La rupture et la politique africaine de Sarkozy
Les rapports de la France avec l’Afrique n’ont pas préoccupé l’espace politique pendant la campagne présidentielle, comme généralement les questions internationales, lesquelles ont laissé libre cours au seul débat hexagonal. L’immigration, en revanche, a reçu un traitement orienté essentiellement comme une réponse à l’insécurité comme s’il fallait établir une adéquation entre l’immigration et l’insécurité. Or, la clé de l’immigration se trouve dans le choix judicieux d’une politique africaine de la France, laquelle a cruellement fait défaut jusqu’à ce jour. Comment Sarkozy qui a promis la rupture dans ce domaine, répond-t-il à cette problématique ?
La récente campagne électorale aura été dominée par nombre de promesses
de rupture de la part du candidat Nicolas Sarkozy. Pour l’heure, la
rupture observée se signale en tout et pour tout par un style
singulier, dont il faut se demander s’il gardera longtemps la marque de
son auteur. Il est à espérer que non, car ce style a malheureusement
pour dominante l’accélération en tous points, des échéances, du rythme
des discussions, l’interventionnisme systématique, l’opportunisme, le
respect sacro-saint de la parole fétiche donnée depuis la campagne. Ce
don d’ubiquité qui donne le vertige ne peut assurément incarner une
vision politique ! On n’en retiendrait que le mouvement perpétuel mais
point hélas le sens propre du mouvement lui-même.
Parce que la
concrétisation des promesses exige un délai certain de réalisation sur
le terrain, le rythme d’occupation du temps et de l’espace entretenu
par l’activisme présidentiel cherchant à tout prix à éviter le vide le
condamne à l’agitation permanente, et à spolier inconfortablement ses présumés
collaborateurs des rôles qui leur sont normalement dévolus. Ainsi,
sommes-nous de moins en moins surpris de le voir se poster en véritable
procureur de tous les problèmes sécuritaires multipliant à l’envi le
vote des lois répressives. Le tout accompagné d’une impression gênante
qu’un illusionniste voudrait nous emmener en bateau, et occulter
l’essentiel.
Les effets des promesses électorales sur le pouvoir
d’achat, l’emploi, le travail, la réduction de la dette, la réforme de
l’université, n’ont pas pour l’heure d’autre choix que l’attente longue
de leur hypothétique concrétisation. Même si le bouquet fiscal, la
suppression des droits de succession ou de donation, sont en apparence
immédiatement proposables en théorie ! Bref, tout reste soumis au
critère du temps et de la réaction imprévisible du peuple... Pendant ce
temps, il faut nous bercer du rythme effrayant de l’action pour
l’action. Avec apparemment l’aide bienveillante de la presse dont
Sarkozy se
flatte de réunir les suffrages. Puisqu’il affirme : « J’ai tous les
patrons de presse avec
moi. » (Nicolas Sarkozy, cité par Le Canard Enchaîné, 18/05/05)
Mais Sarkozy avait promis aux Français une autre rupture, celle de la politique africaine de la France. Qu’il nous souvienne de ses déclarations liminaires à Paris et en Afrique sur sa volonté farouche de rompre avec les pratiques anciennes caractérisant les réseaux de corruption de la Françafrique, s’il était élu président de la République. Lors d’une conférence de presse consacrée aux relations internationales, il déclare, je cite : « Il nous faut les débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autres mandats que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés, notamment avec nos partenaires africains et arabes. » : position exprimée le mercredi 28 février 2007, lors d’une conférence de presse sur la politique internationale (L’Express et Reuters, 28 février 2007).
