Le crépuscule de Macron
Pour les fêtes, Juan Branco nous a gâté en publiant un pamphlet sobrement intitulé “Crépuscule”. Dans ce texte, il montre les dessous des réseaux qui ont permis l’ascension de Macron. Ceux des magnats des médias et des parrains venus des grands corps d’état.
Juan Branco est une jeune pousse issue du sérail. Passé par l’ENS, puis SciencePo, il aurait pu comme tant d’autres rejoindre les rangs de la République en Marche. Il se dirigea plutôt vers le droit et le journalisme. Il est l’un de ceux qui à porté le combat contre l’Hadopi, mais il est surtout connu pour assurer la défense du fondateur de Wikileaks, Julian Assange.
Étant donné son parcours à la fois dans et hors du système, dans la cour des grands de ce monde et le militantisme, il peut taper fort quand il s’y met. C’est ce qu’il démontre dans ce texte publié le 10 décembre 2018. La forme de son texte n’est certe pas fine, mais le fond est particulièrement convainquant.
Les « Citizen Kane »
Dans une première partie, il se base principalement sur un livre paru à la rentrée et intitulé Mimi (Grasset). Il s’agit de la biographie non-autorisée de celle qui est connue comme la « papesse des paparazzis », Michèle Marchand. Celle-ci dirige l’agence Bestimage qui fournit en images et potins les principaux titres de ce genre dont Paris Match, Gala ou Voici.
Ce personnage aux vies multiples, qu’Audiard n'aurait pas renié, garagiste, tenancière de boites de nuit et amatrice d’armes. Elle s’est illustré par des séjours réguliers à la prison de Fresnes, notamment pour chèques volés, faux en écriture et trafic de stupéfiants (elle a été arrêté au volant d’un camion transportant 500kg de haschich – Razzia sur la chnouf).
C’est elle qui est apparus aux côtés d’Alexandre Benalla, lors de ses ennuis médiatique de l’été. C’est également elle qui est à l’origine des nombreux scoops en unes de la presse people comme le rendez-vous casqué de Hollande chez Gayet (en vérité, un travail de planque), des fausses photos volées de Rachida Dati ou des publireportage sur le couple Macron à partir de 2016 (à la plage, à la montage, à la ville…). La victoire de son poulain lui aurait inspiré la pose derrière le bureau présidentiel, faisant le V de la victoire de ses deux mains.
Celui qui a mis en relation les Macrons avec Mimi est un autre habitué des milieux interlopes. Xavier Niel, avant de fonder Free était avant tout un pionnier du Minitel rose et des peep-shows. Il tombe en 2004 pour proxénétisme aggravé (il bénéficiera d'un non-lieu sur ces charges par la grâce du juge Renaud Van Ruymbecke) et pour recel d’abus de bien sociaux. Lui purge sa peine dans le quartier VIP de la Santé. C’est dans la salle d’attente de son avocate (Me Caroline Toby) qu’il aurait rencontré Michèle. Ce serait elle qui l’aurait épaulé dans ces années difficiles et protégé son image. Une dette qu'il mettra à profit.
Niel serait celui qui a organisé la rencontre autour d’un « coca light bien frais » entre Brigitte Macron et Mimi en 2016. Une tope devient un « contrat d’exclusivité moral » et le couple Macron fait la une de tous les magazines de VSD à Paris Match (29 unes à lui seul) jusqu’à son élection au poste de président en 2017. Ce serait elle qui aurait soufflé l’idée de réfuter les rumeurs d’homosexualité (épisode relaté dans cet article : Macron : Le Placard à tiroirs).
Ce que le livre dit moins, et ce que Branco souligne, c’est que Xavier Niel est un intime des Macron depuis bien plus longtemps que les auteurs le laissent croire. Brigitte Macron a exercé entre 2007 et 2015, en tant que professeur de français, dans le prestigieux lycée Saint-Louis de Gonzague (aussi appelé Franklin) et a eu notamment pour élève Frédéric et Jean Arnault, les plus jeunes fils de Bernard Arnault, le fondateur du groupe LVMH (première fortune de France) et Hélène Mercier-Arnault. Elle se serait dès lors lié d’amitiés avec leurs parents.
