Laïcité à l’école : bienveillance et fermeté. Contribution au ’socle commun’ pour les enseignants
L'audition de Abdennour Bidar [1] a été unanimement saluée le 21 mai 2015, par tous les parlementaires présents.
Il faut dire que normalien, philosophe ET très pédagogue, Abdennour Bidar a fait un exposé brillant, clair, précis et très concret, émaillé de nombreux exemples, suivi de réponses de haute volée aux questions des parlementaires présents. Intervention qui tranche par rapport à certains discours de personnes qui se disent ou aimeraient être philosophes, et qui sont bien souvent très simplistes.
L'auteur [2] [3], entre autres ouvrages, de "L'islam sans soumission", Paris, Albin Michel, collection Espaces Libres, 2012, de "Plaidoyer pour la fraternité" (Ed. Albin Michel), de "Comment sortir de la religion ?" (2012) et de "Histoire de l'humanisme en Occident" (2014, éditions Armand Colin) [4] avait été nommé dès 2011 par Luc Chatel chargé de mission au Ministère de l'Education Nationale sur « la pédagogie de la laïcité et la transmission des valeurs de la République ».
Co-auteur de la « charte de la laïcité à l'école », il a rassemblé 1000 enseignants [5] pour préciser le bagage pédagogique nécessaire aux 300 000 personnes de l'Education Nationale dans ce domaine [6].
Au sujet de l'attitude à avoir par rapport aux comportements des élèves, Abdennour Bidar a insisté sur une nécessaire bienveillance, qui doit cependant se prolonger par de la fermeté quand plusieurs indices concordants sont repérés, par exemple :
- comportement vestimentaire
- attitude différente et renouvelée par rapport à certains enseignements : absence répétée à certains cours, à des séances de sport
- tendance à rester entre jeunes de confession identique.
Bienveillance jusqu'où ? Fermeté à partir de quand ?
Nous ne pouvons que souscrire à cette double injonction, précisée par ces indications pratiques indispensables. Mais nous souhaitons simplement attirer l'attention sur l'impérative obligation de réagir au plus tôt.
Le livre "La stratégie de la bienveillance ou l’intelligence de la coopération" [7] est très précieux à cet égard : avec un tel titre, le lecteur s'attend à ce que l'on insiste sur cette bienveillance, a priori. Ce qui est vrai, mais l'auteur insiste tout autant sur l'absolue nécessité de réagir dès qu'une personne ne respecte plus les règles élémentaires de la coopération. [8] [9]
Car sinon, ayant accepté de donner l'extrémité du petit doigt, c'est tout le bras qui y passe bientôt, et même tout le corps... jusqu'au moment où l'on n'en peut plus, et on éclate, pour une simple goutte d'eau ! Ce qui est alors incompréhensible pour celui qui n'a pas respecté les règles, ni pour les autres, puisqu'auparavant des comportements bien pires ont été tolérés.
Et pendant ce temps, la tolérance de ces comportements aberrants a pénalisé ceux qui avaient des attitudes normales, et encouragé ceux qui avaient des comportements non coopératifs.
L'auteur du livre recommande donc, à juste titre, de réagir immédiatement, et de façon proportionnée, dès qu'un écart est constaté.
Il nous semble donc très important de préciser et compléter concrètement cette "bienveillance et fermeté" : la bienveillance doit s'arrêter dès qu'une concordance est repérée entre plusieurs comportements ne respectant pas les règles communes, laissant place à des réponses fermes et proportionnées.
Citations importantes de Abdennour Bidar
Sur la pertinence et l'importance de "la fraternité", et sur la nécessité "d'un projet, d'un élan, d'un sentiment d'appartenance collective", lire l'excellente interview dans Le Figaro, 21 février 2015 : "Abdennour Bidar : « la pauvreté spirituelle d'un certain islam confine à l'indigence »" de l'auteur récent de "Plaidoyer pour la fraternité".
Quelques extraits :
- "Au lieu d'enseigner qu'être un bon musulman, c'est porter tel type ou tel type de vêtement, nous devrions mettre l'accent sur la culture des vertus de l'islam, sur la culture éthique de cette religion."
