Le discours politique présidentiel : entre communication, conjoncture et civilisation
Les différents et ô combien nombreux messages délivrés par la présidence française en huit mois avancent des idées, des projets d’action, des prises de position... Et débouchent parfois sur des interférences.
Lorsque Nicolas Sarkozy évoque une « politique de civilisation », prônée par Edgar Morin dans un ouvrage du même nom (en 1997), il appuie la nécessité structurelle de changer de modèle, mais aussi de prendre le temps et la mesure des mutations. Or, le rythme effréné, du moins du point de vue de la communication, imposé par le nouvel exécutif, ne permet pas d’entrer dans l’analyse de ces mesures et propositions et, encore moins, d’en discuter les éventuels résultats. L’agenda, ainsi, a grignoté l’espace médiatique qui, jusque-là, était réservé aux bilans.
L’action politique, tiraillée entre conjoncture et structure, est aujourd’hui mise face à ce grand écart par la communication présidentielle. Lorsque Nicolas Sarkozy cite Edgar Morin, il affiche non seulement la volonté d’ancrer son action dans le solennel et le durable, mais aussi de donner du corps philosophique à son action. Or, l’idée d’urgence qui accompagne l’action exécutive depuis huit mois donne surtout l’impression d’un colmatage de brèches, avant que puissent être éventuellement envisagées des réformes de fond.
L’agenda politique au service du court terme ?
A première vue, ce rythme, cette succession de propositions et d’effets
d’annonce, donnent l’impression d’une activité permanente, d’une
gouvernance qui se ferait constamment dans l’action, et non dans la
réflexion (du moins jusqu’à la référence à Edgar Morin). Cela semble contraster avec l’idée d’un changement structurel de la société, qui nécessiterait de grandes réformes que l’on ne pourrait juger que sur la
durée : ici, l’évaluation du gouvernement par un cabinet privé, prêt à noter l’action des ministres au bout de huit mois, ne donne pas une impression forte de recul.
Cependant, peut-être faut-il y voir là une volonté, par les effets d’annonce et l’accaparement de la machine médiatique, de posséder le temps de l’information
et ne pas laisser le public (les citoyens) dans une posture d’attente,
mais de réception permanente. Nous pouvons ainsi penser que les
politiques engagées n’attendent que de se révéler à moyen et long
terme, et que la communication politique "agressive" que
nous connaissons ne sert que d’amuse-gueule en attendant les bilans
qui, dans une vie politique idéale, ne pourraient être décemment
discutés qu’au bout d’une période minimale, en fonction des domaines
abordés. A priori, noter l’action de Christine Albanel, ministre de la Culture, sur des résultats à six
mois, serait une erreur ; d’autant que c’est elle qui, en partie, détient les clés de cette civilisation... Boutade.
Projets de campagne et projet de civilisation
Peut-on vouloir relancer la croissance et axer une grande partie de son discours politique sur le pouvoir
d’achat tout en exprimant le désir d’une politique de
civilisation renouvelée ? Edgar Morin, interrogé à ce sujet, explique
(sur diplomatie.gouv.fr ) :
"Tout ce qui a constitué le visage lumineux de la civilisation
occidentale présente aujourd’hui un envers de plus en plus sombre.
Ainsi, l’individualisme, qui est l’une des grandes conquêtes de la
civilisation occidentale, s’accompagne de plus en plus de phénomènes
d’atomisation, de solitude, d’égocentrisme, de dégradation des
solidarités. Autre produit ambivalent de notre civilisation, la
technique, qui a libéré l’homme d’énormes dépenses énergétiques pour
les confier aux machines, a dans le même temps asservi la société à la
logique quantitative de ces machines."
Edgar Morin poursuit son développement en expliquant que la technique
est également responsable des dangers militaires modernes (la menace
nucléaire par exemple), mais aussi des mutations environnementales
hostiles que nous connaissons, et que le Giec a, depuis, officialisées.
Certes, le Grenelle de l’environnement
est une grande avancée politique, et peut-être civilisationnelle, car
l’humanité reconnaît enfin son appartenance à la nature, et non
l’inverse ; cela ne s’est probablement pas produit en Occident depuis
la sédentarisation des peuples. Néanmoins, le souci de croissance, la
dimension économique des visites en Chine, en Libye ou en Arabie saoudite, tout comme la volonté - encore une fois - de distribuer des
notes à son gouvernement selon des méthodes de management déjà
éprouvées dans le monde de l’entreprise, semblent contredire cette
volonté.
Les changements
demandent du temps ; gageons que leur mise en place nécessite aussi, de
la part des citoyens, de la patience. Toutefois, l’annonce médiatique
étant le point essentiel de la politique moderne, reste à espérer que ces
références, qui impliquent tout de même un lourd passif philosophique
et culturel, ne soient pas utilisées ici comme un nouveau couteau suisse
communicationnel, mais comme un vrai point de départ. Sur ce point, le président - au nom de l’exécutif - sera évalué sur ses actions et non sur des résultats, car tout
le monde a bien conscience que l’on ne change pas une civilisation en cinq ans.
Cette nouvelle impulsion, qui s’incarne de manière protéiforme dans les réflexions d’experts environnementaux, économistes,
sociologues et philosophes doit absolument outrepasser aujourd’hui le stade de la référence présidentielle.
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