La RTF est de retour !
On vous l’avait pourtant dit déjà dans un article humoristique sur "Comment reconnaître un dictateur". Et prévenu : "le dictateur regarde comme tout le monde les inepties de TF1 ou de FoxNews, mais il a le pouvoir de faire venir chez lui la dame qui chantait une heure encore avant dans son téléviseur. C’est toute la différence entre un dictateur et vous (cf. Maria Eva Duarte, dite Evita Peron, Carlos Menem, président-dictateur et sa femme... Cecilia, ex-Miss Univers)". Sans vouloir jouer les devins, avouez que d’apprendre hier que dame Ferrari a été sélectionnée pour remplacer l’icône médiatique PPDA sonne comme un rappel de cette évidence : la RTF gaulliste est de retour, car c’est le président de la République qui choisit et impose à nouveau son candidat. Des preuves ? Elles s’accumulent, et une presse, même muselée, commence à en évoquer les arcanes perverses.
PPDA a donc été poussé vers la sortie comme une vengeance personnelle pour crime de lèse-majesté, Ferrari préférée pour d’autres raisons, que la presse people a longuement étalées ses derniers mois, et qui ont valu un bon nombre de procès à tous ceux qui ont osé mettre le pied dans l’affaire. A l’époque, les premiers à avoir tiré étaient les Anglais..., suivis de Bakchich, qui avait été bien plus prudent que d’ordinaire pour cette fois-là. De toute manière, certains savaient déjà tout d’elle : elle venait en décembre 2006 de se faire elle aussi cambrioler son ordinateur ainsi que celui de sa société de production, avec son agenda et tous ses contacts. Le syndrome déjà évoqué ici et dénoncé par Ségolène Royal chez Drucker. Etrange épidémie...
Que les Français ne s’en aperçoivent pas est plus grave encore : on vient en deux coups de cuillère à pot de replonger dans la télé de papa, avec le téléphone présidentiel sur le bureau, la ligne directe vers l’Elysée, via Ferrari interposée. Depuis hier, le spectre de Peyrefitte hante à nouveau les couloirs de TF1 et de France 2, qui n’échappe pas plus à la reprise en main avec un De Carolis prié de suivre lui aussi les directives. Alors qu’on célèbre les 40 ans de Mai-68, avouez que ça peut rester en travers de la gorge des démocrates qui ont vu dans la période des purges de l’ORTF un grand moment d’autoritarisme gaulliste. "La télévision doit faire voir"... disait à l’époque Peyrefitte... ce que le pouvoir souhaite seul montrer, pouvait-on sous-entendre. Le robinet à propagande s’ouvre donc à nouveau en grand. Le reste n’est que billevesées. "Radio-Paris est à nouveau allemand, Radio-Paris ment" résonne à nouveau dans les couloirs de Radio-France ou des chaînes publiques. Le hic, c’est qu’il n’y a plus de Pierre Dac pour dénoncer la propagande éhontée d’un pouvoir omniprésent. La belle choisie a beau avoir montré jusqu’ici une forme de respectabilité journalistique, sa nomination surprise et rapide est entachée d’un sérieux doute sur les pressions subies pour prendre le poste. Dont celles de l’Elysée.
