Le Front National catalyse la dissolution de la vie politique dans une société française qui n’existera plus

On n’aura jamais autant parlé du FN alors qu’il n’y a aucun scrutin électoral à court terme. Les municipales sont encore loin. Le Français doté d’une capacité à réfléchir ne peut qu’être interpellé par tout ce déballage médiatique et notamment les réactions consécutives à une opinion livrée par un François Fillon qui n’est pas aussi aveugle et irresponsable qu’on ne le pense. Son crime, avoir suggéré que le front républicain, eh bien il en a ras la casquette. En découla une fronde des chevaliers blanc de la morale républicaine au sein de l’UMP qui vit actuellement un mélodrame. Les ténors de cette formation ont constitué un front anti-Fillon. C’est cocasse et ce serait risible si on n’y décelait un signe de déliquescence politique avancée. J’en reviens maintenant au Français qui du coin de sa province comprend assez bien que l’UMP cherche à résoudre des problèmes internes, plutôt qu’à apporter des éléments de réflexion sur l’avenir de la France. La politique s’oriente vers un fonctionnement autoréférentiel au sens de Luhmann. Les politiciens étant autant préoccupés, sinon plus, de leurs positionnements respectifs que de l’état de la société française.
Cette déliquescence du politique se retrouve aussi du côté du PS et de ses relations avec ses partenaires privilégiés, les Verts. Encore des sujets qui fâchent et notamment la fiscalité diesel qui est devenue pour les Verts une obsession mais moins dangereuse que l’obsession interventionniste en Syrie. Qu’est-ce qui se joue dans cette fiscalité ? L’avenir de la planète, la pollinisation des champs, la famine planétaire, l’holocauste cancérigène ? Rien de tout ça. Je vois plus dans ces crispations écologiques une crise d’identité des Verts dont la place au gouvernement a une légitimité restreinte eu égard au score de la candidate écologiste lors du scrutin présidentiel de 2012. A l’inverse, le FN qui réalise des scores conséquents n’a aucune représentativité sauf dans les conseils locaux où les élus frontistes doivent se contenter d’être des observateurs. Loin de moi l’idée de défendre ce parti. Je me mets juste à la place de ses électeurs et raisonne selon le point de vue de la démocratie représentative. Et puis ces coquetteries de pensée politicienne n’apportent rien de solide. Le constat est ailleurs. La vie politique décline, se dissout lentement, dans un contexte où la croissance devient le seul salut, avec un peu de transition écologique pour servir de repère aux politiciens paumés. Une vie politique où la France n’est pas administrée et gouvernée comme une société d’humains partageant des valeurs des projets mais comme une entreprise. D’où les innombrables saillies venant d’ici ou d’ailleurs, avec les leçons de gestion infligées par un Barroso jugeant notre politique fiscale tout en taclant notre compétitivité.
Entre le PC et le FG de Jean-Luc Mélenchon (deux composantes du Front de gauche) les relations se sont tendues ce qui est un signal fort sur l’état de la vie politique. L’électeur n’est plus dupe. Il voit bien que toute cette activité déployée par les partis ne sert pas tant l’intérêt public qu’à résoudre les crises vécues par ces partis, non seulement face à l’évolution de la société mais au sein même de l’échiquier qui a perdu de sa solidité et se liquéfie, rendant impossible le maniement des positions sur un terrain idéologique ferme et solide. On ne sait plus pour quelles causes privilégiées tous ces acteurs de la politique se mobilisent. Sans doute leur survie. A l’instar d’un commerçant qui voit s’installer à côté de la concurrence. Chaque parti dispose, dans une période donné, d’un os à ronger. Une sorte d’obsession nourrissant les actes et surtout les discours. Le ni-ni, le diesel, les retraites, la croissance, les immigrés… Et au centre, voit-on des idées nouvelles pour gérer le pays ? Non, juste quelques positionnements opportunistes. Vu qu’il y a la crise à l’UMP, Jean-Louis Borloo saute sur l’occasion pour marquer son positionnement et tenter de gagner quelques part de marché sur la scène concurrentielle politicienne. Tout en jouant habilement de la colère des Verts et en suggérant une génération sans diesel ; rejoint en ce sens par un Parti communiste qui se découvre subitement une fibre écologique. François Bayrou fait de même depuis des années, s’engouffrant dans les failles de l’UMPS pour proposer son offre politique. D’ailleurs, le terme est de lui. « Offre politique », une notion qui confirme les ressorts concurrentiels dont jouent les partis politiques.
