Laco Dives ! Si nous faisions connaissance avant de jeter le bébé...
Laco Dives veut dire bonjour en Romani
Que l’on soit porteur de l’autorité républicaine ou simplement citoyen, on a l’art et la manière dans notre beau pays de juger, d’agir, de décréter et d’agir avant d’avoir réellement posé un problème.
Quand il s’agit du sort de ceux qu’on appelle les Roms, on s’empoigne allègrement sur la base de quelques chiffres douteux et quelques poncifs à géométrie variable.
Lorsqu’on confond (volontairement) le diminutif de Romanichel, la grande communauté Rom (tzigane) qui regroupe les peuples nomades depuis 1971 , et des familles émigrées roumaines (citoyens d’Europe) venues en France dans l’espoir de survivre et que l’on s’attaque aux victimes en les assimilant aux coupables, c’est difficile à supporter.
Lorsque , comme cerise sur ce triste gâteau on fait allusion à des contrôles fiscaux pour ceux qui ont des voitures de grosses cylindrée, c’est soit de la stupidité, soit la volonté de semer la confusion dans la tête des bons Français.
Loin de l’idée de proposer des solutions immédiates à un problème millénaire, ma seule légitimité pour évoquer le sujet avec un autre regard, est le fruit de quelques expériences :
Pardon pour les souvenirs
D’abord un extrait du texte "Les bohémiens" de Gaston Couté (le texte date d’un siècle)
....Au mitan de c’te band’ de loups
S’trouvait une fille si jolie
Avec sa longu’ crinier’ fleurie
Comme un bouquet de soucis roux
Si joli’ que je vous defie
D’en trouver eun’ pareill’ cheu nous.
Ah ! mes bonn’s gens ! J’ai ben grand’peine !
Pasque ces Bohemiens d’malheur
Qu’ont pillé mon bois et ma plaine
Ont encore emporté mon cceur.
Et c’est surtout ca qui m’caus’ si grand’peine !...
Lorsque j’étais enfant, j’habitais face à un terrain vague où venaient chaque année s’installer une charmante tribu de "bohémiens" (c’est ainsi qu’on appelait les nomades par opposition aux "baraquins" qui eux constituaient le quart-monde sédentaire). J’ai donc appris à jouer avec les enfants et entendu les premières notes de guitare qu’on appelle aujourd’hui le "jazz manouche" jouées par un cousin du grand Django ( tous les joueurs de guitare manouches sont d’ailleurs des cousins... donc des cousins de Django !). J’ai écouté la diseuse de bonne aventure mais je n’ai pas mangé de ces hérissons (niglo) qui se cuisent dans la terre glaise, et dont la patte portée en collier protège de la foudre. J’ai vu les femmes qui tressent l’osier et j’ai très vite compris le mot "lové" (des sous). Comme Gaston Couté, j’ai été séduit par une "grande soeur", archétype parfait de la Gitane éternelle. Il m’en reste plus de bons que de mauvais souvenirs. Folklore et réalités !
Plus amusant ! Un jour, le patron d’un cirque familial fortement typé m’a proposé d’épouser sa troisième fille, championne des anneaux et du trapèze, en m’expliquant qu’il s’agirait de voyager l’été et de s’occuper de ramassage de ferraille l’hiver. La seule condition était de ne pas quitter la tribu (trop féminine à son goût). Heureusement, j’étais déjà marié, et la fille a accepté de me rendre mon alliance qu’elle avait fait disparaître par un tour de magie.
Je connais et j’aime la camargue, donc j’ai tenté de comprendre qui est Sara e kali, et les Maries Jacobé et Salomé qui ont donné leur nom à la ville. Je ne l’ai d’ailleurs que partiellement compris puisqu’il faut avoir du sang gitan pour comprendre.
Beaucoup plus tard, j’ai du gratter un projet d’alphabétisation pour un groupe appelé "Gens du voyage" semi-sédentarisés dans un camp (réalisé conformément à la loi Besson) quelque part dans le Nord. Pour des adultes Roms, apprendre à lire et écrire, c’est remettre ses traditions en question.