En fait, la réalité de sa politique a vite reçu un éclairage exceptionnel au cours de son dernier voyage du Sénégal, le 26 juillet 2007. Sa prestation, frappée au coin du paternalisme usuel à l’endroit des Africains, lui a valu immédiatement une riposte indignée de nombre d’intellectuels du continent et d’ailleurs qui l’ont qualifiée, le moins qu’on puisse dire, d’arrogance futile, de suffisance creuse et d’irréalisme patent (Libération du vendredi 10 août 2007) Réf. Il n’était pas encore à la tête de la magistrature suprême qu’il avait déjà rendu depuis 2004 sept fois visite au président gabonais Omar Bongo, le doyen des dictateurs et prédateurs d’Afrique centrale, auprès duquel il prétend trouver de précieux "conseils de sagesse". Sarkozy est l’ami intime des principaux entrepreneurs français en Afrique, qui exploitent le bois, des richesses du sol, du sous-sol, et l’import-export. Ainsi son ami Bouygues y a réalisé un chiffre d’affaires de 1034 millions d’euros en 2006 Réf. Bolloré est le leader de la logistique et du transport en Afrique. Total-Afrique domine l’exploration pétrolière sur le continent, Lagardère et Dassault sont également des patrons de plusieurs entreprises qui y prospèrent allègrement. Sarkozy, après le tollé soulevé par sa virée à bord du yacht de Bolloré qui lui offrait des vacances paradisiaques sur l’île de Malte, a eu ces mots cherchant en vain à masquer la réalité des faits. Je cite : la fortune de son ami Bolloré ne devait rien à l’Etat, donc les frais de sa villégiature ne pouvaient incomber nullement aux finances publiques (fin de citation). Or, chacun sait que les marchés obtenus par Bolloré et autres alliés de Sarkozy sont le résultat de négociations diplomatiques entre l’Etat français et les dirigeants africains au terme d’accords inégaux qui profitent davantage aux entreprises françaises et aux responsables corrompus locaux ! Ces accords sont cyniquement qualifiés d’aide au développement de l’Afrique, alors qu’il conviendrait de parler d’aide aux dites entreprises étrangères. D’ailleurs, si tel n’était pas le cas, il y a belle lurette que le monde aurait perçu le développement toujours attendu de l’Afrique. La connivence étroite de Nicolas Sarkozy avec les prédateurs économiques tant intérieurs qu’extérieurs du continent africain n’augure donc rien de bon quant à la rupture annoncée de sa politique. Il s’agit, pour l’Afrique centrale, de Omar Bongo au pouvoir à la tête du Gabon depuis quarante ans, de Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville depuis vingt-trois ans. Il a en outre hérité, et il l’affiche sans détour, du triste réseau de la Françafrique, handicap essentiel au développement du continent, véritable corset de son émancipation politique et économique érigé par Charles de Gaulle après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, de Michel Lanvin, conseiller pour l’Afrique de Bouygues, ancien ambassadeur de France au Gabon et en Centrafrique, ex-conseiller de Jacques Foccart Réf.
Bref, la conception générale de Sarkozy fleure bon l’esprit colonialiste le plus rétrograde, encore en vigueur à la fin du dix-neuvième siècle. Sans ambage, il déclare cynique : « Je ne vise pas l’électorat du FN, je l’ai déjà. » (cité par Thomas Lebegue, Libération, 1er juillet 2005). Difficile par conséquent de lui faire admettre que les Africains en ont assez de son mépris affiché à propos de la soi-disant inaptitude de ceux-ci à se moderniser, que leur exigence passe aujourd’hui par la possibilité totale pour eux d’exploiter et échanger leurs richesses dans des termes d’égalité avec le monde extérieur, sans pour autant qu’on cherche à les enfermer dans un nouveau cadre dit Europe-Afrique, triste ersatz des formules léonines antérieures du type Union française, Communauté franco-africaine ou Francophonie. A l’exemple de tous les peuples de la planète, ils veulent interagir sur le même plan d’égalité avec le monde et s’ouvrir au marché mondial, débarrassés de tutelle d’aucune sorte. Pour cela, la France doit cesser sans tarder de soutenir les dictateurs tyrans de l’Afrique qui la pillent dans le cadre des corrupto-profiteurs françafricains. Aucune modernisation du continent n’est envisageable en dehors de cette condition liminaire. Les gouvernements occidentaux, notamment français, doivent libérer l’Afrique du carcan dont ils l’ont chargée depuis des décennies, et laisser normaliser les échanges entre elle et le monde, de manière à permettre son évolution vers un développement réel. Les Africains estiment que là est pour eux la solution de l’immigration, un mal dont ils souffrent et qu’ils n’ont jamais souhaité mais que, hélas ils subissent faute de pouvoir développer les richesses de leurs pays.
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