Or Xavier Niel est depuis 2010 le conjoint de Delphine Arnault, fille de Bernard Arnault et de sa première épouse Anne Dewavrin (actuelle épouse de Patrice de Maistre).
Tout naturellement, le grand patron, qui possède les journaux Les Echos (depuis 2007) et Le Parisien (depuis 2015), met en contact son beau-fils avec le jeune Macron. Qui sera à la barre pour proposer son aide dans le cadre du rachat du journal Le Monde en 2010 ? Emmanuel Macron bien sûr, il y a parfois des hasards qui n’en sont pas. L’offre sera remportée par le trio Niel, Pigasse et Bergé, mais sans le concours de Macron (mis sur le banc pour double-jeu avec Alain Minc).
Au final, Macron bénéficie de ces deux « Citizen Kane » à un point tel qu’il en deviennent les thuriféraires les plus acharnés, l’un défendant à l’excès le soldat Macron au micro d’Europe1 : « On a un super président qui est capable d'amener des choses et de réformer la France ». L’autre habillant la première dame de pied en cap aux couleurs de LVMH (la première dame sandwich en somme).
Deux autres tycoons se jouent également des coudes pour se mettre le pouvoir de leur côté. D’abord Arnaud Lagardère, héritier du groupe Lagardère construit par son père, qui détache son bras droit, Ramzy Khiroun pour faire la communication du jeune ministre de l’économie en 2014. Ce magnat possède via sa filiale Lagardère Active les journaux Paris Match et le Journal du Dimanche, mais aussi à la radio Europe1 et RFM. Le JDD est très connu pour sa forte proximité avec le pouvoir (passé et présent). A un tel point qu'on pourrait la rapprocher de la Pravda.
Le deuxième n’est autre que Patrick Drahi (X-83), le PDG du groupe Altice qui s’est fait connaître par ses rachats par LBO (investissement à effet de levier). Drahi est un opérateur de télécoms au même titre que Niel, notamment par le rachat de Numéricable (2003), puis SFR (2014). Cette dernière opération, dont Macron a donné le feu vert (il était alors secrétaire général de l’Elysée), ne se faisait pas sans contrepartie. Afin de soutenir une presse exsangue par le virage numérique, il rachète L’Express et Libération la même année. Plaçant à la tête de ce dernier un Mouchard, plus connu sous le nom de Laurent Joffrin.
Aujourd’hui, on peut voir cette opération se répéter avec Daniel Křetínský (milliardaire tchèque) qui en investissant dans Le Monde (via Pigasse), Elle (Lagardère) et Marianne s’achète une vertu auprès de l'Etat pour préparer le rachat du groupe Engie (dont l’État français possédait 24 % des parts en 2017).
Drahi qui avait embauché Bernard Mourad (ex-banquier Morgan Stanley) et qui était devenu son bras droit le détache en octobre 2016 auprès de… Emmanuel Macron notamment pour effectuer des levées de fond, avec le succès que l’on connaît. Celui-ci est aussi à l’origine du média Loopsider présent sur les réseaux sociaux.
Les parrains de l’État
Là où Juan Branco excelle, c’est par la mise en lumière du rôle joué par Jean-Pierre Jouyet dans l’ascension d’Emmanuel Macron (voir également : Du rosanvallonisme au macronisme). Cette éminence des Gracques passé par le Trésor et à la direction de l’Inspection Générale des Finances est celui qui a œuvré en coulisses dans toutes les étapes du parcours du jeune énarque.
Qui le recrute en 2004 à la tête de l’IGF alors que ce corps est normalement réservé à ceux qui sortent dans « la botte » ? Qui le pousse en 2007 à la tête de la Commission présidée par Jacques Attali ? Qui le propose en 2012 au secrétariat général de l’Elysée ? Qui l’appelle en 2014 pour lui proposer le poste de ministre de l’économie ? Qui enfin mobilise ses réseaux pour soutenir le candidat Macron à la présidentielle de 2017 ?
