaction donne désormais au contraire la possibilité à la loi d’être rétroactive. N’oublions pas la loi sur la rétention de sûreté… avec la volonté initiale du gouvernement d’être rétroactive.
Niaiseries sur les droits de l’opposition afin d’instituer un bipartisme officiel
8.2. Dans l’article 22 du projet, on parle vaguement de groupes d’opposition définis ainsi : « des groupes parlementaires qui ne disposent pas de la majorité au sein de cette dernière ». Cette dernière semble reprendre la Conférence des présidents.
Mais qu’en est-il des petits groupes (minoritaires à eux seuls donc) et faisant partie de la majorité, comme le groupe du Nouveau Centre aujourd’hui, ou celui des Radicaux de gauche à l’époque Jospin ? Seraient-ils aussi considérés comme les groupes d’opposition ?
8.3. Troisième exemple, l’article 24 du projet revient sur l’opposition en reconnaissant des droits spécifiques : « à ceux d’entre eux [groupes parlementaires] qui n’ont pas déclaré participer de la majorité de l’assemblée concernée ».
Mais de quoi parle-t-on ? Des droits spécifiques ! Différents donc ! Une sorte de nouvelle discrimination positive ?
Cela signifie d’une part que le rédacteur de cet article a oublié que le parlementaire n’a pas de mandat impératif, il a le droit de soutenir un jour et de s’opposer un autre jour. D’autre part, il va à l’encontre de l’égalité entre les parlementaires qui représentent l’ensemble des Français et pas seulement leurs seuls électeurs.
Tout cela (articles 22 et 24 du projet) n’a évidemment pour but que de formaliser insidieusement le contexte de bipartisme, qui ne peut guère déplaire au Parti socialiste.
9. Inconstitutionnalité impossible d’une révision constitutionnelle
Neuvième et dernière préoccupation : il est impossible de déclarer inconstitutionnelle une partie de la révision de la Constitution. Cela peut paraître absurde, mais considérant que la procédure de révision n’implique que ceux qui ont pouvoir constituant (à savoir le Parlement réuni en Congrès ou le peuple), le Conseil constitutionnel refusera d’étudier toute aspérité aux principes fondamentaux.
C’est à la fois logique juridiquement, rassurant politiquement (le Conseil constitutionnel n’a qu’une légitimité de gardien, pas de faiseur), mais concrètement dangereux si un Parlement réuni en Congrès vote n’importe quoi (j’ose l’écrire).
Dans les prochains articles, nous allons voir quelles ont été les contributions des députés sur le texte initialement rédigé par le gouvernement.
(à suivre)
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juin 2008)
Pour aller plus loin :
Projet adopté au Conseil des ministres le 23 avril 2008.
Projet adopté par l’Assemblée nationale le 3 juin 2008.
Constitution du 4 octobre 1958.
Autres articles sur les institutions.
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