Laïque, vous avez dit laïque ?
Trois discours coup sur coup du président de la République sur la religion entre décembre 2007 et janvier 2008 : à Rome comme chanoine de Saint-Jean de Latran, à l’université de Mentouri de Constantine et à Ryad.
Se rajoutent les déclarations de Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur chargée des cultes et les propos d’Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de l’Elysée.
Toutes ces déclarations prennent pour cible la laïcité et la remettent en cause.
A Saint-Jean de Latran, en décembre 2007
Il revisite l’histoire, n’hésitant pas à « tordre » les faits en fonction des conclusions qu’il veut tirer : « Je sais les souffrances que sa mise en œuvre (de la laïcité) a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l’interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé. »
Vous avez bien lu : « reconstruction rétrospective du passé ».
Plus grave : « La morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. »
La morale laïque à l’origine des croisades, des guerres de religions, des autodafés, du nazisme ?
« Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. »
La considération portée aux enseignants ? Sans commentaire...
« Les facilités matérielles de plus en plus grandes qui sont celles des pays développés, la frénésie de consommation, l’accumulation de biens, soulignent chaque jour davantage l’aspiration profonde des femmes et des hommes à une dimension qui les dépasse. »
Que ne prêche-t-il la vertu par l’exemple ? Soirée du 6 mai au Fouquet’s, croisière à Malte sur le bateau de l’industriel Vincent Bolloré, luxueuses vacances américaines offertes par de riches amis, etc.
A Mentouri - Constantine (5 décembre 2007)
« En m’adressant à la jeunesse algérienne, je veux parler à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui se reconnaissent comme les héritiers d’un islam qui a toujours su faire dialoguer la foi et la raison. »
Confusion grave ! Remplacez Algérie par France, musulman par catholique... Est-ce à dire que tous les Algériens sont des musulmans comme tous les Français des catholiques ?
A Ryad (le 14 janvier 2008)
« Sans doute, musulmans, juifs et chrétiens ne croient-ils pas en Dieu de la même façon. Sans doute n’ont-ils pas la même manière de vénérer Dieu, de le prier, de le servir. Mais au fond, qui pourrait contester que c’est bien le même Dieu auquel s’adressent leurs prières ? »
On avait bien besoin d’une pensée aussi originale pour comprendre enfin ce qui est commun aux trois grandes religions monothéistes.
Oublierait-il que ce n’est au président de la République d’en appeler, dans un grand élan de ferveur et de piété, à « Dieu transcendant qui est dans la pensée et le cœur de chaque homme » ?
Et c’est en Arabie Saoudite qu’il le dit, c’est au cœur de l’un des pires totalitarismes religieux qu’il affirme que « Dieu n’asservit pas l’homme, mais le libère ».
Sectes ? Non-problème ?
On n’est pas davantage surpris par les propos d’Emmanuelle Mignon et de Michèle Alliot-Marie qui veut « toiletter » la loi de 1905.
La directrice de cabinet du président a déclaré que les sectes étaient « un non-problème en France », qui aurait « longtemps permis de dissimuler les vrais sujets ». Quels sujets ?
La question porte notamment sur l’église de scientologie qu’elle dit ne pas connaître mais à propos de laquelle elle déclare : « ou bien c’est une dangereuse organisation et on l’interdit, ou alors ils ne représentent pas de menace particulière pour l’ordre public et ils ont le droit d’exister en paix ».
Or la stratégie de cette secte est précisément de ne pas faire de vagues, quitte, selon le cas, à exercer des pressions sur ses anciens membres qui se retournent contre elle, pour s’acheter une respectabilité.
Après la rencontre en août 2004 entre Nicolas Sarkozy et Tom Cruise, ambassadeur de la scientologie, après l’annonce de Michèle Alliot-Marie qui veut « décomplexer la lutte contre des dérives sectaires » et « assurer la liberté de croyance de tous » (y compris les sectes ?), le dérapage d’Emmanuelle Mignon qui touche à la laïcité a de quoi sérieusement inquiéter sur le « toilettage » de la loi de 1905 voulu par la ministre de l’Intérieur.
Le toilettage de la loi de 1905, au profit de qui ?
Brouiller la distinction entre culturel et cultuel c’est rétablir le financement public des religions, c’est détruire la laïcité.
Outre ses résonances communautaristes, l’amalgame entre culture et religion est un prétexte pour contourner la loi qui réserve le financement public à ce qui est d’intérêt commun.
La culture a une portée universelle ; le culte, une portée particulière.
Les croyants ne s’y trompent pas ! Le fatras de tartufferies, de bondieuseries et de provocations (rencontre médiatisée du scientologue Tom Cruise, œuvres complètes de Bernanos offertes au pape en compagnie du « délicat » Jean-Marie Bigard, portable vissé à l’oreille au Vatican, divorce et remariage dans la foulée, etc.) ruinent toute sincérité.
La Constitution de 1958 stipule que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Ce sont précisément les déclarations de Sarkozy, mêlant convictions personnelles et fonction présidentielle, sphère privée et sphère publique, qui portent atteinte à la laïcité de la République.
Alors il s’invente un adversaire imaginaire contre lequel il gesticule et fait de petits moulinets : sus à la laïcité sectaire, de soupçon et de combat, à lui la laïcité « positive », telle qu’il la conçoit.
Il n’existe pas deux laïcités.
Est laïque la République qui assure à chaque citoyen la liberté de conscience, qui garantit sa liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix, de n’en pratiquer aucun ou de pouvoir en changer.
Est laïque celui qui a le souci constant des plus fragiles dont se nourrissent les sectes ou les groupes à tendances sectaires. Ce qui suppose une vision convaincue de la laïcité comme garante de la liberté.
On est bien loin du compte avec Sarkozy...
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