La rupture... des tabous en tout genre !
Vous avez remarqué ? La légitimité électorale et la popularité de Nicolas Sarkozy ont conduit son gouvernement (enfin lui, quoi...) à pousser encore plus loin les limites du débat, parfois à des niveaux insoupçonnés... Le dernier en date : le député du Var Thierry Mariani a proposé un projet de loi consistant à effectuer des tests ADN sur les immigrés en situation régulière qui souhaitent un regroupement familial, pour vérifier la paternité de ces enfants. Après la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, une fois encore, les positions de la droite française créent la polémique, sous prétexte qu’il faut « briser les tabous dans la société française ». Doit-on s’en affoler ou au contraire est-ce une bonne chose pour notre société ?
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Ca avait déjà commencé durant la campagne du candidat Sarkozy : 35 heures, heures supplémentaires, régimes spéciaux, immigration clandestine, j’en passe et des meilleures. Selon lui, il fallait "briser les tabous" et aborder les "vrais" sujets, ceux qui fâchent en France, et qui enlisent le pays depuis trop longtemps. Et apparemment, il a eu raison de mettre ces sujets sur le débat national, puisqu’il a remporté (en grande partie) les élections présidentielles sur ces sujets. Et il avait sûrement eu raison d’aborder ces problématiques, puisque ce sont de vrais sujets de société, qui inquiètent les Français et méritent au moins d’être débattus et, au plus, d’être traités de la façon la plus juste qui soit.
Après un peu plus de 100 jours de mandat, la rupture Sarkozy a au moins réussi une chose : celle de briser les tabous les uns après les autres ! Puisque se sont succédé sur le devant de la scène, parfois de façon involontaire (rappelez-vous Laurent Fabius qui pressa Jean-Louis Borloo d’avouer qu’ils envisageaient de mettre en place une TVA sociale le soir du premier tour des Legislatives) des sujets aussi divers que la pénalité des criminels jugés irresponsables, l’internement et le soin des délinquants sexuels, voire le rétablissement de la peine de mort pour les pédophiles (comme Nicolas Sarkozy l’aurait sous-entendu au père du petit Enis, violé par un récidiviste au mois d’août dernier), ou encore la légitimité de l’argent et de la richesse.
On ne peut pas reprocher au président de la République de vouloir mettre en avant des sujets qu’on n’abordait pas jusqu’à présent, et de vouloir prendre en compte l’existence de ces problèmes (surtout que des gens sont "victimes" du flou artistique qui entoure ces sujets tabous). Cependant, son grand défaut est de toujours vouloir passer en force. Légitimé par un état de grâce (justifié) par son succès électoral, il pense que ces sujets ne nécessitent pas de discussions. Or, Nicolas Sarkozy n’a pas été élu sur ces problématiques, et son électorat (très varié, de l’ouvrier au chef d’entreprise) ne veut peut-être pas en entendre parler (c’était le cas de la TVA sociale par exemple), mais de débat, point question. Et ce n’est pas parce qu’on a été élu à 53 % et qu’on a une large majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat qu’on a le droit de passer outre le débat avec l’opposition (aussi fébrile et inexistante soit-elle). D’ailleurs, il risque de se retrouver avec un mouvement social sur un sujet pourtant plébiscité par les Français (plus de 80 % des Français sont pour), la réforme des régimes spéciaux, tout simplement parce qu’il veut passer en force, sans débattre des questions et de la façon de procéder (alors que tout le monde est d’accord, à droite comme à gauche, pour dire qu’il faut absolument faire quelque chose).
Son deuxième danger est d’aborder de façon un peu trop brutale, sans aucune nuance et sans recul, des problèmes très complexes et qui apparaissent comme des acquis de longue date des droits de l’homme. Je pense notamment à sa volonté de faire juger les tueurs considérés comme irresponsables, simplement pour que les familles puissent faire leur deuil. Nicolas Sarkozy confond émotion et raison, qui sont deux concepts complètement opposés, surtout quand on est à la fonction suprême de la République. Comme disait son prédécesseur guignolisé, "il faut raison garder". Sur ce point précis, le président de la République a encore beaucoup à apprendre apparemment.
D’abord, il faut savoir que ces personnes passent devant un juge, avec les experts qui se succèdent et une décision finale de la justice française, qui estimera ou pas si un procès en bonne et due forme aura lieu. Pourtant, ces accusés ne sont pas aptes à comprendre ce qu’on leur propose. Ensuite, il faut savoir que ce genre de débat dans le pays de prédilection de Nicolas Sarkozy (je veux parler des Etats-Unis) ferait un tollé, car même si le système judiciaire américain est loin d’être parfait (loin s’en faut), ne pas être jugé quand on est considéré comme inapte psychologiquement fait partie d’une avancée majeure de la justice. Le président de la République veut trop jouer sur la corde sensible des Français, mais sur ces sujets, on ne peut pas agir dans l’émotion, sans réfléchir au calme. M.Sarkozy réagit cependant toujours à chaud, dès qu’un fait divers fait la une des journaux...