Si l’on écoute les journalistes proches du pouvoir, ce conseiller des princes n’aurait aucun de ces pouvoirs. Or, la réalité est bien éloigné.
Branco déplore ce « silence qui en dit long » en citant notamment Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin du Monde qui sont bien au fait de son rôle. On pourrait y ajouter Marie-France Etchegoin de Vanity Fair, Eric Le Boucher des Echos (membre des Gracques, voir : Macron, sa clique et ses claques) ou Sophie Coignard du Point. Cette omerta est effrayante dans un pays qui se voit encore comme le défenseur de la liberté de la presse. Et les saillies répétées de Sarkozy comme Macron à l’encontre des médias ne fait qu’empirer les choses.
La seconde partie du pamphlet se concentre sur l’ascension d’une autre jeune pousse, Gabriel Attal, l’actuel secrétaire d’état à l’éducation. Son parcours est un reflet de celui de Macron, en moins glorieux.
Une illustration des réseaux du Tout-Paris mis en place dès l’enfance est incarnée par l’école Alsacienne, dirigée par Pierre de Panafieu et administrés entre autres par Bernard Spitz (Gracques), François Rachline et Thierry Breton. Cette école formant les élites de demain de la maternelle au lycée fonctionne par cooptation et par un processus de sélection régulier. Elle cultive un entre-soi afin d’amener ses élèves à décrocher les mentions au BAC.
Le jeune Attal lui possède tous les codes et les habitus de ce monde et saura rapidement en tirer parti. C’est surtout lorsqu’il se rapproche d’Alexandra Reveyrand qu’il obtient une porte d’entrée dans la politique. Alexandra est la petite-fille d’Alain Touraine (sociologue à l’EHESS), fille de Marisol Touraine (ancienne ministre de la santé entre 2012 et 2017, membre du Conseil d'Etat) et Michel Reveyrand de Menthon.
Ce diplomate passé par l’ENA (promotion 1987) était ambassadeur au Mali, puis au Tchad. Son demi-frère Jean de Menthon, s’est suicidé en septembre en laissant un faire part de sa main indiquant « jeune résistant dès l’été 1940, ancien élève de l’ENA, indigné par la multiplication en cours des milliardaires ». Son cousin, Pierre-Henri de Menthon est directeur délégué du magazine Challenges, où sa belle-sœur Sophie de Menthon officie en tant qu’éditorialiste. La famille de Menthon appartient à la noblesse d’épée savoyarde depuis le XIIe siècle.
La jeune Alexandra revendiquant ses origines nobles demandera à ce qu’on rajoute sa particule qui avait été gommée à son entrée. Le jeune Gabriel en fera de même en utilisant le nom Attal de Couriss, le nom de jeune fille se mère, descendante d’une famille de russes blancs (exilée lors de la révolution russe de 1917).
Les loups sont entrés dans Paris
A force de persuasion, il est introduit dans la famille de Menthon et séduit Marisol Touraine qui l’initie lors de la campagne de Ségolène Royal. Il rejoint en 2012 cette dernière au ministère de la santé, sans aucune expérience préalable. Il y côtoie Benjamin Griveaux (qui est également un proche de Bernard Mourad) dont il est l’adjoint. Ce dernier rejoindra entre 2014 et 2016 le groupe immobilier Unibail-Rodamco pour assurer la persistance d’une niche fiscale favorable à l’entreprise. Il obtient un poste de chargé de misson pour son camarade promotion Quentin Lafay, qui rejoindra par la suite Macron à Bercy en 2014 en tant que plume. De cette expérience il en tirera le roman « Place Forte » (Gallimard).
