Le 18 mars de Jean-Luc Mélenchon
Mélenchon est sur le point de devenir le troisième homme de la campagne présidentielle. Belle réussite, inattendue, qui ne l'amènera sûrement pas pour autant au second tour. Le candidat du Front de Gauche ne servira-t-il qu'à rallier les déçus de la gauche de gouvernement pour Hollande, ou bien son aventure est-elle porteuse d'espoirs plus grands ?
Le troisième homme
A l’heure où j’écris ces lignes, le candidat Mélenchon vient de passer la barre des 10% d’intentions de vote dans les sondages. Les médias ne cessent plus de répéter que Mélenchon mène la meilleure campagne, qu’il est l’orateur le plus talentueux, la surprise de cette campagne. Le cercle des experts en opinion lui décerne à l’unanimité le prix spécial du jury médiatique ! La caméra d’honneur ! Le Pujadas de la révélation 2012, le Jaurès d’or !
Depuis qu’on lui prête un résultat à deux chiffres et qu’il amène de l’audience, les éditorialistes et présentateurs-vedettes ont compris que les aboiements du candidat-bouledogue allaient devoir être pris au sérieux. Il transmet aux débats une rage bien nécessaire pour redonner de la vigueur à un débat présidentiel des plus soporifiques. Tout cela par la magie des chiffres, ceux des sondages et de l’audimat, voilà Mélenchon transmué en interlocuteur de valeur. On le respecte maintenant, sinon : il mord ! Jean-Pierre Elkabbach a appris à surveiller ses mots ; Arlette Chabot lui parle avec componction ; Jean-Michel Apathie arrête les blagounettes ; Nicolas Demorand s'habille mieux pour le recevoir ; Christophe Barbier agiterait presque (presque !) son écharpe rouge avec lui… Selon que vous serez puissant ou misérable, disait à peu près la Fontaine, les jugements de plateaux télé vous rendront ridicules ou crédibles. Jusqu’où ira l’homme du Front de Gauche ? A défaut de pouvoir espérer être présent au second tour, le voilà déjà en mesure de voler la troisième place du podium à Marine Le Pen et François Bayrou.
Voilà pour la forme.
Quant au fond, il est à double-tiroir. Hériter à la fois de 1789 et de Jaurès, le Mélenchon est aussi un ex-lambertiste. Il n’est pas si sûr que ce mélange de républicanisme et de trotskysme – la mélenchonnaise – prenne. D’un côté, le combat permanent, l’insurrection, les harangues, le doigt pointé, accusateur ; de l’autre, la posture du chef d’Etat, qui met les grands fonctionnaires au travail, qui s’impose et qui planifie, qui trace des cadres du plat des mains. Le prestige de l’Etat et l’appel au peuple par référendum. La VIème République, soit le partage des décisions de la IVème avec la poigne présidentielle de la Vème. A tout le moins, une aventure inédite. Derrière cet appel à un Front de gauche, il ne faut d'ailleurs pas voir une réponse au Front national, mais la volonté de reprendre l’esprit du programme commun, de la gauche conquérante de 1981. Celle qui n’avait pas encore choisi de changer d’avis plutôt que de changer la vie…
Ce n’est pas tant que Mélenchon serait perclus de contradiction que sa position objective, dans l’échiquier politique, qui le met dans une posture instable, incertaine : ni révolutionnaire, ni libéral. Que reste t-il de la gauche aujourd’hui, si elle n’est ni trop rouge ni trop rose ? Voilà un candidat qui met toute sa verve dans ses sorties contre Hollande (« capitaine de pédalo » qui « attaque la finance avec un pistolet à bouchon »), qui le trouve trop timoré et incohérent sur ses mesures fiscales contre les riches, tout en le ménageant sur le fond : oui, Hollande est un homme de gauche, un socialiste (puisqu’il le dit !), un ancien camarade de trente ans après tout… Alors, Mélenchon n’appellerait pas à voter Hollande en cas de présence de ce dernier au deuxième tour : non, il appellerait simplement à battre la droite le plus largement possible. La bonne excuse, finalement, pour se rallier à la droite du centre-gauche avec bonne conscience.