Les échanges ont été fructueux. Ils m’ont demandé de ne pas prendre de photos, ce que j’ai accepté. J’ai aussi accepté que l’on ne réponde pas à toutes mes questions.
Je me souviens aussi de ces vers du regretté Jean Ferrat
....Qu’ils soient venus du fond des âges
Tous les gitans, tous les tziganes
Un violon leur a brisé l’âme
Ils en gardent parfois des larmes
Les Nomades
Ni la peur de mourir un jour
Dans quelque ville frontalière
Sans tenir la main d’un amour
Ne les arrête sur la terre
Les Nomades
Et quand on voit sous les platanes
Passer les mulets et les ânes
On a beau être des profanes
On voudrait suivre la caravane
Des Nomades
Les nombreux français aisés qui se payent un camping-car ne sont-ils pas simplement poussé par ce désir de connaître la vie nomade ? S’ils partaient en tribu avec de vieilles caravanes et des voitures usagées en cherchant à dormir sur les places publiques, ils s’apercevraient vite que la poésie n’est pas toujours au Rendez-vous.
Enfin J’ai le projet d’écrire une chanson avec un groupe d’enfants Roms. J’espère que cela permettra de mieux faire comprendre "ce qui dort au fond de leur âme".

Je n’ai pas souhaité illustrer mon papier avec un beau sourire d’enfant miséreux qui aurait certes été plus racoleur que ces musiciens dont j’ai floué le visage (on ne sait jamais !).
Qui est donc cette "tribu prophétique aux prunelles ardentes" qui fascine et terrorise ?
...Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures
Un bon vieux Larousse nous donnera d’abord en quelques mots de quoi avoir l’air moins niais. Je cite :
Rom
Qui appartient au rom, le peuple Tsigane dans son ensemble. C’est la dénomination que se sont choisie les Tsiganes [Romanichels, Bohémiens, Egyptiens, Manouches, ect... ] depuis leur congrés Fédérateur de 1971.
: Qui appartient à l’un des trois groupes que forment les Tsiganes, les Rom (gitans, manouche)
Ce n’est pas parfaitement limpide mais on comprend que le terme Rom (équivalent de Tsigane) est devenu un mot générique réunissant l’ensemble des groupes nomades.
On trouve peu de choses sur ce fameux congrés Fédérateur, notamment à cause du fait que le peuple nomade est de tradition orale. C’est un autre sujet qui nous fait les taxer d’analphabètes mais ceci est une autre histoire.

le drapeau Rom.
Que ceux qui partagent un peu mon analyse n’hésitent pas à faire flotter ce modeste fichier GIF sur leur blog
Quelques tristes données historiques :
- Le peuple Rom a été longtemps esclave (voir le code pénal de Valachie de 1818 et celui de Moldavie de 1833).
- Le nazisme a été tout aussi immonde et féroce avec le peuple Tsigane qu’avec le peuple juif.
Sur ces sujets, on trouve de nombreux documents sur le net.
- Plus française celle-là : Le « carnet anthropométrique/biométrique d’identité pour nomades » a été créé par la loi du 16 juillet 1912. Obligatoire à partir de 13 ans, il comportait deux photos, les empreintes digitales des dix doigts, le diamètre bizygomatique ( !), la longueur de l’oreille droite, la couleur des yeux, la forme du nez, etc. Tous les déplacements devaient y être déclarés, ce qui rendait possible une étroite surveillance de ces populations... Ne le rappelez pas à Hortefeux SVP, il apprendrait que les Roms ont dix doigts comme nous.
Notre regard est actuellement bien canalisé sur l’association Rom - Roumanie - Délinquance. La réalité est bien plus vaste et il me semble périlleux de la saucissonner pour les convenances sécuritaires du premier gendarme de France, la marionnette (à fil ou à tringles ?) du président Kinempalérom.
L’impossible cohabitation ?
C’est par quelques lectures et beaucoup d’échanges que l’on peut tenter de comprendre quelques uns des points de nature à creuser le fossé qui séparent les nomades des êtres civilisés(!) que nous ne doutons pas d’être.
