Le Front National n’est vraiment pas un problème !
Les dernières élections cantonales ont laissé perplexe les analystes. Le FN, qu’on croyait absorbé et dissous dans le paysage électoral depuis les présidentielles de 2007, est revenu sur la scène avec 15 points comptabilisés au niveau national lors du premier tour. Il va sans dire que ce chiffre n’est pas significatif car une majorité d’électeurs sont restés chez eux. Mais ce niveau du FN n’a rien d’inattendu au vu des récents sondages créditant Marine le Pen de plus de 20 points. Dans la foulée du premier tour, les prises de positions des hauts cadres de l’UMP ont été amplifiées par une caisse de résonance médiarchique si bien que des commentateurs y ont vu une amorce de scission au sein même de la formation majoritaire. Certain évoquant même une recomposition politique majeure. A croire que le ni ni inspire les neu neu du commentaire. Ce qui doit satisfaire les gens du FN, joyeux et volubiles dès qu’ils ont le sentiment d’avoir misé dans la cible et d’avoir mis le boxon dans la vie politique française. C’était d’ailleurs l’objectif de Jean-Marie le Pen qui affichait un bonheur non contenu, à l’instar d’un gamin foutant un coup de pied dans la fourmilière et s’amusant à voir ces petites bestioles affolées et courant dans tous les sens. « Cache ta joie » ne fut pas le mot d’ordre du FN lorsque les télés ont annoncé le Non gagnant au référendum sur le TCE. L’extrême droite n’était pas la seule à s’amuser. Chez les militants de la LCR et de FO, le rosé coulait à flot. C’est disons la règle du jeu pour les partis protestataires. N’ayant aucune perspective de parvenir au pouvoir, leur seul succès réside dans le trouble occasionné dans la vie politique. Néanmoins, rien ne dit que Marine le Pen soit dans une posture similaire et comme on cru le déceler quelques analystes, la présidente du FN dévoile quelque intention pour parvenir au pouvoir.
Mais 20 points, ou même 25, c’est un peu court, jeune dame, dirait l’empêcheur de penser en rond, non sans supputer avec un regard facétieux que la conjonction d’une normalisation du FN doublée d’une droitisation de l’UMP pourrait susciter une alliance dans les prochaines années. Mais dans le cas contraire, le FN aura suffisamment de voix pour perturber les élections, même dans le cas d’un scrutin majoritaire à deux tours. Pas les présidentielles certes, mais pour les législatives, le spectre de triangulaires favorables au PS plane et dans les états-majors de la droite, nul n’a oublié le jeu politicien de Mitterrand qui en 1988, gouverna avec une Assemblée de gauche grâce au trouble jeu du FN. Le déterminisme historique aurait tendance à décréter que des causes similaires engendrent des effets similaires. En 2012, une Assemblée de gauche semble très probable, même les partis de droite (FN inclus) sont majoritaires en voix. Cependant, rien ne dit que la suite se déroulera comme prévu car en 2017, après une gouvernance qu’on peut imaginer secouée par la conjoncture mondiale, le FN et la droite qui gouverne pourraient passer quelques alliances moyennant quelques concessions ad minima.
Pour l’instant, le FN perturbe la vie politique française, et s’il laisse certain supposer une peu probable scission de l’UMP, il montre une scission bien plus problématique, celle séparant la vie politique française de la société gouvernée. Désignée comme civile non sans un lapsus sémantique cocasse. Un civil est en général un Français qui n’est pas militaire. La vie politique serait-elle alors un théâtre d’opérations de combat entre partis, avec des tactiques, prises de position, lignes de démarcation, phrases assassines ? On serait tenté de le penser mais si la politique devait accentuer cette tendance, alors elle serait déviée de sa finalité qui est d’accompagner le pays dans sa transformation tout en assurant la gestion des affaires publiques à travers l’Etat. On comprend alors que le vote FN n’est pas un problème pour les Français, comme d’aucuns voudraient le faire croire, mais pour la classe politique. Pour la « société civile », le FN n’est ni un problème, ni une solution. Tout au plus un thermomètre sociologique indiquant les états d’âme, les tourments et autres crispations des gens. Toute cette agitation autour du FN montre bien que les médias privilégient la vie politicienne au détriment de la vie des gens. Ce qui n’est guère étonnant. Les journalistes et autres directeurs d’information évoluent dans un théâtre social au plus près des politiciens et donc sont incités à commenter les jeux conflictuels plutôt qu’à recenser les aspirations des citoyens et les difficultés à exister dans ce monde aux penchants chaotiques. Les médias mettent en avant le suspense des primaires socialistes, les saillies des Verts et de Mélenchon, la montée du FN, les scénarios pour 2012, mais parlent moins des Français qui peinent à vivre et des PME au bord de la faillite.
Bien malin serait celui qui prétendrait connaître l’évolution de la politique en cette période de crise et d’incertitude. Il y a fort à parier que deux éthiques vont être confrontées, celle de la responsabilité qui sied aux serviteurs de l’Etat et celle de la conviction qui parfois, s’égare dans des obsessions idéologiques. S’ajoute une troisième éthique qui n’en est pas une, sauf à admettre que l’intérêt personnel puisse valoir d’éthique dans le monde politique. En fait, le désir de parvenir ou rester au pouvoir joue une sorte de ruse cohésive, incitant les responsables politiques à gommer les différences et faire des concessions car l’appât du pouvoir l’emporte sur les convictions. Autant dire que ceux qui pensent à une scission de l’UMP sont allés un peu vite en besogne. Alors que dans l’autre camp, les Verts pourraient poser quelques problèmes sur la question du nucléaire.