Hollande, le grand organisateur des victoires molles
L’espoir affiché par le Front de Gauche, c’est d’obliger Hollande à gauchir son discours. Le pousser vers les classes populaires en déshérence, muscler son discours contre les très riches, l’obliger à s’attaquer frontalement à la finance et aux agences de notation. D’où un doute : Mélenchon est-il un adversaire du PS, ou bien son sparring-partner ? Espère-t-il mobiliser le peuple de gauche contre le centre-gauche, ou bien ramener les déçus du PS dans le giron ? Avec Mélenchon, le populo va gueuler un coup au premier tour, avant de rentrer dans le rang sagement au second, vote utile oblige... Il est périlleux de spéculer sur le rôle objectif du Front de Gauche (adversaire potentiel ou allié caché ?), ne serait-ce que parce que les jeux ne sont pas faits. Mélenchon est vraiment surpris de passer la barre des 10%. Il ne s’attendait pas à ce que l’aventure aille si loin. On va commencer à s’inquiéter, rue de Solférino. Ces messieurs feutrés et parfumés du QG de Hollande se moquaient à demi-mot de Jean-Luc : en public, il gueule, mais en privé, c’est un brave gars, qui se calmera dès qu’on lui proposera un maroquin ministériel… Peut-être que cette stratégie est en train de dérailler. Mélenchon met plus le bordel que prévu chez Hollande. Il y a un début d’incendie dans la défense PS ! Les gueux de partageux marchent sur nos plates-bandes !
Seulement, il y aura bien plus de quoi être déçu par le challenger que par le vrai présidentiable. Nul ne peut raisonnablement mettre des espoirs délirants en François Hollande. L’homme n’a pas le charisme qui soulève les foules, ni un programme qui enchante les cœurs : ce sera juste la présidence anti-bling-bling, de la sociale-démocratie pépère. Ce ne sera déjà pas mal. De la gestion étatique de bon père de famille : une attitude coulante avec la finance, beaucoup de sociétal et quelques mesures sociales réelles pour calmer l’électeur de base. Personne ne se fait d’illusions.
Tandis que Mélenchon promet, et promet beaucoup. On est enthousiasmé, et puis on se dit : c’est trop beau pour être vrai ! Embauche de tous les précaires de la fonction publique, taxation à 100% au-dessus d’un certain seuil de richesse, politique fiscale impitoyable contre ceux qui partent en Suisse, planification écologique, fermeté face à l’Allemagne etc. C’est enivrant, mais si Mélenchon arrivait à l’Elysée, au réveil, la gueule de bois serait carabinée. Aucun danger avec Hollande, dont les promesses sont si légères que leur trahison ne sera pas trop dure à avaler…
Le 18 mars de Jean-Luc Mélenchon
Au fond, on sent bien que l’aventure Mélenchon va finir par mal tourner. Le printemps est rouge, le 18 mars, on reprendra la Bastille, mais dès la rentrée, tout rentrera dans l’ordre. La gauche et la droite seront toujours aussi décomplexées sur la sécurité et l’immigration. Manuel Valls s'installera rue de Beauveau. Arnaud Montebourg fera carrière. Les financiers seront toujours là ; la BCE continuera à prêter aux banques et pas aux Etats. L’Allemagne sera toujours le modèle de la rigueur et de l’austérité. La purge des services publics en Grèce sera finie. La révolution citoyenne aura tourné court. Le monde continuera d’aller comme il va.
Restera cet élan extraordinaire et inattendu impulsé par Mélenchon, et qui, sans doute le dépasse, cette victoire qu'est déjà le simple fait d’avoir reparlé de Danton et de Jean-Jacques Rousseau ; davoir été vraiment jaurressien ; d’avoir lu du Victor Hugo dans les meetings ; d’avoir fait sentir, à nouveau, que la fatalité économique pouvait être renversée. Oui, il y aura eu un ton nouveau, un autre vocabulaire que celui de l’austérité, une autre politique que celle de l’indifférence ; une autre vision que celle des « civilisés de la barbarie », ces beaux messieurs qui vous expliquent paisiblement, à mots couverts, que la liberté passe par la soumission. C’est Deleuze qui parlait de ces devenirs-révolutionnaires qui subsistent à l’échec des révolutions ; ce sont eux qui forgent un esprit de résistance. C’est la victoire, acquise dès maintenant, qui consiste à avoir ranimé, un tant soit peu, la flamme d’une gauche adulte sans être résignée, mature sans être désespérée, contre la demi-paresse de Hollande et l’immaturité de l’extrême-gauche. « Ils » ne s’en iront pas tous, ceux qui prospèrent de la crise, mais peut-être serons-nous plus nombreux à savoir leur dire non résolument. C’est la force d’insurrection, qui commence par le combat contre notre propre tendance aux renoncements, que la campagne de Mélenchon aura pu libérer. Rien qu'il y a un an, qui aurait cru que c'était encore possible ?
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