- Si l'école fait une morale qui ne parle pas de fraternité alors que les religions parlent essentiellement de celle-ci, le risque est de voir se répandre dans l'opinion l'idée de deux morales concurrentes : celle de l'école et celle des familles."
- "La grande mode aujourd'hui est d'être victime ! Cela engendre deux logiques qui nous enferment. Celle du bouc-émissaire, du coupable désigné dont l'identité française serait victime : « tous les problèmes de la France sont liés à l'immigration et à l'islam ». Et « en face » celle du dénigrement : « la France est méchante et elle ne veut pas des musulmans. Elle les rejette, les discrimine et les stigmatise. Elle se conduit aujourd'hui avec les musulmans comme avec les indigènes de ses colonies. » C'est délirant ! Je ne me suis jamais senti discriminé. Grâce à mon éducation familiale et à mes professeurs qui m'ont donné le sens de l'effort et du mérite, j'ai pu me hisser de mon humble collège en zone difficile jusqu'à l'agrégation et au doctorat de philosophie. Me suis-je plus battu qu'un autre ? Non. Je me suis acharné au travail comme tant d'autres élèves et étudiants de toutes les origines, et j'ai lutté avec les armes que la France m'a données, à commencer par celles de l'École laïque et républicaine."
- "Finissons-en avec le dénigrement de notre pays. Il faut dire aussi que les musulmans de France jouissent ici d'une égalité de droits et de chances réelle. Il y a en France des milliers d'enfants de l'immigration, récente ou ancienne, qui sont diplômés, professeurs, avocats, patrons de PME, artisans, médecins, artistes, qui ont réussi leur vie professionnelle grâce à leur propre choix de l'effort et du travail, au lieu de la pleurnicherie victimaire ! Les musulmans doivent se représenter la France comme une chance pour l'islam. Elle leur permet notamment de pratiquer leur foi librement grâce à la laïcité. Celle-ci n'est pas liberticide. Elle garantit au contraire les mêmes droits à toutes les convictions et toutes les croyances. On ne peut certainement pas dire que le sort des minorités soit aussi enviable dans les pays musulmans."
- Vous affirmez également que la question de l'intégration ne concerne pas seulement les musulmans. Qu'entendez-vous par-là ? "Nous avons tous besoin d'intégration, car nous sommes tous victimes de désintégration. L'intégration ne concerne pas seulement les immigrés. Que reste-t-il de commun entre un jeune enraciné dans un terroir et gamin de Montfermeil ? De même les urbains des grandes métropoles vivent-ils dans le même monde que les petits blancs prolétarisés de la diagonale du vide ? La France est en situation de poly-fractures sociales et culturelles. Dans ce contexte, nous avons besoin d'un projet, d'un élan, d'un sentiment d'appartenance collective. Nos valeurs -dignité de l'être humain, liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité, mixité- ont besoin d'être réapprises par notre société tout entière et pas seulement par quelques musulmans radicaux ! Nous ne serions d'ailleurs pas si déstabilisés par l'islam radical ou traditionaliste si nous étions plus sûrs de ces valeurs, si elles avaient été assez bien enseignées dans nos écoles et par les familles -non musulmanes et musulmanes !"
Sur "la crise de spiritualité de l'Occident" :
- "C'est mon cœur de réflexion. La crise de l'Occident et de l'islam fonctionnent en miroir dont le point de convergence est la crise de la spiritualité. D'un côté, on a un sacré fossilisé qui n'arrive plus à se régénérer et qui étouffe. C'est la tragédie de l'islam qui fonctionne par stéréotype : le voile, le hallal, l'islam réduit à des codes. Cette pauvreté spirituelle confine à l'indigence. C'est ce qu'Olivier Roy appelle « la sainte ignorance » : une religiosité binaire standard et stéréotypée. En face, l'Occident matérialiste n'a toujours pas réussi à intégrer ses racines religieuses dans la modernité. Quid de la morale évangélique, de l'aspiration à la transcendance. Il y a deux mondes qui développent une hostilité d'autant plus importante qu'ils se renvoient l'image mutuelle d'une déshérence et d'une dégénérescence du rapport au sacré. J'insiste sur l'idée qu'il est temps que les deux milieux réfléchissent ensemble à redonner à l'existence humaine une renaissance spirituelle qui se nourrisse de tous les héritages au lieu de les ignorer où de les reproduire mécaniquement."