Le troisième danger que risquent Nicolas Sarkozy et son gouvernement à trop vouloir briser des tabous juste pour le principe qu’ "il n’y a pas de tabous à avoir", est de voir les députés UMP se sentir "pousser des ailes" et vouloir proposer des projets de lois tels que celui de M. Mariani. Car le problème majeur de Nicolas Sarkozy politiquement (qui risquerait d’ailleurs de lui compliquer la tâche dans le futur) est qu’il y a autant de courants différents à l’UMP que de choix de couleurs pour une Twingo ! Il y a les libéraux, les ultralibéraux, les modérés, les gaullistes, les ultraconservateurs, les progressistes, les blairistes, les sociaux-libéraux, les chrétiens-démocrates-radicaux, etc. Sans parler du Nouveau Centre et des Socialistes ralliés au panache blanc sarkozyste ! Et le président de la République ne pourra pas contenter tous ces courants. S’il privilégie les plus progressistes sur un sujet sociétal (le mariage gay par exemple), il va se mettre à dos les ultraconservateurs et les chrétiens de son parti. A l’inverse, s’il décide de soutenir une politique libérale, il va mécontenter totalement les plus sociaux de l’UMP (comme sa ministre Christine Boutin).
Et le plus difficile pour lui, c’est qu’il a dans son parti une brochette d’ultraconservateurs, souvent élus depuis plusieurs décennies (Didier Julia est député depuis 1967 !) et aux idées réactionnaires, parfois à la limite du pétainisme (l’aspect "positif" de la colonisation, c’était eux). Ils sont souvent homophobes (Christian Vanneste condamné pour propos homophobes l’an dernier), machistes et démagogiques (la licence globale, c’était aussi eux). Pourtant, ils restent un courant influent à l’UMP et souvent proposent des projets de loi qui font scandale, à défaut de faire débat (parfois on a l’impression qu’ils testent la capacité des médias à être choqués sur certains sujets sensibles et voir jusqu’où ils pourront aller).
Hormis les deux susnommés, on peut rajouter Thierry Mariani (donc) ou encore Eric Raoult (qui s’est fait connaître pour ces propos à la limite du racisme lors des émeutes de 2005). Et ce sont un peu les "boulets" de la politique Sarkozy, ceux qui n’ont pas honte d’être à droite (voire à l’extrême droite sur certains sujets) et qui l’affirment haut et fort. Nicolas Sarkozy a beau être un conservateur, il les considère comme des empêcheurs de réformer en rond, puisqu’ils déligitimisent complètement son projet en le faisant passer pour un pétainisme (au mieux) ou un fasciste (au pire), ce qu’il n’a jamais été malgré les dires des partis d’extrême gauche. Il fricotte bien avec la "mafia du 92" (Balkany et consorts) qui sont souvent plus proches politiquement des conservateurs que du président, mais on n’est pas obligé d’être d’accord avec ses amis (ce sont des intimes de longue date).
Il n’y a rien de pire que de se voir décrédibiliser par les propres membres de son parti. Lorsqu’il était ministre sous Raffarin, puis sous Villepin, il se méfiait comme la peste de cette frange de droite de l’UMP (même si parfois il soutient en "off" leurs positions, comme sur la colonisation ou la peine de mort).
Le problème, c’est qu’à force d’avoir les coudées franches, entre une opposition inexistante et une majorité tranquille aux deux chambres, on peut peut-être s’inquiéter qu’il ne pipe mot à toutes ces propositions toutes aussi polémiques (pour ne pas dire scandaleuses) que stériles. Quand on voit l’orientation que prend sa politique d’immigration, avec la création du tant décrié "ministère de l’Immigration ET de l’Identité nationale", avec le chiffrage des expulsions et la préparation de "l’immigration choisie", on pourrait penser qu’il va soutenir ce genre de proposition de loi. Ce qui pourrait être dommage, puisque le président est plus intelligent et plus subtil que ce genre de lois d’un autre âge, et il finirait par mériter les critiques, injustifiées, de "fasciste" ou de "raciste".
Décidément, la "rupture" Sarkozy nous promet beaucoup de surprises, bonnes ou mauvaises. Espérons pour la suite qu’elles seront plutôt bonnes...
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