Finalement, malgré les jeux politiciens conduisant les médias à se demander qui va gouverner, le véritable enjeu sera de savoir comment les dirigeants vont gouverner et avec quels programmes. Il fut un temps où la politique française était active, offensive, conquérante, innovante. Comme l’a bien expliqué Jean-Pierre Chevènement, la France a conduit de grands projets entre 1950 et 1980, puis est arrivé le temps des gestionnaires du passé, amenés à régner, régenter et faire fructifier un héritage sans trop le dilapider. Mitterrand et Chirac s’y sont attelés, jusqu’en 2007 ou arriva cette fausse rupture, signe d’un volontarisme rendu vain car pénétré de contradictions et enveloppé par une globalisation de la crise. Le monde avance vite. La politique peut alors être tentée par le repli. Au lieu d’être active, la politique sera alors réactive et rétroactive au sens cybernétique. La téléologie sera de mise. Les politiques risquent d’être mues par deux moteurs, le premier étant la technique et l’économie, le second étant l’idéologie du repli, de la bulle, de la protection. La politique sera mue par quelques impératifs techniques dont la réalisation suppose un effort de propagande. On nous prépare à l’électricité plus chère, à une augmentation d’une TVA présentée comme sociale, à la rigueur salariale au nom du pacte de compétitivité pour servir un euro alors qu’il devrait nous servir. La politique du repli joue sur une amplification obsessionnelle des petits tracas suscitant l’irritation ou la crainte. L’immigration et l’Islam sont pointés. Ou alors c’est le nucléaire, technologie plus sûre qu’on ne le prétend mais exigeant beaucoup de sérieux et de précautions. Les craintes écologistes risquent hélas d’orienter la politique vers des choix stupides et coûteux privant de moyens d’autres chantiers plus essentiels. Dernière obsession, cette fois dans le champ économique, le protectionnisme et la question de l’euro. Le FN et la gauche extrême sont une fois réunis pour un retour au franc qui de plus, se trouve légitimé par quelques pointures faisant l’opinion, de Alain Cotta à Emmanuel Todd. Les protectionnismes ont le plus souvent plongé les nations dans le déclin.
Un parallèle avec l’évolution politique en Israël permet d’y voir un peu plus clair. Ce pays singulier du Proche Orient a vu se déployer une épopée historique marquée par une vie politique bipolaire, avec une gauche incarnée par les Travaillistes et une droite représentée par le Likoud. Depuis deux décennies, suite aux deux Intifadas et aux actions terroristes, l’opposition politique a fait place au consensus autour d’une question devenue prioritaire, la défense et la sécurité d’Israël. On a assisté à une droitisation de la vie politique marquée par un nationalisme exacerbé. Le Likoud ne s’est plus retrouvé dans cette tendance si bien qu’une scission eut lieu avec la création en 2005, à l’initiative d’Ariel Sharon, d’un nouveau parti de droite modérée, Kadima, laissant les anciens du Likoud virer vers un nationalisme virulent. Depuis des années, les gouvernements de coalition se succèdent à la Knesset. Une seule priorité, la sécurité dans un contexte d’occupation de la Cisjordanie au détriment des populations palestiniennes alors que Gaza n’a rien d’un pays mais ressemble à un camp de réfugiés. La France évolue aussi vers une mise en avant de questions prioritaires pouvant aboutir à une coalition gouvernementale qui reste néanmoins assez improbable car le scrutin législatif n’est pas proportionnel mais majoritaire. On peut cependant voir se dessiner un léger glissement si bien que l’hypothèse d’une droite centriste symétrique de Kadima n’est pas une hypothèse farfelue. On voit bien François Bayrou, Hervé Morin, Jean-Louis Borloo et Dominique de Villepin se réunir dans un parti centriste et républicain qui en cas de crise du pays ou du monde, pourrait s’associer à un PS débarrassé de ses lubies gauchistes, tout en contribuant à éloigner la vie politique française de ses démons droitiers agités par Sarkozy, identité nationale, laïcité, islamoscepticisme. Kadima, précisons-le, signifie en avant. Ce détail a toute son importance car il semble acquis pour l’instant que la France ne puisse aller de l’avant. Bombarder la Libye ne sauvera pas la face d’un pays s’arc-boutant sur son passé et dirigé par des réseaux d’intérêts et de connivences faisant que la France ressemble à une Libye démocratique. Nulle tribu mais combien de réseaux népotiques et copinants ?
Pour conclure, une petite note métaphysique. La politique à venir ne sera pas inventive, créative, conquérante, mais rétroactive, au sens mécanique de ce terme. Autrement dit, une politique cybernétique qui rétroagit en fonction des circonstances, conjonctures et faits divers, qui ajuste quand il faut calmer les plaies. La cybernétique est selon Heidegger l’achèvement de la métaphysique occidentale mais aussi le mécanisme lié à la technique qui ruse au point de dominer la politique en l’abaissant vers une téléologie sans « humano-dicée ». L’Occident cybernétique est une machine technicienne lancée à toute allure. Le système technicien est opérationnellement clos. Le pays devient borné, figé dans des obsessions idéologiques sous-tendues par des lobbys économiques, techniques, politiciens ou même associatif. Ce monde s’affronte, se neutralise souvent, coûte cher parfois, œuvrant au service de l’inutile public au lieu de l’intérêt collectif.
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