On vous avait prévenu : ce gouvernement charrie des méthodes empruntées à quelque chose de connu historiquement. Ma conclusion d’octobre 2007 reste la même : "Pourquoi le pouvoir actuel souhaitait tant glorifier la Résistance auprès des écoliers comme de tous les Français : pour éviter de parler d’un régime qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui est en train de se mettre en place". La première preuve, nous l’avions déjà le lendemain même de l’élection, avec la nomination de Laurent Solly, ancien directeur adjoint de la campagne présidentielle de Sarkozy, à la direction générale de TF1. Le lendemain même, indiquant une volonté manifeste de reprise en mains ! Et une volonté affichée de créer l’information et non de la subir : "La réalité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte", affirme-t-il alors. Autre détail à ne pas minimiser concernant le personnage : il est aussi le PDG de la chaîne Histoire, dont le directeur général n’est autre que Patrick Buisson... le "conseiller officiel" invisible, mais bien présent de Nicolas Sarkozy, ancien rédacteur de Minute et du Crapouillot, directeur de campagne en 1995 de De Villiers, et auteur de deux ouvrages mémorables. Le premier sur l’OAS, écrit à deux mains en compagnie de Pascal Gauchon (l’ancien secrétaire général du Parti des forces nouvelles ou PFN), et un ouvrage sur l’érotisme durant les années 1939-1945, prétexte non pas à critiquer Vichy et son catholicisme borné, mais plutôt à saluer les seuls à pouvoir bénéficier des spectacles osés de l’époque : les Allemands et les collaborateurs. Buisson est bien plus droitiste que le pétainiste moyen et le fait savoir. Le Monde du 16 mai 2008 en fait ainsi la critique : "Car à quoi ressemble l’Occupation que nous dépeint Buisson ? Ni plus ni moins qu’à une gigantesque orgie. Pétain ? Un vieillard libidineux. Ses ministres ? Des libertins déguisés en pères la morale. L’Hôtel du Parc ? Un lupanar. Les auberges de jeunesse, les Compagnons de France et les Chantiers de jeunesse ? Des "repaires de débauche". Pas autant toutefois que les cinémas : à suivre l’auteur, pour qui la sulfureuse correspondance entre Montherlant et Roger Peyrefitte n’a pas de secret, on en vient à se demander comment les spectateurs ont pu sortir sains et saufs de ces hauts lieux de la "chasse pédérastique"... Voilà qui aurait dû être proposé comme sujet au patron de TF1 international, tiens, Patrick Binet, auteur présumé le 18 avril d’un meurtre par "homicide involontaire", après une soirée fine réunissant "Fabrice Lesueur, un Américain d’une quarantaine d’années et un chef de publicité d’un quotidien national", nous dit Le JDD. Lesueur, qui est retrouvé mort est chef du bureau du cabinet de la ministre de la Culture, Christine Albanel ! Au petit matin, les communiqués s’emmêlent les pinceaux et l’affaire vite passée à la trappe. Pas un mot... sur TF1, mais pas beaucoup plus chez les confrères...
Elle est entre de bonnes mains, la chaîne française de l’Histoire... gérée par un individu auteur aussi d’un Sacha Guitry et ses femmes. Une admiration pour un homme toujours en représentation, réputé misogyne, pourtant entouré constamment de femmes et marié 5 fois... et qui a déclaré un jour envers lui-même n’être qu’un faiseur. "Illusionniste né, vite il m’est apparu qu’au mépris des coutumes et de conventions j’avais pour seule mission de plaire à mes contemporains..." Toutes qualités qui font énormément penser à un autre mégalomane qui ne cherche lui aussi qu’à plaire aux foules (ou aux femmes). A savoir que Guitry avait été emprisonné soixante jours à la Libération pour collaboration, mais que les charges retenues contre lui s’étaient toutes évaporées. Pour mémoire également, Buisson, collaborateur de LCI, y avait créé 100 % politique avec un certain David Pujadas... Lors de sa remise de la Légion d’honneur des mains présidentielles, en septembre 2007, en saluant l’homme et sa "culture" (?), Nicolas Sarkozy affichait en souriant sa vision purement manichéenne du journalisme : "Et si les convictions de Patrick le portaient à droite, cela ne ferait qu’équilibrer ceux que leurs convictions portent ailleurs". Décomplexé, ça s’appelle, mais ça fait peu de cas de la conscience journalistique. En oubliant que sur la chaîne Histoire, seule la droite musclée est représentée (et, ça, ça se sent sérieusement dans la grille des programmes !).
