Le « troisième homme » de la présidentielle de 2012 doit être la société civile, avec un véritable projet de civilisation.
Nous vivons une véritable crise systémique qui nous impose de réviser en profondeur nos façons de produire, de consommer et d’investir et appelle une véritable « politique de civilisation ».
Cette idée s’est largement diffusée dans tous les milieux politiques et économiques mais reste hélas encore largement à l’état de discours. Les réponses mises en place ressemblent pour le moment plus aux vieilles recettes reliftées qu’à de nouvelles solutions de rupture.
2012, un rendez-vous crucial qui risque d’être manqué
Or, le temps presse.
Les experts du climat estiment par exemple qu’il ne nous reste que 100 mois pour inverser la courbe de nos émissions de gaz à effet de serre et ne pas dépasser les 2° d’augmentation critique de la température globale.
Plus largement, en plus du changement climatique déjà amorcé, la croissance démographique, l’insuffisance des ressources renouvelables, la raréfaction des ressources fossiles, la dégradation de la biodiversité, la pénurie d’eau, la prolifération nucléaire, l’extension mondialisée du mode de vie occidental, le creusement des inégalités, etc. risquent de converger dans 15 à 20 ans vers une situation explosive, à moins de changer rapidement et profondément de repères, de valeurs et de cap.
Il faut donc agir vite et fort. La présidentielle de 2012 est un moment crucial pour le faire. L’élection présidentielle est en effet structurante de la vie politique française, plus structurante qu’aucune autre élection dans n’importe quel autre pays démocratique. Le président élu se retrouve avec des pouvoirs importants, qu’il peut utiliser à bon escient ou pas. Le résultat de l’élection impacte fondamentalement la marche de la France pendant 5 ans. Au-delà, elle influe aussi celle de l’Europe et du Monde.
Mais l’offre politique en 2012 ne sera probablement pas à la hauteur de cet impératif historique. Projetons nous trois ans en avant.
Contrairement à 2007, où il a mené une campagne de rupture bien à droite, Sarkozy adoptera probablement en 2012 une posture gaullienne de rassemblement, donc orientée vers le centre, à la manière d’un Mitterrand qui a gagné en 1981 sur un discours de rupture de gauche et en 1988 sur l’idée d’une « France unie ». Et qui dit centre dit recherche de consensus large, donc évitement des risques et faible audace idéologique.
Les oppositions, majoritaires en poids cumulé mais émiettées, certaines fragilisées (PS, Modem, NPA...), d’autres en essor (Verts, Front de Gauche...) peineront à se rassembler autour d’un projet partagé et d’une candidature unique. Si elles se retrouvent dans l’opposition à Sarkozy, ces formations iront quand même défendre leurs propres couleurs au premier tour (seule façon d’exister politiquement dans la Vème République) et feront chacune entre 6 et 18 %.
Dans ce contexte, le résultat vraisemblable de 2012 : Sarkozy gagne face au PS (ou au Modem), dans un contexte de redémarrage de l’économie, avec un programme mariant d’un côté un « nouveau capitalisme », plus vert, plus social et plus régulé et de l’autre, un message de sécurité et d’ordre ; un programme préférable au néolibéralisme des 30 dernières années, mais ne portant en rien un nouveau projet de civilisation.
Ce n’est pas une fatalité : la voix et la voie de la société civile
Des centaines de milliers de citoyens (voir des millions) qui ont soif de vrais changements, se sentiront orphelins politiquement et iront voter par défaut et sans enthousiasme.
Doit-on se réjouir de ce futur probable ? Non. Ce futur est-il une fatalité ? Non. Pour l’éviter, toutes celles et ceux qui, hors des partis et de l’Etat, agissent au jour le jour concrètement à leur niveau (dans le champ syndical, entrepreneurial, territorial, associatif, des ONG, de l’économie sociale et solidaire, des quartiers, des médias, de l’Internet, des logiciels libres, etc. appelons les « la société civile active »), pour relever les défis colossaux qui s’imposent à nous, toutes ces personnes doivent s’organiser pour porter leur parole et leurs attentes.
Dans leur action, il y a en effet une espérance, un optimisme, une vitalité, une utopie concrète qui semblent avoir déserté les partis politiques. Salariés, entrepreneurs, consommateurs, épargnants, bénévoles, militants… ces centaines de milliers de citoyens, de toutes classes sociales, de tous milieux professionnels et de tous âges, en ont assez de l’économie et de la vision du monde qui a dominé la planète ces trente dernières années et a conduit à la crise.
Ils cherchent depuis longtemps à construire des alternatives et des réponses pour changer le monde au quotidien. Ils s’investissent et expérimentent des voies nouvelles dans l’entreprise, dans l’Internet, sur les territoires. Ils veulent un nouveau projet de société qui remette véritablement le citoyen au coeur de la société et de l’économie.
Foisonnant, innovant, dispersé, dynamique, ce mouvement de citoyens peine néanmoins à s’affirmer, à devenir visible et représenté politiquement, à peser sur le débat public et influer les décideurs.