Ces prestations, pour ne pas dire débordements médiatiques, laissent penser à une décomposition de la vie politique avec quelques signaux montrant que les partis sont en quête d’identité plus que projets. Et c’est là que la politique va rejoindre la sociologie car une chose est certaine, c’est que la vie politique est un marqueur de la vie sociale. Et que cette vie sociale, eh bien elle s’est délitée elle aussi. Si l’on en croit les propos avisés d’un sociologue expérimenté tel qu’Alain Touraine, la société au sens moderne du terme n’existe plus. Ce constat est développé dans le dernier livre de Touraine paru au Seuil. Sorte de testament lucide légué aux générations futures qui se moquent bien d’être avec ou sans diesel. Un pays sans société, voilà ce qui se prépare. D’après l’auteur, la globalisation de l’économie a conduit à dissocier la société, les moyens de l’Etat et le monde financier. Ce serait donc la fin du social tel qu’il a été incarné à travers des institutions comme les partis, les syndicats, l’école, la ville, la démocratie et ajoutons aussi l’Eglise ainsi que les associations. Il reste alors une société de puissants oeuvrant en vue de leurs intérêts en s’appuyant sur des dispositifs de pouvoirs et d’agir alors qu’en face, des sujets de plus en plus déclassés tentent de préserver leurs intérêts. La scène de la mobilisation sociale est actuellement vide, ou presque.
Le schéma est d’une cohérence parfaite. Le presque vide social ou du moins la société qui se vide est en corrélation avec la vie politique qui elle aussi, va d’un train assuré vers un vide sidéral. Les avertissements de la secousse financière de 2008 n’ont pas été suivis de régulations sociales et de changement de cap. Les organisations gouvernementales ont uniquement cherché à gérer les grands systèmes économiques pour éviter l’effondrement. Du coup, les riches ont continué à prospérer et la société s’est vidée, laissant place à encore plus d’individualisme et moins de pensée politique.
Le rapport entre vie citoyenne et régime politique est un thème bien cerné par Leo Strauss pour qui la qualité du citoyen dépend du régime. Pour faire court, un bon citoyen dans un pays communiste ne sera certainement pas un bon citoyen dans une société démocratique et réciproquement. Ce qui nous conduit à interroger le politique en 2013 et à nous demander dans quel régime sommes-nous ? Les plus attentifs répondront que la France, pas plus que les Etats-Unis, ne sont des démocraties mais plutôt une combinaison avec des ingrédients autoritaires, oligarchiques, ploutocratiques. Plus précisément, je caractériserais le régime actuel comme économiste. Autrement dit, un pays est géré comme une entreprise, avec des comptables, des managers mais aussi un dispositif sécuritaire et de surveillance. Dans un régime économiste, le premier souci est la croissance. Le bon citoyen est celui qui se forme, produit et consomme. Les élections servent alors à élire le président directeur général et son conseil d’administration. Chaque citoyen est devenu actionnaire du système qui lui verse des salaires, des revenus du capital et parfois quelques dividendes sociaux ; un système que gère le gouvernement en tentant d’équilibrer le budget tout en s’occupant de la compétitivité des entreprises.
Le constat est assez clair. La désagrégation de la vie politique va de pair avec le déclin de la vie sociale. Avec en plus un phénomène de défiance qui ne fait que renforcer le processus. Les citoyens n’ont plus confiance dans les partis politiques et surtout les dirigeants. Du côté des élites, une défiance s’exerce aussi, notamment lorsque les citoyens se mêlent de choses qui ne sont pas de leur domaine, comme l’intervention en Syrie. Signe des temps, BHL a fustigé la diplomatie d’opinion, regrettant que les Occidentaux n’aillent pas pilonner Assad en ignorant copieusement le sentiment pacifiste des populations. Sans doute nos dirigeants pensent de même mais ils ne le crient pas sur les toits ; ce serait d’un plus mauvais effet.
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