L’histoire de cette reprise en main musclée de la télévision n’est donc pas anodine, et elle est à conter dans le détail. Elle n’est que le choc de deux ego, à défaut d’être l’œuvre d’un dictateur audiovisuel. L’histoire commence le 20 juin 2007, à peine élu, PPDA, sélectionné pour s’entretenir avec le nouveau maître de l’Elysée (sur place, c’est une première !), s’enhardit soudainement et lui balance une phrase assassine qui laisse tout le monde pantois (se positionner à 7 minutes 26 du défilement) : « En parlant d’un autre sommet, celui du G8, on vous a vu très à votre aise avec les différents chefs d’Etat ou de gouvernement, presque même un peu excité comme un petit garçon en train de rentrer dans la cour des grands ». Phrase terrible, inimaginable auparavant de la bouche d’un journaliste qui n’avait jamais brillé par son opposition, et qui irrite au plus haut point : "Petit garçon, franchement à 52 ans, c’est parce que vous avez quelques mois de plus que moi que vous dites ça, M. Poivre d’Arvor", avait répondu un Sarkozy profondément et visiblement vexé et qui le montre "Oui bien sûr M. Poivre d’Arvor, c’était même un compliment". Lui faisant clairement et habilement comprendre que la retraite avait sonné pour lui ! Personne ne comprend alors l’attitude de PPDA. Pas même sa colistière d’interview, un peu effarée par le contenu de la question... à moins qu’elle n’ait rien saisi du tout. En tout cas, la réponse est cinglante, et vise automatiquement la personne... et son âge avancé.
Ce jour-là, PPDA ne le savait pas encore, mais il venait de perdre son poste, lui qui avait claironné partout ne pas partir avant 2012. Le couperet présidentiel tombé à l’instant même, ne reste plus qu’à trouver un remplaçant (ou une remplaçante) qui plaise à sa majesté, et le roi songer à puiser en priorité dans sa propre cour : au royaume de Sarkozie, c’est un peu Ridicule tous les jours, c’est bien connu. PPDA, en réalité, s’était déjà mis à dos le roi de Sarkozie en refusant l’arrivée d’un proche, Nicolas Beytout, en provenance du Figaro, à la tête de la rédaction de TF1. Et se mettra à dos à d’autres reprises le nouveau roi des médias en posant des questions indiscrètes un peu plus tard sur sa vie privée, ce qu’un Pujadas, l’adjoint de Buisson, ne se serait pas permis, lui qui avait poursuivi le candidat le soir du premier tour de l’élection présidentielle, dans les conditions de celle du vainqueur du deuxième tour de 2002. Un fort mauvais remake. Quant à savoir quelle mouche avait bien pu piquer PPDA, c’est simple, c’est une... vengeance pure et simple ruminée depuis plus de six mois : le 23 novembre 2006, Sarkozy avait balancé une amabilité après l’interview de Ségolène par ce même PPDA, qui était restée en travers de la gorge de ce dernier : « J’ai regardé le journal où vous l’avez interviewée : enfin, interviewée , c’est un grand mot... » ... A partir de là, c’est un simple problème d’ego : celui de Poivre est aussi démesuré que celui de Nicolas, et le premier va ruminer sa vengeance... Six long mois, avant de la ressortir bien salée : il n’a pas à recevoir de remontrance de la part d’un "petit garçon", fût-il président, et le fait clairement savoir : il n’en a plus grand-chose à cirer, et même peut y gagner au contraire. PPDA, jugé falot et sans mordant toute sa carrière le devient au moment où on lui tend la porte : génial, ça lui permet de sortir tête haute de la rédaction, tant un livre assassin l’avait éreinté ces derniers mois. Et lui de proposer ses services automatiquement à l’adversaire médiatique au sortir d’une loge de Roland-Garros. PPDA de retour sur France 2, et c’est TF1 qui est torpillé, et le président berné. Gageons que, là encore, le téléphone élyséen va chauffer sec chez De Carolis.