[1] Audition le 21 mai 2015 de Abdennour Bidar, par la Commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains. Vidéo]
[2] "Ce soir ou jamais", 15 mai 2015, « Qui est Charlie ? » : le livre polémique d'Emmanuel Todd en débat
[3] La Chaîne Parlementaire, "Entre les Lignes" L’invité de la semaine : Abdennour Bidar Vidéo
[4] "Abdennour Bidar, méditant engagé", La Croix, 27 avril 2015 : "Philosophe et soufi, le « Monsieur laïcité » de l'éducation nationale récuse l'idée d'un corpus musulman unique et plaide « fidélité infidèle » aux héritages anciens."
[5] France Info, 16 mars 2015 Laïcité : France Info a assisté à la formation des éducateurs : Après les incidents lors de la minute de silence le 8 janvier dernier, le ministère de l'Education a décidé de former 1.000 éducateurs à la laïcité. Ce sont des enseignants, des proviseurs, des inspecteurs qui serviront de relais dans les établissements auprès de leurs collègues.
[6] Najat Vallaud-Belkacem, BFMTV, 5 février 2015 : "D'ici la fin de l'année 2015, 300.000 enseignants seront formés pour savoir faire vivre la laïcité à l'école, et répondre aux questions des élèves"
[7] Juliette Tournand, auteure de "la stratégie de la bienveillance", précise que "dans cette rencontre de l'autre, il n'est donc absolument jamais question de renoncer à soi-même en suivant aveuglément les pas d'un autre. Mais bien au contraire de créer sa propre route à côté de l'autre qui crée la sienne propre". En bref, résume la coach et consultante : "Marcher chacun son chemin original en compagnie, se rencontrer tant que notre route est commune, et se réaliser un peu plus à chaque pas et à chaque rencontre".
Au final, chacun prend dans ce domaine ses responsabilités.
"Il reste que la coopération suppose que quelqu'un commence par y croire, quitte à ce que ce soit en univers hostile (où la bienveillance est à la fois insolite et précieuse), quitte à ce que ce soit par un stratège débutant qui prend le risque de faire exister le premier ce qu'il espère", conclut Juliette Tournand.
Après tout, croire à la coopération à priori possible, c'est l'esprit même de la civilisation. Ce qui fonde la vie sociale, l'industrie et le commerce, la philosophie, les arts les jeux et les sports. La Tribune, 18 novembre 2013 Et si la gentillesse était avant tout de la bienveillance ?
[8] Stratégie de la bienveillance : 5 grands principes stratégiques.
- S'ouvrir systématiquement à la coopération à priori. Chercher à rencontrer la facette de l'autre qui ose la bienveillance.
- Se voir un avenir commun. Partager une vision ou un intérêt commun qui nous lie.
- Jouer la bienveillance stratégique dans toutes nos rencontres. Coopérer tout le temps avec celui qui coopère avec moi jusqu'à ce qu'il arrête en premier.
- Rompre immédiatement la relation avec quelqu'un qui n'est pas bienveillant ou qui arrête d'être bienveillant avec moi.
- Reprendre cette relation sans arrière pensée si la même personne redevient par la suite coopérative et bienveillante à mon égard
[9] C'est sans angélisme aucun que Juliette Tournand “déblaie le terrain” des rapports de domination en entreprises. Pour autant, elle qui se refuse à y voir le résultat irrémédiable d'une prétendue “nature humaine” qui serait conflictuelle, perçoit dans les relations inéquitables au travail un puits sans fond non seulement de frustrations et de souffrances, mais encore de déperdition d'énergie et de dégradation de la performance. Ce mois-ci : La Stratégie de la Bienveillance, de Juliette Tournand, EVE le blog, décembre 2013
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