Les voleurs de poules historiques :
"Ton peuple aura le droit de vivre de rapine !" aurait affirmé Jésus Christ lui-même à Sarah, la domestique noire de la vierge Marie. C’est du moins ce que m’a raconté une vieille gitane en me tendant la main.
Il est toujours platement banal de rappeler la stupidité des idées toutes faites sur une communauté, qu’elles soient négatives ou positives. Il y a certainement des roms chapardeurs et (plus ou moins) délinquants au même titre qu’il y en a dans toutes les communautés (y compris les liechtensteinois, les traders et les martiens s’ils existent). C’est un peu usant de répéter la différence entre ce qu’est un individu et ce qu’il fait . Je ne suis pas choqué qu’on pousuive le voleur, je suis outré qu’on poursuive le Rom. Et il me semble utile de le répéter : Aujourd’hui c’est sur des victimes qu’on frappe.
La tradition orale et rapport au temps : A l’image des paysans Mexicains avec lesquels Paolo Freire mit au point sa méthode d’alphabétisation, les groupes nomades n’ont pas pris le virage de l’écrit. La tradition orale est restée dominante. C’est un élément majeur de leur profonde différence avec les sédentaires (ultra-documentaristes) que nous sommes. Pas le même rapport à la transmission des valeurs et des savoirs. Pas le même rapport à la mémoire collective. Pas la même vision du monde.
Lié à ce point, il y a le rapport au temps. Savez vous ce que veut dire "Tadjsa" en Romani ? Tout à la fois Hier et Demain dans le même mot, comme si il existait deux dimensions temporelles :
Aujourd’hui et Pas aujourd’hui : Hier s’oublie et on ne sait pas ce que sera demain. Pour nous qui ponctuons le temps et qui faisons des plans pour toute la vie avec des crédit, des maisons et des retraites. Effectivement ce n’est pas évident.
Le problème est que la tradition écrite est ultra-dominante et que ses détenteurs relèguent les autres au rang d’analphabètes (... comme leurs pieds).
Rapport aux biens : Dans le même esprit, le sédentaire passe sa vie à accumuler des biens dont le nomade n’a que faire. Une légende veut que l’on brûle tout ce qui a appartenu à un défunt. C’est partiellement vrai, et il suffit d’un gramme de jugeotte pour comprendre ! comprendre ce qu’un groupe nomade aurait à trimballer s’il conservait tout.
La liste serait longue si l’on abordait les rôles des hommes - femmes -enfants dans la vie de la communauté, la méfiance du Gadgo ....
Petite conclusion provisoire
Pour nous, la partie vue de l’Iceberg ce sont des mômes vétus de hardes et de loques qui proposent le nettoyage du pare-brise au feux tricolores, un gamin au sourire édenté qui essaie de vous jouer le grand air de la Strada sur une trompette cabossée contre une pièce de monnaie, des roulottes-bidonvilles à proximité de nos villes...
Les fantasmes collectifs sécuritaires ce sont des réseaux qui organisent la mendicité des enfants, la délinquance, la prostitution, des prédateurs "effroyablement dangereux".... J’en passe et des meilleures (trafics d’être humains...). C’est peut-être vrai, mais ce ne sont pas ceux là qu’on persécute (selon que vous serez puissant ou misérable...).
La vérité c’est qu’il y aurait quelques 15000 Roms en France, nomades en voie de sédentarisation. C’est sur ce petit 2% de la population française qu’on cristallise la haine pour nous faire oublier une autre actualité autrement plus grave.
Bien sûr ils risquent d’augmenter car ils font beaucoup d’enfants , et ils ne les vendent pas contrairement aux idées reçues.
Je pense que personne ne nie qu’il existe des problèmes réels qui touche la communauté, et certainement des actions à mener, y compris de la répression.
Mais peut-être avant faudrait-il poser intelligemment ces problèmes avant de tirer à Hue et a Dia sur tout et n’importe quoi.
Et moi je les aime bien.
. (Baudelaire s’adressait à Sarko ?)
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