Pour choisir son remplaçant, on ne doit pas chercher chez la direction de TF1, mais bel et bien à l’Elysée même et chez Sarkozy en personne, qui n’en est pas à son coup d’essai dans le genre : souvenez-vous du cas Roselmack. Le 17 février 2006, Nicolas Sarkozy, alors simple ministre de l’Intérieur énonce devant le club Averroès, qui milite pour la promotion des minorités, une phrase étonnante. "Grâce aux liens qui me rapprochent de Martin Bouygues (PDG du Groupe Bouygues, propriétaire de TF1), je sais qu’il y aura un Noir au 20 heures de TF1 cet été", dit-il, sur de son effet auprès de son auditoire : le cas ne s’est jamais présenté en France, alors.... tout le monde reste bouche bée. Ironie du sort, c’est chose faite un mois plus tard à peine, Roselmack remplaçant Thomas Hughes, alors toujours marié à... Laurence Ferrari, pressentie sur le départ car jugée par TF1 trop mordante lors d’une interview de... Nicolas Sarkozy, datant du 30 octobre 2005. Elle avait conclu ce jour-là par un "c’était Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur et candidat à la présidentielle 2007" alors que l’homme ne s’était pas encore officiellement déclaré ! Etiquetée aussitôt "pugnace", on craint pour son avenir. Or, à bien regarder, des petits malins avaient déjà noté quelques accointances entre journaliste blonde et pouvoir, en l’occurrence à l’époque... De Villepin. Elle-même rencontrera sur les plateaux de télévision à deux reprises Sarkozy. La première fois au Forum Elle, en avril 2007, où le candidat UMP avait débité un discours bien anodin sur la parité et les femmes. Comme tentative de séduction, il y avait mieux. La seconde à Canal+, toujours en avril 2007... où Sarkozy s’était fendu d’un "j’ai toujours combattu Jean-Marie Le Pen" et martelé même un "je crois être l’homme politique qui a le plus affronté Jean-Marie Le Pen". Et annonçait sans sourciller qu’il n’y avait pas de chômage en Angleterre (pour dire vingt minutes après qu’il en y a 4 % quand même) et aux Etats-Unis non plus. Sans oublier de rappeler qu’"il y a un gigantesque problème de pouvoir d’achat " en France. Sans savoir qu’il allait s’y enferrer quelques mois plus tard. Bref, pas de quoi grimper aux murs. Jusqu’à un surprenant "il y a une proposition qui me plaît bien dans votre programme", affirmé soudain par Laurence Ferrari. "Celle sur la parité des femmes". Et là, ça se voit, le ton change : elle paraissait pugnace, mais à bien regarder elle est déjà subjuguée et littéralement sous le charme. Une impression visible, et vérifiée par les présents sur le plateau. Le reste, les journaux "people" se jetteront dessus. Le président devra attendre le 19 octobre 2007 pour obtenir son divorce. A la Toussaint, entre la Corse et le Tchad, le président s’offre une escapade à Marrakech. Le 17 décembre, des photos circulent du président à Disneyland... avec Carla Bruni., rencontrée lors de la présentation du rapport Olivennes le 23 novembre.
Aujourd’hui, lassé sans doute de faire la bise à Arlette Chabot et de serrer la pince à PPDA, notre omniprésent s’offre une blonde dans son téléviseur. "Selon nos informations, lors d’une récente réunion, Sarkozy a publiquement fait part de son souhait que Laurence Ferrari prenne les manettes de la grand-messe de la Une", indique Libération. Deux coups de fil plus tard, la belle, toujours divorcée, annonce à son employeur (Canal+) qu’elle le quitte. Paris vaut bien une messe, et la grande messe du 20 heures vaut bien... la satisfaction immédiate des désirs présidentiels. La RTF est de retour, comme à ses plus belles heures. On peut remettre sur les téléviseurs la grille de réglage en noir et blanc, et attendre le retour du prochain Léon Zitrone. Nicolas Sarkozy nous avait promis un futur, on ne savait pas que c’était un futur antérieur.
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