Et si on donnait de la voix à ce mouvement ? Et si on éclairait la voie qu’il dessine ? La présidentielle de 2012 peut être à la fois la caisse de résonance et le coup de projecteur attendus, pour le faire quitter la marge et mettre au centre de la société.
L’opportunité d’une « candidature d’influence »
Cette société civile active pourrait ainsi s’organiser pour porter une candidature d’influence en 2012. Une telle démarche, si elle prend bien, pourrait obtenir 10 %, 15 % voire 20 % au premier tour, devenir du coup incontournable pour la suite, et peser sur le pouvoir élu, quel qu’il soit.
A l’heure d’une démocratie d’opinion planétaire, les décideurs politiques, toutes tendances confondues, ont en effet moins un rôle d’avant-garde et d’éclaireur de l’avenir qu’une fonction de suiveur et « d’implémenteur » de ce qui émerge et s’impose dans l’opinion et le débat public.
Il suffit d’observer ce qui se passe dans toutes les démocraties occidentales. Les leaders politiques cherchent à coller à l’opinion, les plus talentueux d’entre eux étant capables de sentir des évolutions naissantes, des signaux faibles et d’apparaître alors comme visionnaires...
Nicolas Hulot l’avait bien compris en 2007 avec son Pacte écologique, ses 750 000 signataires et ses 10 % d’intentions de vote à la présidentielle. Que l’on soit pour ou contre le bonhomme, on ne peut nier que sa démarche a eu un réel impact sur l’agenda politique de tous les partis et notamment du pouvoir élu. Par exemple, pas de Ministre d’Etat de l’écologie n°2 du gouvernement et pas de Grenelle de l’environnement sans son initiative.
Il s’agit donc de proposer une sorte de « Pacte de civilisation », porté par la société civile, qui englobe bien sûr les problématiques environnementales mais les dépasse largement.
Un projet de civilisation, à incarner
Le choix du candidat est un enjeu essentiel qui mérite évidemment un débat. A ce stade, deux options peuvent être considérées.
Soit une personnalité déjà connue du grand public, dont la personnalité, l’image et le parcours résonneraient avec cette démarche. Pourquoi pas Nicolas Hulot : les lecteurs attentifs de ses déclarations et écrits noteront ces derniers mois à la fois une radicalisation de son discours et un élargissement vers des problématiques plus seulement écologiques, mais aussi sociales, économiques, éthiques et culturelles.
L’autre option consiste à choisir une personnalité peu connue du grand public, mais à « fort potentiel », réputée dans son milieu (disposant d’une « base ») et ayant déjà l’expérience des médias. Pourquoi pas un entrepreneur social, ce type de profil pouvant être particulièrement audible dans une société et un débat public fortement imprégnés de l’idéologie entrepreneuriale et marchande : un entrepreneur social, paradoxalement, est peut-être le mieux placé pour défendre l’idée qu’il faut en sortir.
Le « troisième homme » de la présidentielle de 2012 doit être la société civile, avec un véritable projet de civilisation.
Un « projet » car constructif et positif, fort de propositions claires et concrètes.
L’opposition et la dénonciation de ce qui dysfonctionne sont en effet évidemment nécessaires mais elles demeurent largement insuffisantes. Car on ne peut pas supprimer ce qu’on ne peut pas remplacer. Rien ne sert de dénoncer ce qui va mal si ne sont pas formulées en même temps des propositions et solutions alternatives efficaces et crédibles, qui tirent vers le haut, ouvrent des perspectives concrètes d’action et de changement, « ici et maintenant ».
« De civilisation » car porteur de changements profonds, mesurables et durables, notamment dans le champ économique.
On ne pourra pas changer la société sans changer l’économie, force puissante et structurante des sociétés modernes, à la fois au cœur du problème et de la solution. Et c’est possible, car le système économique n’est pas une « boîte noire » hostile dont le contenu, la forme et l’usage seraient des données exogènes, échappant au citoyen, à l’éthique, au politique. Son fonctionnement actuel n’est ni naturel ni d’ordre divin : il a été construit par des idées, des hommes et des lois ; il pourra être transformé par des idées, des hommes et des lois.
Enfin, un « projet de civilisation », plutôt qu’un projet de gauche, de droite ou du centre.
Il y a en effet besoin de défricher un autre chemin, hors des sentiers battus des clivages politiques traditionnels, rassemblant tous ceux, porteurs d’utopies concrètes et de radicalité pragmatique, qui sont tournés vers la construction de solutions dans le réel et en même temps, veulent transformer profondément le système.
Toutes ces personnes qui partagent la même vision du changement ont vocation à sortir de l’entre-soi, à nouer de nouvelles alliances et à faire mouvement (social), pour créer un rapport de force en faveur d’un projet de société fondé non pas sur la centralité de l’Etat (keynésianisme des Trente Glorieuses) ou du marché (libéralisme des Trente Odieuses, 1980-2010), mais sur celle de l’Homme et de la Planète.
La société civile est la mieux placée pour mener ce combat. Il lui faut saisir cette opportunité historique.