Attal sera présenté à Stéphane Séjourné lors de son arrivée à Bercy en 2014. Il l’associe rapidement à la « bande de Poitiers » : Guillaume Chiche, Aurélien Taché, Sacha Houlié et Pierre Person. Ces deux derniers formeront la structure « Les Jeunes avec Macron » en s’appuyant notamment sur le financement de Pierre Bergé et d’Henry Hermand (qui était depuis longtemps le bienfaiteur de Macron, voir : Du rosanvallonisme au macronisme).
Les jeunes strauss-khaniens constitue l’autre garde prétorienne du président Macron, représenté par Ismaël Emelien, Stanislas Guerini, Cédric O et Benjamin Griveaux. Ces deux groupes se font toujours face notamment pour le poste de délégué général au parti LREM, remporté par Guérini.
Ce sont les comptes e-mails de ces deux groupes qui sont présents dans les MacronLeaks. Fuite mise en ligne quelques heures avant le début du second tour, dont le pouvoir a rapidement tenté de minimiser la portée. Ces comptes sont notamment ceux de Cédric O, Quentin Lafay et Pierre Person qui étaient au plus près du candidat. Cela ne les a pas empêcher d’obtenir des postes à responsabilité dans la structure macroniste. On peut malgré tout voir ressortir des dossiers comme celui de l'alignement des taxes sur le diesel discuté dès novembre 2016 par Alexis "MSC" Kholer et ses comparses d'En Marche (Fiscalité écologique). Un petit calcul de technocrates cher à Bercy...
Ce que personne n’ose révéler, excepté Branco, c’est la liaison qu’entretiennent Attal et Séjourné et qui en a fait un véritable « power couple » progressiste. Le premier dans ses derniers jours auprès de Marisol Touraine siphonne tous les contacts socialistes susceptibles de rallier Macron. Le second appuyé par Ismaël Emelien (ex-Havas) (puis peu après par Bernard Mourad) organisent des levées de fond, notamment par les moyens fournis par Bercy, faisant fi des lois. C’est dans ce contexte qu’ils demandent à Business France et sa directrice d’alors, Muriel Pénicaud l’organisation de la fameuse soirée de Las Vegas sollicitant Havas pour un contrat dépassant les 300.000€. L’information révélée par le Canard Enchaîné à la suite de l’Affaire Fillon ne suscite pas le même enthousiasme de la part du parquet national financier (l’affaire est toujours en cours d’instruction).
Du crépuscule à l’aube
Au final, le tableau que peint Branco est sombre, violent et révoltant. Il s’agit d’une mise en abyme d’un jeu de cour où les plus machiavéliques sont promus, où les médias sont contrôlés par une clique de magnats proches du pouvoir et où les puissances de l’argent règnent en maître. L’entre-soi de cette oligarchie finit par nous dégoûter d’acheter un seul journal ou de regarder une seule émission où les journalistes ne font plus que le rôle de pompier et de chien de garde.
Les gilets jaunes sont nés d’un pourrissement visible depuis 2007 et qui est incarné par cette élite européiste totalement déconnectées des réalités. La vague tentative de reprise en main du pouvoir en cette fin d’année n’est qu’un début. Ils seront près à tout pour s’accrocher à leur portefeuille et à leurs privilèges.
Ce crépuscule est devant nous et si la nuit est vaincue, une aube nouvelle s’offre à nous.
Références :
- Texte complet de « Crépuscule » : https://static.mediapart.fr/files/2018/12/26/macron-et-son-crepuscule-3.pdf
- Entretien filmé de Juan Branco à Là-bas si j’y suis : https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/Juan-Branco-desosse-Macron
- Recherches sur les familles nobles : https://twitter.com/sorin_emmanuel/status/1072747460697735169
- Un exemple de l’entre-soi décrit par Branco : une cagnotte pour les 50 ans du couple Badré (Bertrand Badré ex-directeur de la Banque Mondiale, Macron a préfacé un de ses livres) – quelques participants connus : Mathilde Lemoine, Emmanuelle Wargon, René Ricol, Chantal Jouanno, Sylvie Goulard, Jean Pisani-Ferry, etc. : https://www.leetchi.com/c/vanessa-et-bertand-502
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